Monde : Bruxelles, Washington, Moscou, Paris, Berlin, Londres poussent pour la reprise des négociations Maroc-Polisario
Quand les lignes bougent au Sahara occidental


De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari
L’Union européenne presse le Maroc pour la reprise des négociations avec le Polisario, Paris n’est pas contre, Moscou s’investit dans le dossier alors que les USA ne s’opposent pas à une résolution contraignante pour Rabat, fin avril prochain. Lumières pour le peuple des Ténèbres.
Fin avril, le Conseil de sécurité de l’ONU examinera, c’est devenu un rituel, le dossier sahraoui. Cette fois-ci, pourtant, il y a beaucoup de nouveau, l’ordre établi peut être bouleversé en faveur du Polisario. Des signes avant-coureurs apparaissent. Tout d’abord, l’Union européenne qui travaille bien pour la reprise du dialogue direct entre le Maroc et le Front Polisario. Courroux de Rabat certes, mais la tendance diplomatique de Bruxelles est lourde et les responsables européens, Jean-Claude Juncker, président de la Commission, n’entrevoient pas d’autre alternative à des tours de table, fréquents, réguliers et avec des points précis de discussion entre la représentation légitime sahraouie et le Maroc.
L’Union européenne ne veut plus apparaître comme complice dans l’occupation par le Maroc de territoires identifiés comme non-autonomes et relevant de la doctrine des Nations Unies en matière de décolonisation. Elle le peut et le veut d’autant que la relation avec l’Algérie et la République sahraouie s’est nettement améliorée ces dernières années. Alger est la pièce maîtresse dans la lutte antiterroriste dans la région et dans la maîtrise des flux migratoires subsahariens vers l’Europe. Depuis les chutes de Ben Ali en Tunisie, de Gueddafi en Libye, l’Etat algérien reste un garant solide en matière de sécurité et dans la limitation des déplacements massifs du Sud vers le Nord.
C’est à partir de Tamanrasset, Tlemcen, Tébessa, Oum Teboul, des frontières algériennes d’avec la Libye, que «commence le confort européen», a dit, applaudi fortement, un eurodéputé dans un symposium intitulé «Sécurité européenne — le verrou algérien». La propagande marocaine tentant d’impliquer le Polisario dans des actes liés au terrorisme n’a pas pris et a été qualifiée de «ridicule» et «peu crédible» par les différents services de renseignement des pays européens. Les fins limiers allemands, britanniques, belges, espagnols, italiens et français ont tous conclu que le Polisario était plutôt un partenaire de la lutte antiterroriste.
Des contacts secrets ont même été établis avec la direction sahraouie en cette affaire. Rien ne permet de ne pas estimer que le Polisario n’a pas apporté une contribution efficace dans la lutte antiterroriste. Des gorges profondes bruxelloises ne l’excluant nullement.
L’autre élément important à soulever est la position française. Des indices probants laissent à supposer qu’entre Paris et Rabat, le rebond diplomatique attendu, depuis une longue période de désamour, n’est pas intervenu. Mohammed VI a été reçu, à sa demande, à l’Elysée et le ministre des AE, Laurent Fabius, est allé au Maroc.
Depuis, plus rien, même si les deux parties évoquent la «bonne» ou l’«harmonieuse» entente entre elles. Bruxelles parle de «brouille» profonde, à cause, précisément, de la question sahraouie. Paris ne voulant pas être en reste de la position européenne, favorable à une reprise du dialogue Polisario-Maroc, aurait demandé au roi d’infléchir sa position et d’envoyer des émissaires de haut rang pour parler avec les Sahraouis. Laurent Fabius, le relex, et beaucoup de responsables politiques dont Jean-Yves le Drian (défense), Ségolène Royal (n° 3 de l’exécutif) et des cadres qui comptent dans l’appareil de l’Etat, sont tous favorables à l’alignement sur le consensus onusien sur la question.
Le Drian, ministre de la Défense, serait le plus militant de cette option. L’intérêt de la France passe, selon lui, par «le règlement du conflit sahraoui» ou, à tout le moins, «une neutralité française». Pour le marchand d’armes qu’est un ministre de la Défense, cette évolution permettrait de passer des contrats intéressants avec l’Algérie que l’actuel parti-pris en faveur du maroc ne permet pas.
Le Drian, proche parmi les proches du chef de l’Etat, considère que «l’Algérie achète énormément d’armes et de matériel de guerre aux Russes, Américains, Allemands et Britanniques» alors que la France devrait être partenaire exceptionnel dans le négoce, si lucratif et si intéressant politiquement.
Le dossier sahraoui mériterait, selon François Hollande, selon des indiscrétions de Bruxelles, «une attention davantage particulière de la France».Le mental français serait donc prêt pour une évolution doctrinale sur le Sahara occidental. L’autre élément qui bouge la France est le rapprochement de la Russie avec le Polisario. Il est vrai que depuis quelques mois, Moscou et Tifariti multiplient les contacts, les approches et les discussions en vue. Les Etats-Unis, en ce qui les concerne, n’opposeront pas de veto s’il y a résolution contraignante pour le Maroc au Conseil de sécurité, ce qui serait un bouleversement majeur. En l’Etat actuel du rapport de force sur le dossier, Rabat ne peut espérer qu’une ruse de Paris pour gagner du temps à l’ONU.
La France sacrifiera-t-elle ses relations, devenues exceptionnelles, avec l’Algérie pour «les beaux yeux» du Maroc en prenant le risque de voir les USA, la Russie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne porter seuls le processus d’autodétermination du peuple sahraoui avec le danger d’un refroidissement dommageable avec Alger et une perspective peu glorieuse de s’isoler sur une question, somme toute, pas majeure pour l’intérêt de la France.
Dans la même veine, le Conseil de sécurité de l’Union africaine a annoncé la couleur en se portant garant, en tant que coresponsable, du processus onusien d’autodétermination du peuple sahraoui, de l’aboutissement du projet. A moyen terme, les observateurs et experts prédisent une forte intrusion de l’Iran dans le dossier avec, à la clef, une reconnaissance du Polisario et même de la RASD.
Sahraouis et Iraniens n’attendent que la signature de l’accord sur le nucléaire iranien pour amorcer ce tournant. Signe des temps, le Forum social de Tunis a appelé au règlement des questions coloniales selon les principes de l’ONU.
Autant d’éléments qui indiquent que les choses bougent au royaume du peuple des Ténèbres, les Sahraouis.
A. M.



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