Chronique du jour : Tendances
TAFSUT N 80
Youcef Merahi
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L’écriture
de cette chronique coïncide, justement, avec le 20 Avril, date hautement
symbolique dans l’histoire de notre pays. Car en 1980, un intellectuel,
de haute volée, Mouloud Mammeri, pour le citer, a été interdit de
conférence par un pouvoir paranoïaque qui avait peur de l’Awal des
Anciens de l’Algérie. Ainsi donc, présenter «poèmes kabyles anciens» à
la communauté estudiantine de l’époque représentait un danger pour le
parti-Etat. Quelle dérision ! De là, l’absurde – dans toute sa crasse –
lança ses troupes belliqueuses sur de nouveaux prophètes de la
contestation politiquement pacifique qui brisa les chaînes de la peur
des fameux murs aux oreilles fureteuses et indiscrètes. 24, ils étaient
24 ! Comme l’a immortalisé, dans sa chanson, l’immortel chantre de la
berbérité, Matoub Lounès. Ils avaient pour eux le lyrisme de la
conviction chevillée au corps que le régime en place bridait l’Algérien
; ils avaient contre eux un pouvoir qui n’admettait aucun autre son de
cloche que le sien. Paix à ton âme, Mouloud !
Cet avril coïncide avec un événement vendu aux Algériens comme étant la
panacée à l’inertie culturelle au quotidien. Constantine, capitale de la
culture arabe ! On perpétue ainsi l’absolutisme de la décision
politique, optant sourdement pour la fuite en avant, falsifiant des
vérités historiques et installant le dogme d’une nation arabe qui
n’existe que dans leur fantasme. Pourquoi pas Alger, capitale de la
culture algérienne ? Pourtant, nos décideurs savent ou feignent
d’ignorer que le «boussat errih» enjambera, encore une fois, notre
espace territorial culturel. Mais enfin, comme le thé est servi, il faut
le boire ! ça y est, Constantine est capitale de la culture arabe : ils
sont tous là, ils sont tous venus, même ceux du mirage arabe. Puis, «galou
laâreb galou» ! Sans bouger le petit doigt ! Ah, ce pont qui porte le
nom de Salah Bey, ainsi que la salle de spectacle, le Zénith ! A quand
un pont Massinissa ? Massinissa qui doit se retourner dans sa tombe.
Puis, une question me brûle les lèvres : Ahmed Bey était-il algérien,
lui qui représentait la présence ottomane en Algérie ? Présence
coloniale, alors ? Chut, ne parlons pas de choses qui fâchent ! Pardon
de schématiser : en terre d’Afrique du Nord, un conquérant en chassa un
autre, dans une série démentielle que ne désavoue pas l’Histoire ; et
chaque conquérant y planta ses serres et les stigmates persistent, à ce
jour. La preuve !
Trente-cinq ans se sont écoulés : espoir, reniement, bravade,
inconséquence. Où en est-on avec tamazight trente-cinq ans après ? Oh la
question qui fâche ! A chacun de tirer vers soi la couverture. La
clandestinité du mythique MCB a été un élément incroyable d’unification,
d’audace dans la décision, de justesse dans la réflexion et d’esquisse
de l’avenir. Tamazight trouvera la plénitude de son Etre dans une nature
de l’Etat qui ne souffre aucune équivoque ; justement, il est question
de la nature de l’Etat qui conditionne l’avenir de tamazight. Maintenant
que le verrou salutaire de la clandestinité est levé, les acteurs de
l’amazighité ont fait prévaloir leur égoïsme politique et leur appétit
de pouvoir. Pouvoir immédiat ou pouvoir de postérité, c’est du même au
pareil. Cette journée du 20 me rappelle, malheureusement, la gestion de
la grève du cartable. Le but est identique, justement ; mais les
cavaliers ont enfourché diverses montures, faisant la joie du pouvoir de
l’époque. Que l’on se rappelle des commissions ceci, des commissions
machin et des commissions truc ! J’avais écrit, en ce temps-là, dans ce
même journal, qu’il n’y avait qu’un seul héros : l’élève, donc l’enfant
du boycott. Oh oui, il y a eu des acquis, beaucoup d’acquis. Mais des
acquis périphériques, pas des acquis centraux ! Et la récupération par
le système a fait sa sale guerre ! Le HCA a été présenté comme étant la
panacée, l’enseignement de tamazight – un recueil d’orphelins – comme
étant de la poudre aux yeux et une télévision qui folklorise ce qui ne
l’a pas été par l’usure du temps. Et le pouvoir semblant dire aux
Amazighs : allez-y, maintenant, enseignez votre langue, on se lave les
mains, c’est votre problème. Personne n’a eu l’idée de compter le nombre
de formateurs formés par le ministère en charge de l’enseignement. Par
contre, tous imputent au pauvre HCA l’échec de la réhabilitation de
cette culture. Et d’aucuns viennent pérorer, en ce 20 avril, que cette
institution disposait de «pouvoir exécutoire», mais que jamais elle n’a
mis cet instrument en avant de sa mission. Soyons sérieux ! A qui
profite cette vision réductrice d’un HCA que d’aucuns ont rejeté
d’emblée, comme un enfant non désiré ? Puis, comme un volcan endormi qui
se réveille de son sommeil, d’aucuns font de la gesticulation et
affirment, haut et fort, qu’il est grand temps d’officialiser tamazight
dans cette Constitution qui se fait désirée. Comme si l’article 3-bis
actuel a connu un semblant de traduction sur le terrain du vécu de la
société algérienne. Constatons et proposons sur la base d’un constat
lucide ! Personnellement, je ne crois pas en cette officialisation qui,
même si elle devait avoir lieu, resterait une disposition caduque avant
terme. Tant que je ne verrai pas le plus petit frémissement d’un
semblant de changement de la nature de l’Etat, je n’y croirai pas. Vous
vous imaginez le scénario : on a failli être soumis au référendum pour
voter que nous sommes des Amazighs ! Je n’invente rien. Remettons le
contexte dans son problème et vous verrez des lions se transformer en
nains. Question à un douro : qui est l’auteur historique de cette
envolée haineuse ? Tant que je ne verrai pas les trois dimensions
identitaires former un triangle équilatéral, l’officialisation restera,
pour moi, comme un cri qui ne dispose d’aucun écho. Et pourquoi ne pas
parler de réparation historique ? En attendant, arabisons la culture
dans nos grandes villes. Constantine, aujourd’hui. Demain, Médéa.
Après-demain, Biskra. Et Annaba. Et Laghouat. Et M’sila. Et Oran. Et
Tizi-Ouzou. Et. Et. Et. Il en restera bien quelque chose ! Tamazight
attendra bien quelques années, encore.
Y. M.
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