Contribution : Sous le prisme du «dilemme de sécurité»
Les enjeux de la nucléarisation civile du monde arabe
Par Tewfik Hamel(*)
La «personnalité stratégique» de l’Etat est déterminante en matière de
prolifération nucléaire. L’Algérie a toujours été respectueuse de ses
engagements internationaux. Elle n’est pas un «Etat voyou». Malgré son
statut de puissance moyenne, elle a su jouer un rôle important dans
beaucoup de questions d’une grande importance au sein de la communauté
internationale, notamment celle de la prolifération nucléaire.
C’est le rôle de l’Etat et des intellectuels de forger un discours
structurant global, clair sur ces questions. Si un jour se posera-t-il,
le problème de la prolifération au Maghreb se pose faiblement et
différemment par rapport au Moyen-Orient, bien que les deux régions
soient traversées par des dynamiques plus ou moins interdépendantes à
certains égards. L’absence de tout Etat doté d'armes nucléaires en
Afrique et l'existence du traité de Pelindaba de 1996 instituant une
zone exempte d'armes nucléaires à l’échelle du continent assurent
théoriquement qu'il n'y aura pas d'armes nucléaires dans la sous-région.
Si la dynamique de prolifération en Afrique du Nord avait un sens, elle
serait certainement déterminée, sinon alimentée par l’évolution du
contexte mondial et moyen-oriental en particulier dont la responsabilité
des pays occidentaux n’est pas moindre. Le 19 septembre 2009, l’Agence
internationale de l’énergie atomique (AIEA) a adopté une résolution
épinglant Israël lui demandant de se soumettre au régime de
non-prolifération. Elle fut adoptée par 49 voix (y compris la Russie et
la Chine) contre 45 (tous les pays occidentaux) et 6 abstentions.
L’expansion du nucléaire civile dans le monde arabe
En effet, au lieu de favoriser «l’émergence d’un multilatéralisme fondé
sur les vertus de la concertation, de la coopération et du partenariat»,
se désole le président Abdelaziz Bouteflika (dans son discours à la 64e
session de l'Assemblée générale de l’ONU en septembre 2009), force est
de reconnaître que les «objectifs primordiaux du désarmement et de
non-prolifération (...) demeurent otages de la politique des deux poids,
deux mesures, de pratiques discriminatoires et de non-respect des
engagements pris, en particulier, par certaines puissances nucléaires».
Ainsi la posture nucléaire modifiée de la région Moyen-Orient et Afrique
du Nord (Mena) présente une autre caractéristique inquiétante du paysage
de la sécurité régionale. En l'espace de onze mois, entre février 2006
et janvier 2007, 13 pays au moins de la région ont relancé ou annoncé de
nouveaux plans pour poursuivre ou explorer l'énergie nucléaire civile.
Depuis lors, plusieurs de ces Etats ont consolidé leurs plans. Ce regain
d'intérêt pour le nucléaire civil est remarquable, étant donné
l'abondance des sources d'énergie traditionnelle et la faible présence
de l’énergie nucléaire dans la région. En septembre 2006, c’est via
Djamel Moubarak, et sous la pression de l’opposition, que l’Égypte
affirme sa détermination de ressusciter son programme nucléaire après
son gel en 1986. Plus loin, à l’Est, ce sont les pays du Conseil de
coopération du Golfe (CCG) qui évoquent, en décembre 2006, des plans de
développement de leurs capacités en matière d’énergie nucléaire sous le
contrôle de l’AIEA. En septembre 2007, le secrétaire général du CCG
dévoile les grandes lignes de plans quant à la construction d’une
centrale nucléaire à l’horizon 2009. Des six pays, seule l’Arabie
Saoudite possède un programme nucléaire de recherche et aucun d’eux ne
dispose de réacteurs nucléaires.
En avril 2007, c’était au tour du roi de Jordanie de déclarer que son
pays va adhérer à ses voisins dans la poursuite d’un programme de
développement de l’énergie nucléaire. Le Maghreb ne fait pas exception.
Le Maroc et la Tunisie ont annoncé de nouveaux plans de programmes
nucléaires. Malgré leur manque de combustibles fossiles, les ambitions
déclarées des deux pays restent relativement modestes. Leur expertise
scientifique et d'ingénierie dans le domaine nucléaire reste limitée. Le
Maroc manifeste son engouement pour le nucléaire en approuvant en 2005
la construction d’une centrale nucléaire et affirmant, en avril 2006, sa
volonté d’élargir son programme d’énergie nucléaire et en organisant une
conférence internationale sur la technologie nucléaire. La visite au
Maroc, en septembre suivant, du président Poutine en apporte un nouvel
élan. Via son porte-parole, l'agence russe d'exportation nucléaire,
Atomstroïexport, a indiqué qu’elle se joindra à l'appel d'offres du
Maroc pour la construction de la première centrale nucléaire de 900-1000
MW qui probablement serait opérationnelle à l’horizon 2016-2017. En
octobre 2007, la France signe un contrat avec le Maroc pour aider à
développer son projet nucléaire civil. Le Maroc exploite actuellement un
petit réacteur de deux mégawatts fournis par les Etats-Unis en vertu des
garanties de l'AIEA.
En novembre 2006, le responsable d'une compagnie de gaz et d'électricité
tunisienne annonce que Tunis aura son premier réacteur nucléaire d'ici
2020. En avril 2009, la France signe un contrat de 100 millions de
dollars avec la Tunisie pour contribuer au développement de son
programme nucléaire. L’Algérie ne fait pas exception. Etant donné
qu’elle possède l'un des programmes nucléaires scientifiques les plus
avancés dans le monde arabe, il n'est pas surprenant qu’elle envisage le
rôle que pourrait jouer l'énergie nucléaire, y compris à des fins de
dessalement. En novembre 2006, le pays souligne sa volonté d’élargir son
potentiel en matière d’énergie nucléaire. Par la suite, l’Iran, via son
président, lui a proposé de lui apporter son soutien.
D’ailleurs, réaffirmant son soutien à la position iranienne au cours de
la visite du président M. Ahmadinejad à Alger en août 2007, Bouteflika a
déclaré qu'il était «inacceptable que les pays qui sont membres du
Traité de non-prolifération nucléaire soient contraints, en raison des
interprétations sélectives et unilatérales, de renoncer à leur droit
normal et légitime d'acquérir ces technologies à des fins purement
pacifiques».
En février 2009, Alger annonce qu’elle envisage la construction d’une
centrale nucléaire d'ici 2020, et d’un nouveau réacteur «tous les cinq
ans» par la suite. Ces dernières années, Alger à signer plusieurs
accords avec Pékin, Moscou, Buenos Aires, Washington, Paris, Séoul, pour
ne citer que ceux-ci, pour le développement de l’énergie nucléaire.
La capacité d’une nation à poursuivre un programme nucléaire militaire,
mis a part l’accès aux matières fissiles, dépend aussi de la maîtrise de
la technologie et d’un savoir-faire. A supposer que les Algériens les
possèdent aujourd’hui, force est de reconnaître que la volonté est
l’acte fondateur de la prolifération, son catalyseur. Le niveau
d’enrichissement distingue le civil du militaire, mais la frontière
reste politique (il n’existe qu’une seule matière fissile dans la nature
: l’uranium 235. Mais cet isotope de l’uranium ne représente que 0,7% de
l’uranium naturel, le reste étant des isotopes 238).
La fabrication d’une arme nucléaire nécessite soit de l’uranium qui est
«enrichi» à 80-90% d’uranium 235 - comme celle d’Hiroshima - ou du
plutonium 239 - comme celle de Nagasaki). C’est pourquoi il convient de
prendre prudemment les analyses fondées sur la simple appréciation
technique des risques basée sur la capacité. Les arguments de type «je
peux le faire donc je vais le faire» ne tiennent pas et sont contredits
par des exemples historiques. L’Egypte, par exemple, a même refusé une
proposition d’achat d’armes nucléaires sur le marché noir.
Il n’est pas nécessaire d’avoir un programme civil pour développer un
programme militaire comme c’est le cas d’Israël dont le programme était,
dès le début, purement militaire. Ce qui signifie qu’un programme
nucléaire civil comme une couverture aux activités militaires n’est pas
toujours nécessaire. Le meilleur exemple en la matière est Israël. Le
développement de l’énergie nucléaire à des fins civiles est une
nécessité pour le monde arabe. Il ne faut pas sous-estimer les enjeux
économiques qu’offre la technologie nucléaire. Le développement de
chaque nation est fonction de sa consommation en eau et en énergie, et
le nucléaire constitue l’une des solutions.
La politique des armes nucléaires est aussi influencée par la politique
de l'énergie nucléaire. Son attirance pour les Etats du Golfe est une
source de suspicion pour certains observateurs, qui craignent que de
tels projets, en particulier lorsqu'ils sont menés par les Etats
flottant sur un océan de pétrole, ne peut être qu’un masque pour le
développement des armes. Historiquement, le lien entre l'énergie
nucléaire et la prolifération des armes n'est pas fort. Les efforts de
ces pays dans le développement de leur potentiel en matière d’énergie
nucléaire reflètent ces enjeux économiques ainsi que de sécurité. Il
s’agit de positions à travers lesquelles les pays arabes envoient plus
d’un signal :
-
Un message à Téhéran que les pays de la région
n’ont pas l’intention de rester de simples observateurs face à sa
montée en puissance, que «les Arabes sont encore plus concernés que
les Israéliens au sujet d'une bombe iranienne» ;
-
Un signal aux puissances extérieures telles la
Russie, la Chine, l’Inde sous-entendant que l’ère de l’hégémonie
américaine touche à sa fin, et que l’occasion est propice pour se
lancer dans des partenariats politiques, militaires et économiques
dans lesquels la coopération dans le domaine de l’énergie nucléaire
constitue l’un des facteurs déterminant tout renforcement et
élargissement de ces partenariats ;
-
Des signaux en direction des Etats-Unis qui
reflètent les inquiétudes et les attentes des pays de la région
quant à la nécessité d’avorter les ambitions iraniennes et quelles
sont les conséquences probables en cas d’échec ; la colère et la
frustration de la région des politiques américaines ;
-
Un message sous-entendant qu’un retour aux
anciennes politiques entre Washington des les différentes capitales
régionales n’est plus possible et que le temps est révolu ; mais il
est possible pour Washington de parvenir à un règlement de toutes
ces questions dans les cinq ou sept ans (voire plus) à venir. C’est
le temps nécessaire pour que ces programmes deviennent véritablement
opérationnels ;
-
Des signaux en direction des populations et
élites politiques comme quoi rien n’oblige les régimes de la région
à accepter ni les garanties américaines ni à subir les têtes
nucléaires israéliennes et les menaces iraniennes ;
-
Un signal à l’Etat hébreu comme quoi celui-ci
risque de perdre son monopole nucléaire ;
-
Le développement de programmes nucléaires sous le
contrôle de l’AIEA offrira aux pays concernés une légitimité et une
distinction des pays tels Israël (non signataire du TNP) et l’Iran
(une politique opaque) au sein de l’AIEA et sur la scène
internation.
L’enjeu de la possession d’un cycle nucléaire
complet
«L’affaire iranienne dépasse-t-elle la seule problématique nucléaire
pour matérialiser la fracture socioéconomique qui sépare — et oppose —
les anciens industrialisés des nouveaux, l’Occident de l’Orient»,
explique le général Pierre-Marie Gallois. L’Iran revêt une grande
importance — d’ordre symbolique — pour les Etats-Unis : l’Iran avait le
rôle de leader ou de modèle aux yeux d’autres pays en développement à
qui les Américains ont généralement toujours refusé d’avoir un cycle
nucléaire complet. Ce n’est pas le programme iranien qui inquiète les
Américains seulement, mais le symbole que ce programme présentera à
d’autres pays.
Les Etats-Unis se voient comme obligés de les contrôler et l’Iran est un
modèle pour eux. Si Washington laisse faire l’Iran, d’autres pays
pourraient s’y inspirer.
Il y a là un enjeu de taille pour les Etats-Unis qui dépasse l’enjeu
iranien et a des implications d’ordre mondial. A l’échelle régionale,
cela conduirait les pays arabes à entreprendre des efforts comparables,
suscitant ainsi des problèmes politiques avec Washington. Du côté arabe,
l’acquisition de cette capacité nécessitera un grand nombre d’experts et
un long programme de formation. Indépendamment du régime en place, les
Etats-Unis ont toujours refusé à l’Iran le droit d’avoir un cycle de
combustible complet. Il y a à cela une raison officielle : les étapes de
retraitement et d’enrichissement dans le cycle fourniront de l’uranium
et du plutonium de qualité militaire. La raison officieuse, c’est que la
maîtrise de ce cycle pouvait aussi fournir à une nation une économie
plus efficace. Le retraitement et l’enrichissement sont deux étapes
essentielles dans le processus de la maîtrise du cycle de combustible.
Lors de chacune de ces étapes, il est possible d’accéder à l’uranium et
au plutonium de qualité militaire. Dans le Global Risks 2008, le World
Economic Forum, le problème est que l'énergie nucléaire repose sur
l'accès à l'uranium enrichi. Certains pays explorant une capacité
nationale de l'énergie nucléaire ont peur qu'ils soient bloqués à
l'avenir par les six Etats qui produisent actuellement de l'uranium
enrichi sur une base commerciale : France, Allemagne, Pays-Bas, Russie,
Royaume-Uni et Etats-Unis. Pour éviter cela, ils peuvent décider de
construire leurs propres installations d'enrichissement d'uranium. Mais
si cela se produisait, les structures internationales qui régissent les
technologies nucléaires seraient brisées, et les risques d’une
prolifération plus large augmenteraient dangereusement, dit-il.
En réalité, il n'est pas facile de détourner des matières fissiles
d'installations déclarées exploitées en vertu de garanties de l'AIEA.
Sans être déterminant, un programme nucléaire civil pourrait toutefois
soutenir un projet nucléaire clandestin, mais indirectement.
En effet, avoir un cycle nucléaire complet est d’une grande importance
pour rationnaliser les coûts et maximiser la rentabilité des centrales
nucléaires. Les enjeux de l’enrichissement et du retraitement sont
simples. Si l’opérateur ne possède pas la possibilité d’enrichir son
combustible, le fuel enrichi utilisé dans les réacteurs est fabriqué par
une partie tierce. Ce dernier a toujours la possibilité de ne pas
fournir ou imposer le prix qui lui convient. La nation opératrice aura
alors perdu sa souveraineté sur la gestion du cycle nucléaire.
Si l’opérateur n’a pas la possibilité de retraiter, et donc de
réutiliser son combustible, il est doublement dépendant des
fournisseurs. Il sera obligé d’accepter le prix du combustible enrichi
et il ne pourra pas obtenir un prix élevé pour son combustible «usé»,
car il n’aura pas la possibilité de le retraiter. Ceci affectera les
économies des centrales nucléaires de manière importante. Les Etats-Unis
imposaient leur contrôle sur les combustibles usés et insistaient pour
ne pas laisser les pays retraiter leur propre combustible usé, car il y
avait dans celui-ci du plutonium. Pour les pays utilisateurs de
l’énergie atomique, l’enjeu de retraitement est commercial.
Si le coût de retraitement des déchets et leur utilisation comme
combustible dans les réacteurs est inférieur au coût d’achat d’uranium
enrichi, ils ont intérêt à opter pour le retraitement. Pour les
Etats-Unis, cela représente un enjeu commercial et politique. Non
seulement le retraitement peut réduire le coût unitaire énergétique des
pays concurrents, mais il peut ainsi leur fournir des moyens de
dissuasion et de défense qui diminuent la supériorité militaire des
Etats-Unis. Il est aussi plus facile d’utiliser du plutonium dans une
arme nucléaire que de l’uranium enrichi.
Le programme nucléaire algérien
Les circonstances et l'ampleur du programme algérien ont éveillé des
soupçons en Occident sur les ambitions nucléaires de ce pays. Les
responsables algériens ont aussi été très francs sur la valeur
géostratégique d'une capacité nucléaire civile. Un haut responsable
algérien a révélé en 1992 que «dans dix ans, il y aura deux pays en
Afrique que les Etats-Unis prendraient au sérieux - l’Afrique de Sud et
l’Algérie - qui seront tous les deux des puissances nucléaires». Selon
Ian O.
Lesser de la Rand Corporation, «le fonctionnaire dans ce cas faisait
probablement allusion au développement du nucléaire civil, mais la
déclaration a été intentionnellement ambiguë».
L’Algérie est toujours perçue comme représentant un risque potentiel en
matière de prolifération. Il a suffi qu’Alger exprime son intention de
développer son propre programme d’énergie nucléaire civil pour susciter
de la polémique. Elle attire toujours des soupçons alors
qu’officiellement elle est membre du TNP depuis 1995 et ses
installations sont sous le contrôle de l’AIEA. La réaction d’Alger a
toujours été de rejeter catégoriquement toute accusation et que ses
installations nucléaires sont ouvertes aux inspections de l’AIEA. La
réalité en effet est qu’il n’existe aucune preuve réelle que l'Algérie a
mis en œuvre de grands programmes pour acquérir effectivement des armes
nucléaires ou a examiner les options pour l'acquisition de missiles de
longue portée.
En outre, il est inutile pour un Etat de développer des armes nucléaires
si les systèmes de livraison de ces armes sont au-delà des capacités de
l'Etat. Les deux sont des processus liés.
Ces armes pourraient être livrées par des moyens allant de simples
options (par exemple, navires, camions...), aux aéronefs, aux missiles
de croisière ou balistiques. Mais la méthode préférée pour la livraison
d'armes nucléaires a été les missiles balistiques bien que les missiles
de croisière peuvent constituer un système plus réaliste pour de
nombreux pays. Cependant, en dépit de la tendance en cours considérée
croissante, à savoir le nombre croissant des pays qui produisent et
développent des missiles, les pays du Maghreb n’y font pas partie.
A noter que seize pays dans le monde sont connus pour produire des
missiles balistiques : Etats-Unis, France, Russie, Chine, Corée du Nord,
Corée du Sud, Taïwan, Inde, Pakistan, Iran, Irak (de Saddam), Israël,
Égypte, Syrie, Ukraine, et l'Argentine. Plusieurs autres pays (y compris
l'Allemagne, le Japon, la Grande-Bretagne, Afrique du Sud, le Brésil et
l'Argentine) pourraient produire des missiles balistiques, mais ont
choisi de s’y abstenir. En outre, plus de 80 pays possèdent des missiles
de croisière ; environ 40 les fabriquent ou y ont la capacité.
A vrai dire, les énormes enjeux économiques que représente l’énergie
nucléaire sont souvent mis en avant et qu’il faut garder à l’esprit.
Contrairement à la plupart des produits sur le marché instable
d'aujourd'hui, l'uranium sera celui qui augmentera sensiblement (mais
sûrement) au fil du temps. L’intérêt croissant des pays en voie de
développement pour le nucléaire a été expliqué par D. Poneman. Dans les
années 1970, la vision des nations de cette question était d’une grande
importance et la plupart des pays cherchaient à accéder à l’énergie
nucléaire. «Si un pays ne prenait pas cette voie, c’était à cause d’une
incapacité financière ou bien technologique.» Cet intérêt pour le
nucléaire s’expliquait par la volonté de ces pays d’«utiliser les
réacteurs nucléaires pour augmenter leurs capacités de génération
d’électricité, développer leurs capacités pour la construction des armes
nucléaires, ou simplement créer l’option de poursuivre des voies
militaires ou énergétiques dans le futur en fonction des exigences de
l’ère». A l’instar des programmes nuclélaires d’autres pays arabes
aujourd’hui, le programme de l’Algérie (et même de l’Iran) a toujours
été et est un mélange des deux : utiliser la technologie nucléaire au
lieu du pétrole et se garder le choix de poursuivre une option
militaire, si le besoin se faisait sentir. Ce qui n’est pas en
contradiction avec ses engagements internationaux. Toutefois, il est
vrai que d’un point de vue régional, le rapport des pays de la région au
nucléaire a énormément évolué. Le lancement de plusieurs programmes
civils est indissociable du contexte de l’après-pétrole, l’augmentation
de la consommation intérieure et la hausse des prix de l’énergie, mais
certains signes reflètent un stress vis-à-vis de l’environnement
sécuritaire. Si une aisance économique de certains pays est un
stimulant, les incitations, notamment le stress sécuritaire, ne manquent
pas.
En d’autres termes, bien que les avantages économiques aient été mis en
avant pour justifier les décisions de lancer des programmes nucléaires
civils, il reste que les facteurs politiques ont un rôle important.
L’arme nucléaire israélienne et le développement par l'Iran des
technologies nucléaires à double usage font partie de ces facteurs
politiques les plus saillants qui motivent au moins certains Etats de la
région. L’Iran a beaucoup investi dans son programme nucléaire et s’est
donné beaucoup de mal à y parvenir et garder son envergure secrète. Il
semble qu’il n’ait pas définitivement décidé de se doter de l’arme
nucléaire. Son approche consiste plutôt à voir ce que le pays peut se
permettre sans être inquiété, à attendre et voir ce qui se passe, à
garder toutes les portes ouvertes. En tout cas, il n’y a pas l’effet
domino nucléaire mécanique. La «personnalité stratégique» de chaque Etat
est déterminante. Les accusations de l’Algérie dans ce domaine relèvent
de la spéculation.
T. H.
(*) Chercheur en histoire militaire (Montpellier 3) et membre du comité
de lecture des revues Géostratégiques (France) et Magazine of Political
Studies & International Relations (Liban).
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