Culture : Avant-première de Lotfi à la salle Ibn Khaldoun
Ahmed Rachedi, la saga continue !


Il devient de plus en plus évident qu’il existe aujourd’hui une confusion de taille entre industrie cinématographique et production à la chaîne. Colonel Lotfi, deuxième film en un temps record de Ahmed Rachedi, confirme cette tendance du cinéma officiel algérien.
Coécrit par Sadek Bakhouche et le réalisateur, le long-métrage historique Lotfi a été projeté hier en avant-première à la salle Ibn Khaldoun. D’une durée de près de trois heures, cette fiction produite par le ministère des Moudjahidine et le Centre national de recherche sur l’histoire de la guerre de Libération, s’inscrit en droite ligne de la sémantique de Rachedi qui reproduit ici la même recette qu’avec le très récent Krim Belkacem.
Campé par Youcef Sehairi, un acteur dont le talent a pu résister à une direction robotique, le personnage du colonel Lotfi est censé être révélé au grand public selon la nouvelle iconographie en vogue : l’humanisation du héros. Cette démarche qui consiste à se libérer (mais pas trop) de l’image d’un révolutionnaire rigide, surhumain et parfait, semble n’être, dans le cas de Rachedi, qu’une simple commodité périphérique.
La recette est toujours la même : on commence par une mise en contexte classique qui tente d’expliquer comment s’est forgé l’engagement du personnage, puis on monte au maquis où les scènes de batailles sont plus ou moins ratées, ensuite on assiste à l’inévitable chapitre politique expliqué à travers des dialogues pédagogiques et enfin, on arrive péniblement à la fin qui devient plus qu’urgente, vu l’étirement injustifié de la durée du film.
Ahmed Rachedi est le réalisateur par excellence quand il s’agit de perpétuer le discours officiel avec quelques aménagements destinés à faire croire que la propagande commence à fléchir au grand-écran mais qui ne sont, au final, que des trompe-l’œil préalablement autorisés par la Vieille Garde. Nous aurons donc droit à l’intégration au récit de certains conflits fratricides et autres trahisons tellement connus du grand public que l’autisme de la version officielle ne peut plus persister. Mais tout ceci s’avère être une «concession» minime censée créer un équilibre fragile avec une démagogie envahissante et totalement anti-cinématographique. Malgré les grands efforts de Youcef Sehairi, dans le rôle principal, on ne parvient jamais à dialoguer avec le colonel Lotfi ni à franchir cette éternelle barrière entre le spectateur et le totem glorifié qu’il voit à l’écran. A cela s’ajoutent les désormais impardonnables maladresses de la mise en scène qui s’enlise dans un filmage mécanique et souvent truffée de tours de passe-passe amateurs. On ne peut décemment comprendre comment des scènes de batailles se transforment en grossiers artifices avec d’invraisemblables effets spéciaux et comment des révolutionnaires deviennent des combattants de pacotille qui tirent sur des bouteilles et paniquent au moindre pépin. Un amoncellement de petits ratages qui composent un produit hybride et incompréhensible tant Ahmed Rachedi semble croire que l’ambition d’un film doit sa réussite aux seuls moyens logistiques (du reste très importants) et non à la construction d’un récit cohérent et la création d’une image crédible. Malheureusement, la complexité humaine et intellectuelle du colonel Lotfi ainsi que celle de tous ses compagnons font les frais de cette écriture grandiloquente et de cette mise en scène ankylosée qui ne laissent aucune chance à la moindre émotion de germer. Inutile de préciser, enfin, que la mort héroïque du Colonel et de ses camarades à Djebel Béchar est probablement la seule image où le réalisateur prend le temps de filmer un moment profondément humain et de se débarrasser de ce trop-plein de gesticulation et de démagogie qui a étouffé l’œuvre.
Sarah Haidar



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