Actualités : Annonces classées
Par Hadj-Chikh Bouchan
Sa maman souffre d’un cancer du foie avec métastase. A ses dires,
le jeune étudiant Belkacemi Massinissa croit que seule une radiologie
interventionnelle pourrait l’aider.
L’opération se déroulerait au CHU de Villejuif, à Paris. Lui, sans
ressources, en appelle, dans les colonnes du quotidien Le Soir d’Algérie
du 28 mars, aux âmes charitables pour l’aider à financer ces soins.
Preuve de sa bonne foi, l’aide sera versée, par les donateurs, écrit-il,
directement dans le compte du CHU. Dans la même édition, paradoxalement,
toujours sous la rubrique «Offre d’emplois», cinq SOS de lecteurs
sollicitent, le premier une assistance pour acquérir des sondes
auto-sondages lubrifiées n°8, le second, un fauteuil roulant, le
troisième, le quatrième et le cinquième… des couches pour adultes. Nous
en sommes là. C’est loin la médecine gratuite pour tous. Du coup,
j’oubliais Louisa Hanoune qui réclame, à la «une», qu’on «redonne la
parole au peuple». Comme s’il en avait jamais usé depuis 1962. Je tins
pour secondaires les inquiétudes que suscite la performance des «Verts»,
battus 1 à 0 par le Qatar – rendez-vous compte ! Le Qatar ! Mais bon.
Tout comme la flambée des prix des fruits et légumes dans nos marchés
algérois et d’ailleurs. Je décidai de prendre, toujours dans mes
tourments, pour une erreur typographique, une simple correction d’un
mastic — comme on dit dans le jargon de l’imprimerie —, la seconde
version du message du président de la République, abondement commentée
par ailleurs. Car, il faut bien s’entendre, ni une course pour la
conquête — et non pas la reconquête — du droit des citoyens à exercer
leur devoir dans le cours de la vie du pays, ni les pointures de nos
footballeurs importés d’autres écoles, ni l’absence de contrôle des prix
sur les marchés, encore moins la version revue et corrigée de la missive
au peuple ne pouvaient cacher, à mes yeux, la misère de ces demandes
d’assistance médicale.
De quel poids pèse une autoroute budgétivore, un métro ou un tramway,
des voitures neuves mises sur le marché à grand renfort de publicité
quand, dans le même temps, un patient ne peut accéder à des couches, à
un fauteuil roulant, à des sondes, à une prise en charge dont
bénéficient d’autres personnes et personnages ? Il est un pays qui ne
produit pas de pétrole, qui ne mobilise pas tout le savoir de son élite
pour justifier ou réfuter la fracturation hydraulique. Un pays dont les
enseignants n’engagent pas un bras de fer avec la tutelle au risque
d’une «année blanche» pour des millions d’élèves.
Mais ce pays-là dispose du meilleur système médical, gratuit, de
surcroît, de la planète, selon l’Organisation mondiale de la santé,
d’une éducation de très haut vol, dixit l’Unesco, et d’une vie de tous
les jours, sans prétention et sans prétentieux. Ce qu’ils produisent,
ils l’investissent chez eux. Pas tout à fait comme nous. Mais, comme
nous, ce pays a ses ennemis. A 160 kilomètres de ses côtes.
Non pas un substitut d’ennemi de seconde zone, mais le premier d’entre
tous. Là-bas, les batteurs donneraient des leçons de baseball à ceux qui
ont créé ce jeu. Sans autoroute Est-Ouest construite par des bâtisseurs
venus d’ailleurs. Sans buildings pour donner le vertige, élevés par des
constructeurs «importés». Là-bas, ils roulent en Oldsmobile, Pontiac et
Buick modèle 52 et 58 que de géniaux mécaniciens ressuscitent chaque
matin. Là-bas, aucun Cubain n’a jamais publié une annonce dans le
quotidien Granma, ou dans le Herald of Miami, pour solliciter
l’assistance ou la générosité de la diaspora. Parce que la solution est
à Cuba. Notre médecine gratuite, nous avons voulu sa mort.
Comateuse, parce qu’on l’a voulu, personne n’a voulu la rendre à la vie.
La formation devint contestable. Des thèses plagiées sur Wikipédia. Les
meilleurs d’entre eux, ceux pour lesquels la médecine est avant tout un
sacerdoce, peuplent les hôpitaux d’Europe. Chacun d’entre nous pourrait
en nommer. Ils acceptent même les salaires d’infirmiers, parfois, faute
de reconnaissance d’équivalence des diplômes.
Des «infirmiers» de très haut vol, naturellement. Mais ces produits des
plus gros efforts accomplis par une nation en matière d’éducation,
curieusement, ont préféré s’évader. Faute de mesures d’accompagnement
pour leur éviter la misère intellectuelle. D’autres ont ouvert des
cliniques privées. Preuves qu’ils n’ignorent rien de la bonne gestion
d’un centre de santé. Qu’il suffisait — et Dieu sait que je déteste tous
les «il n’y a qu’à» — de créer l’environnement pour qu’ils exercent dans
les meilleures conditions dans les hôpitaux d’Etat. Les vôtres. Les
miens. Avec l’autorité qui va avec. Pour qu’ils puissent aimer leur
patrie comme ils l’entendent en tant que professionnels, sans
interventions. Je lis, ce matin du 29 mars, que, pour rattraper les
retards, selon Algérie Focus, le réseau national de la santé pourrait –
notez le conditionnel – se voir allouer une enveloppe de 1 000 milliards
de dinars pour la réhabilitation de 15 CHU, répartis à travers le
territoire national, et la construction de cinq autres dans cinq wilayas
du pays. Mardi dernier donc, 26 mars, M. Lazhar Bounefaâ, directeur
général de l’Agence nationale de gestion des réalisations et
d’équipement des établissements de santé (ARES), l’a assuré. Louable
intention.
Ce monsieur ajouta : l’Algérie, qui dispose de 77 000 lits (dont 4 000
au niveau du secteur privé) disposera alors de 112 000 lits, atteignant
enfin les normes internationales : 3,4 lits pour 1000 habitants. Il a
fallu attendre des dizaines d’années, 52 ans d’indépendance — et une
parenthèse volontairement bâclée d’une médecine gratuite — pour se
réveiller et faire ce constat ! Pour être sarcastique, je dirai qu’il
était sans doute plus urgent, à l’époque, d’ériger le monument qui trône
sur les hauteurs de la capitale, pour ne pas le nommer, par le canadien
Lavallin. Pour éviter le Carré des martyrs.
Le vrai. Pour éviter de les entendre gémir quand les responsables de ce
pays se seraient pliés au protocole en observant une minute de silence
en leur mémoire. Parce qu’ils les auraient entendu leur rappeler ces
strophes d’une chanson patriotique d’antan, trop longtemps peut-être,
qui recommandait de ne pas «oublier les martyrs, qui ont sacrifié leur
vie pour ce pays, ceux dont les voix vous murmurent que notre sanctuaire
est la liberté, le sacrifice notre slogan et l’indépendance notre idéal
pour que vive la Nation». Oui. Jamais il ne suffira de construire des
hôpitaux ou en réhabiliter quelques autres si, en amont et en aval,
l’improvisation est… orchestrée. J’ai également lu, par ailleurs, que de
hauts responsables de la santé proposent de facturer les soins prodigués
dans ces centres hospitaliers. Il ne manquait plus que ça. En d’autres
termes, frapper les bourses des moins nantis. Parce que les autres, eux,
messieurs, ça leur passe par- dessus la tête. Ils consultent le privé.
Et quand ce privé bute sur ses propres limites et celles de la
technologie – elle aussi importée –, leurs patients prennent l’avion.
Et quand ils prennent l’avion, eux, ils ne publient pas une annonce dans
la rubrique «offres d’emplois» pour appeler aux dons. Pouvez-vous me
dire, dès lors, ce que valent donc tous les discours devant les appels
pour se procurer des sondes, une assistance financière pour subir des
soins en France, un fauteuil roulant ou des couches ?
H.-C. B.
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