Contribution : Intervention militaire au Yémen
«Doctrine Brejnev», saoudienne et rivalités régionales ethnicisées
Par Tewfik Hamel (*)
Après l’Irak, le Soudan, la Libye, la Syrie, l’intervention militaire
sous le leadership de l’Arabie Saoudite au Yémen traduit la profondeur
des transformations que l’ordre régional arabe a connues.
Les alliances sont fluides et risquent d’être bouleversées à l’avenir.
Alger doit en être consciente et être prêt à faire les choix nécessaires
comme le lui dictent ses intérêts nationaux lorsqu’ils s’imposent à lui,
aussi difficiles soient-ils. Dans le système international (comme nous
le rappelle cette intervention) toujours anarchique et profondément
hobbesien, il n’y a pas d’amis éternels ni d’ennemis éternels. Mais des
intérêts éternels. Le système régional arabe n’est plus ce qu’il était.
De la fragilité et inefficacité, il passe à l’autodestruction. Les Etats
arabes n’hésitent plus à tourner leurs canons vers leurs voisins. On
parle de création de forces d’intervention arabe, de chiites et de
l’Iran, mais le vrai problème est la nature des systèmes politiques
sclérosés, illégitimes et inefficaces. Sans la modernisation politique
démocratique, aucune initiative de ce type ne peut réussir.
La base de fonctionnement des entités régionales et des initiatives
d’intégration est la culture de dialogue et concession, et de compromis.
Mais comment un dirigeant autoritaire qui a l’habitude de gouverner par
la force peut avoir une telle culture ? Alger a intérêt à être subtil et
garder la distance de cette énigme de force arabe. Les conditions ne le
permettent pas et auront des implications profondes sur la cohésion
nationale et l’équilibre des institutions. Cette intervention est aussi
un avertissement à tous ceux en Algérie qui ne voient pas l’intérêt
d’avoir une armée forte et moderne. La sécurité n’est jamais acquise.
Elle a un prix. Il ne faut pas confondre entre les impératifs de la
modernisation politique et économique, et les impératifs de la
modernisation militaire. Dans ce domaine, Alger ne peut compter que sur
lui-même. Pour des raisons d’efficacité, il est préférable que toutes
ces questions soient traitées dans le cadre d’un débat national
démocratique, mais quoi qu’il en soit, Alger doit construire sa défense
et moderniser ses forces militaires. Le grand stratège chinois Sun Tzu
disait : «La guerre est d'une importance vitale pour l'Etat. C’est le
domaine de la vie et de la mort.»
Transformation et résistance
À ce jour, on ne sait pas où les bouleversements du monde arabe se
dirigent. Les révolutions généralement ne se sont pas produites tout à
coup ; la plupart des grandes révolutions de l'Histoire se sont
déroulées au fil du temps. Mais il est évident qu'ils ont déjà changé le
visage du Moyen-Orient et de l’Afrique de Nord pour toujours. Les défis
sont grands, mais les choses ne peuvent pas revenir à ce qu’elles
étaient avant.
Un changement fondamental s’est produit. «Il y a quelque chose de pourri
dans le royaume du Danemark», disait William Shakespeare. Il en est
pareil pour ces «Etats néo-patrimoniaux» (c’est-à-dire basés sur
l’étatisation de la société, la privatisation de l’Etat, la
clientélisation de la société et le retour à une imagerie paternaliste
de la relation politique). Bien que la transition soit fonction de la
nature de chaque régime, les dirigeants de la région sont plus que
jamais confrontés au «dilemme du roi» (un concept fut formulé en 1968
par Samuel Huntington selon lequel les autocrates peuvent nuire à leur
base de pouvoir par adoption de réformes, mais risquent le même résultat
si ils ne le font pas). A première vue, trois scénarios se profilent à
l’horizon : l’islamisation de la sphère politique, la poursuite du statu
quo autoritaire et l’évolution accélérée vers la démocratie. Mais à
l'ère de la télévision par satellite et l’internet, il sera difficile de
mettre le génie de la démocratie dans la bouteille. La période de
changement dans le monde arabe ne sera pas courte, mais une lutte
constante entre les forces qui tentent de définir l'avenir de la région.
La réaction des gouvernements arabes a été différente. Après le départ
de Moubarak et Ben Ali en Egypte et en Tunisie, les dirigeants de la
région s’attachent de plus en plus au pouvoir et estiment que ceux-ci
n’ont pas suffisamment résisté. Il semble qu’ils ont beaucoup appris et
élaboré des stratégies de survie. D’abord, faire des concessions
limitées ; ensuite, véhiculer le slogan du complot étranger et
d’Al-Qaïda/Daech et, enfin, la répression grâce aux forces de sécurité.
En effet, une fois menacés dans leurs fondements, les régimes de la
région manifestent un autoritarisme décomplexé dans sa forme la plus
brutale. En même temps, une solidarité politique, militaire, économique
et même idéologique (tentatives d’élargir le Conseil de coopération du
Golfe (CCG) aux royaumes du Maroc et de la Jordanie) se tisse entre les
gouvernements contre leurs peuples au point où de nouvelles alliances
fonctionnelles semblent se mettre en place pour maintenir le statu quo.
Une solidarité rappelant la «doctrine de Brejnev» dans le cas de
l’Arabie Saoudite. Pour répondre au «Printemps de Prague» en 1968,
Brejnev expliquait que la Tchécoslovaquie devrait être autorisée à
déterminer son propre destin, mais à terme son détachement de la
communauté socialiste est inacceptable ; il entre «en conflit avec ses
propres intérêts vitaux et aurait été préjudiciable aux autres Etats
socialistes».La politique étrangère de l’Arabie Saoudite, depuis ce que
l’on appelle le «printemps arabe», nous rappelle la doctrine Brejnev qui
prône la «souveraineté limitée» des Etats socialistes.
Le message des Saoudiens semble similaire : la mise en œuvre des
réformes excessives par n’importe quel régime satellite serait en
contradiction avec leurs propres intérêts vitaux et ceux des autres
Etats monarchiques, et par conséquent, ils vont résister et
n’accepteront aucunement des changements structurels dans les structures
de pouvoir. L’intervention au Yémen n’est que la dernière manifestation
de cette doctrine. L’aide financière à l’Egypte, l’intervention en 2011
des forces du CCG au Bahreïn (où la population bahreïnie –
majoritairement chiite – se soulevant contre le régime monarchique
sunnite pour réclamer des réformes démocratiques) en font partie
également. L’autre exemple est la déstabilisation et la guerre indirecte
contre la Syrie. Aux yeux de Riyad, Damas s’est trop éloignée d’elle et
cela est intolérable. Au Yémen également, la structure du pouvoir a été
bouleversée par l’arrivée des Houthis et cela risque d’avoir de
profondes implications nationales et régionales.
Conflit ethnique sectaire versus conflit d’intérêts
Plusieurs lectures existent sur la situation au Yémen. Chacune a son
angle d’analyse. Le mini-choc de civilisation (sunnites/chiites) est le
plus populaire. Pourquoi la lecture identitaire ne tient pas comme le
facteur le plus déterminant dans ce conflit ? Parce que le facteur
identitaire est souvent exagéré. Les divisions politiques fondées sur
l'idéologie sont souvent plus importantes que les différences ethniques
ou raciales (comme dans la guerre civile algérienne, la confrontation
entre le Fatah et le Hamas en Palestine).
Le sectarisme au Yémen y compris dans d’autres endroits ailleurs est un
produit de la confusion intellectuelle. Les causes des divisions
humaines sont multiples et enchevêtrées, y compris les conflits
d'intérêts, les structures de pouvoir rivales et la concurrence pour les
ressources. Le Yémen est une construction postcoloniale dont les
populations sont divisées non seulement par les allégeances ethniques et
religieuses, mais aussi par des revendications rivales sur ses réserves
pétrolières et les ressources. Ce qui se passe dans ce pays est
essentiellement une question intérieure déterminée par une lutte pour le
pouvoir entre les différents segments de la société yéménite.
Les Saoudiens exagèrent le rôle de l’Iran dans ce conflit. Une telle
lecture simplifie la relation complexe entre les forces extérieures
internationales sur ce conflit et sous-estime l’importance des facteurs
économiques, sociaux et politiques intérieurs qui exercent des effets
indépendants des forces extérieures. Bref, les institutions étatiques
jouent un rôle-clé ; ce sont elles qui définissent les règles de
l'appartenance politique, la représentation et l'allocation des
ressources.
L’appartenance à ces institutions, la représentation et l'allocation des
ressources sont structurées selon des critères culturels préalablement
établis, mais l’«identité politique» domine le jeu politique. Bien que
des facteurs extérieurs puissent déclencher des conflits, notamment
culturels, leurs effets sont atténués par d'autres facteurs.
Au Yémen, la fragilité de l’Etat rend impossible toute résistance. Le
Yémen est pris dans les affres de transformations économiques et
politiques provoquées par des facteurs et des forces externes. Dans ce
contexte éroder ou détruire de vieilles relations sociales, politiques
et économiques (de vieilles façons de faire les choses) et les conflits
suivent. Le résultat de ces luttes n’est pas prédéterminé.
Il y a des possibilités d'intervention avant que la violence n’éclate.
Mais au Yémen, les acteurs extérieurs ne font qu’exacerber la violence,
étant donné que leurs agendas divergent sensiblement. Plutôt qu'être
enraciné dans de vieilles haines ethniques-religieuses, le conflit au
Yémen est fonction de la position relative de l’État et l'identité des
Etats dominants de la région.
Pris dans leur ensemble, la violence culturelle éclate avec plus de
véhémence, là où déclin économique séculier, réformes économiques
néolibérales et transformation institutionnelle ont brisé les anciens
contrats sociaux ; c’est-à-dire où ils ont brisé les règles et les
normes par lesquelles l'accès aux ressources politiques et économiques a
été autrefois accordé. La mondialisation néolibérale est un déclencheur
de conflit culturel, mais elle n’est pas le seul déclencheur.
Dans un sens, la rupture des anciens contrats sociaux (par tous les
moyens) conduit à des changements dans le pouvoir politique. Lorsque ces
changements de pouvoir sont expérimentés comme discriminatoires et
privilégient une ethnie et une religion particulière, le ressentiment
offre un terrain fertile aux entrepreneurs politiques de mobiliser le
soutien autour des identités ethniques et sectaires. Cela est bien
visible au Yémen où chaque camp cherche à mobiliser autour de lui sur
une base religieuse.
L’Iran et l’Arabie Saoudite en particulier utilisent le même langage. A
la lutte yéménito-yéménite s’ajoute (est exacerbée par) le jeu des
puissances régionales, notamment les rivalités entre Ryad et Téhéran où
les facteurs identitaires et religieux sont utilisés comme des leviers
et des instruments pour l’accès au pouvoir et la mobilisation des
populations (au niveau intérieur) et la quête d’alliance (au niveau
extérieur).
De manière générale, les conflits dits ethniques, sectaires, religieux
ne sont pas causés par l’ethnicité ou la religion. Ce que l’on appelle
conflit ethnique (Arabe versus Perse) et sectaire (sunnite versus
chiite) n'est ni ethnique ni sectaire en soi. Plutôt, il s'agit de
luttes pour les leviers du pouvoir et des richesses au sein de la
société mais dans lesquelles l'ethnicité et la religion fournissent les
ressources culturelles et historiques pour mobiliser le soutien
populaire en faveur des régimes en place, notamment l’Arabie Saoudite,
en particulier. Plus que les Iraniens, les Saoudiens tendent à
ethniciser les conflits d’intérêts et les luttes pour le pouvoir (au
Yémen ainsi que dans d’autres régimes de la région) et les rivalités
géopolitiques régionales. Les sentiments d'identité de types
primordiaux, idéologiques ou politiques sont délibérément provoqués et
alimentés par des militants qui espèrent construire un capital politique
à travers la manipulation de tels sentiments. Cependant, ni la
manipulation des loyautés primordiales ni la survie des images négatives
et croyances dépassées sur l’«Autre» ne causerait beaucoup de tensions
ou conflits intergroupes, sauf si les conflits identitaires coïncident
avec un accès différencié au pouvoir, richesse et statut des groupes en
conflit.
La question des ressources est importante dans l’apparition des conflits
et l’intensité qu’ils prennent. La plupart des conflits sociaux sont
fondés sur la répartition inégale des ressources rares. Max Weber (qui a
identifié les ressources comme classe, statut et pouvoir) a également
souligné, à l’instar de Georg Simmel, l’importance des influences
transversales qui ont pour origine les différentes structures de
l'inégalité.
Ainsi, ce qui devient une source importante de conflits sociaux est la
co-variance de ces trois systèmes de stratification. Si le public
perçoit que le même groupe contrôle l'accès aux trois ressources, il est
probable que la légitimité du système sera interrogée parce que les gens
perçoivent que leur mobilité sociale est entravée. Peut-être est-ce là
qu’il faut chercher le facteur déterminant du conflit au Yémen où les
Houthis ont pendant longtemps été marginalisés. Les chiites dans les
pays du Golfe subissent la même marginalisation. C’est plus facile pour
les régimes du CCG d’ethniciser les revendications des chiites alors que
leurs révoltes sont principalement basées sur l’accès aux ressources.
Rivalités géopolitiques régionales
A vrai dire, un grand nombre des conflits (présentés comme ethniques,
identitaires, religieux) dans le monde arabe sont principalement fixés
sur l’accès aux ressources. Les enjeux au Yémen dépassent le Yémen.
Le CCG cherche à contenir l’influence grandissante de l’Iran.
L’intervention au Yémen est un message à Téhéran et les Etats-Unis ainsi
que les pays de la région n’ont pas l’intention de rester de simples
observateurs face à sa montée en puissance. Que la normalisation
américano-iranienne ne se fera pas au détriment des pays arabes. La
négociation sur le dossier nucléaire sera déterminante.
En 2010, l’ambassadeur des Emirats arabes unis à Washington, Yousef Al
Otaïba, a estimé qu’une attaque contre l’Iran est préférable à une bombe
iranienne. «Une attaque militaire contre l'Iran serait un désastre.»
Mais «l'Iran avec une arme nucléaire serait la plus grande catastrophe».
Par conséquent, «nous ne pouvons pas vivre avec un Iran nucléaire». A
ses yeux, «les Arabes sont encore plus concernés que les Israéliens au
sujet d'une bombe iranienne. Après tout, l'Etat juif a prétendument sa
propre force de dissuasion nucléaire, alors que les pays arabes enfin
dépendent de Washington pour les protéger».
Un ministre égyptien déclare sans ambiguïté que l’Iran constitue une
menace pour les pays arabes et non pas pour Israël. En 2006, un rapport
du Washington Institute for Near East Policy va dans ce sens en faisant
valoir que certains Etats comme l’Égypte, la Syrie, l’Algérie
emboîteront le pas à l’Iran.
L’Arabie Saoudite est le pays «à surveiller», conclut en 2006 un rapport
du Sénat américain. «Pratiquement toutes les personnes interviewées par
le personnel estiment que l'Arabie Saoudite serait le pays le plus
susceptible de posséder une arme nucléaire en réponse à une bombe
iranienne».
Le désaccord important porte sur la décision finale ainsi que la
capacité de l’Arabie Saoudite à obtenir une arme nucléaire, ajoute-t-il.
De hauts responsables de l’Otan ont été informés par le prince Turki al-Faisal
que son pays sera contraint de «poursuivre des politique aux
conséquences incalculables et éventuellement dramatiques» si les
intérêts saoudiens ne sont pas en compte.
Un proche du prince a sans nuance prévenu que «nous ne pouvons pas vivre
dans une situation où l'Iran a des armes nucléaires et, nous, nous ne
les avons pas. C'est aussi simple que cela. Si l'Iran développe l'arme
nucléaire, ce sera inacceptable pour nous et nous aurons à suivre son
exemple». Inversement, Alger ne considère pas l'Iran comme une menace et
lui apporte un appui diplomatique — le droit à un cycle nucléaire
complet.
L’Algérie semble vouloir garder ses options ouvertes en matière de
technologies d'enrichissement et de retraitement. Mais n’est ni un ami
ni un allié. Il y a un mariage de raison entre les deux pays qui se
traduit par une perception commune sur certaines questions
internationales et régionales. Plus de divergences que de convergences
dans l’ensemble. Pourtant, le résultat final de la crise du nucléaire
iranien pourrait orienter les décisions futures d'Alger en la matière.
Pour le Maroc, cela ne fait aucun doute. Le secrétaire général du
ministère des Affaires étrangères, Omar Hilale, a déclaré en 2006 (à
l’ambassadeur américain à Rabat) que «cela provoquerait une course à
l’armement dans la région et accélèrerait la poursuite de ce qu’il a
décrit comme un programme nucléaire militaire algérien […] Si l’Iran
réussit, dans les dix ans, d’autres pays du Moyen-Orient auront la bombe
et les Algériens suivront peu après».
A côté de l’Arabie Saoudite, l’Égypte est l’autre candidat probable.
L’ancien ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, a
clairement fait savoir en 2009 que «si le monde arabe se trouve pris
entre le marteau et l'enclume (Israël et l'Iran), il devra se chercher
un bouclier ; et ce bouclier ne sera pas occidental».
Dans ce cas, d’un point de vue algérien, une arme nucléaire égyptienne
serait probablement un déclencheur pour redémarrer (ou accélérer) ses
biens à double usage militaire ou liés à des activités nucléaires. Outre
la question des rivalités régionales, les deux pays ne s’apprécient pas
vraiment et ont une relation complexe extrêmement amère teintée de
ressentiment et de jalousie avec des racines historiques profondes. Dans
le débat sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, Alger a
clairement fait savoir qu'il n'acceptera pas que soit confié à l'Égypte
un siège permanent. Mais l’Algérie n’a rien à voir avec un Etat voyou.
Elle est très légaliste sur le plan international et respectueuse de ses
engagements internationaux.
Une cascade de prolifération nucléaire au Moyen-Orient n'est pas une
fatalité. Le «scénario d’effet domino nucléaire» sur l’Iran ne résiste
pas à un examen historique. Les motivations extérieures, le «dilemme de
sécurité» en particulier, n’expliquent pas à eux seuls la prolifération.
D'autres facteurs, comme le prestige, le type et la stabilité du régime,
la situation économique, peuvent avoir autant, si ce n’est plus d'impact
dans la détermination des résultats de la prolifération. Simplement dit,
il existe rarement une seule explication à la décision d'une nation de
se doter d'armes nucléaires. Techniquement, la différence entre le
militaire et le civil est le niveau de l’enrichissement qui est en fin
de compte une décision politique. Au regard de l’histoire de la
prolifération, la décision d’engager un programme nucléaire militaire
repose sur un certain nombre de conditions : la perception d’une menace
grave pour la sécurité du pays, l’absence de garanties de sécurité
crédibles, le besoin d’affirmer l’identité nationale, et disposer d’un
savoir-faire et de capitaux importants. Le risque de prolifération peut
se présenter dès lors que deux, au moins, de ces facteurs sont présents
; il peut être considéré comme extrêmement élevé dès lors que les quatre
sont réunis.
L’arsenal nucléaire israélien n’a pas, en tout cas, entraîné une course
au nucléaire alors qu’il considéré comme une véritable source
d’inquiétude pour la communauté internationale et la stabilité
régionale.
Pour le monde arabe, l’une des menaces qui émanent de la capacité
nucléaire d'Israël est son engagement parallèle à éviter la
nucléarisation arabe, même si ses installations sont à des fins
pacifiques — sous le contrôle de l’AIEA au moins. Pour les pays du
Golfe, l’émergence de l’Iran comme une puissance régionale (nucléaire ou
pas) constitue une menace à la stabilité des pays arabes du fait que les
minorités chiites seront plus confiantes et s’affirmeront davantage pour
améliorer leur situation. La solution dans ce cas devrait être plus de
réformes accordant de pleins droits aux chiites. En tout cas, le sort
des négociations sur le nucléaire iranien sera déterminant sur l’avenir
de la région. Dans ce contexte d’insécurité et d’instabilité, il n'est
pas étonnant que le Moyen-Orient reste une région caractérisée par la
croissance des forces armées nationales et des milices non étatiques, et
reste l'un des plus gros clients de différents types d'armes. Sans être
éphémère, cet engouement pour les armes a conduit les pays du Golfe à
lancer en 2010 le plus grand plan de réarmement dans l’histoire en temps
de paix. Il s’agit d’une commande de 123 milliards de dollars faite
auprès des Etats-Unis, pour les quatre prochaines années, afin de faire
face à l’Iran. C’est aussi la façon par laquelle les États-Unis visent à
parvenir à une nouvelle sorte de sécurité post-guerre Irak susceptibles
de sécuriser les flux d’énergie à l'économie mondiale. En même temps, la
vente d'armes va renforcer le niveau de la dissuasion régionale et
contribuer à réduire la taille des forces américaines que les États-Unis
doivent déployer dans la région.
L’objectif des Saoudiens est d’envoyer un message particulier aux
Iraniens – qu’ils gardent une supériorité aérienne totale sur eux. Même
si ces armes pourraient avoir un effet de dissuasion, cela prendra du
temps.
Les Américains et les Saoudiens ainsi que les Iraniens le savent. Alors
que les ventes d’armes américaines au CCG de plus en plus ne suscitent
plus les réserves de l’Etat hébreu, ces transferts d’armes semblent
accroître les tensions régionales au lieu d’être un facteur de
stabilisation.
T. H.
* Chercheur en histoire militaire (Université de Montpellier III)
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