Soirmagazine : Enquête-Témoignages
La fessée, un moyen pour se faire obéir ?
Par Naima Yachir
Stressés, dépassés par le quotidien, beaucoup de parents avouent
recourir à la «fessée» pour se faire obéir.
Une pratique définie par certains comme le moyen le plus rapide de
mettre fin aux résistances de l’enfant ; pour d’autres, c’est aller trop
vite en besogne, sans en mesurer les conséquences. Témoignages.
Habiba, 58 ans, médecin
«Frapper un enfant, j’en connais un bout. Cela me renvoie à ma tendre
enfance lorsque mon père nous menaçait de son martinet en nous imposant
le silence à table. Huit enfants : six garçons et deux filles, ça
piaillait tout le temps. Moi, j’avais une peur bleue de cette chose.
Certes, il ne nous frappait pas tout le temps, mais il lui suffisait de
brandir son «arme» pour que je sois tétanisée. Un coup de martinet sur
les jambes, croyez-moi, cela fait mal et ça laisse des traces. Il ne
parlait pas beaucoup. Il travaillait au port comme manœuvre et le soir
quand il rentrait à la maison, il ne voulait entendre aucun bruit. Et
dans le trois pièces que nous occupions, ce n’était pas facile de
respecter sa loi. Ma mère, la pauvre, nous enfermait dans une chambre et
nous interdisait d’en sortir jusqu’au moment du dîner. Il y avait à
peine deux années de différence entre chacun de nous, alors imaginez
l’ambiance qui régnait à la maison. Il fallait faire nos devoirs sans
bruit en se partageant le même espace. Moi, je m’arrangeais pour tout
finir avant qu’il n’arrive. Ce qui m’a frappé le plus, c’est que je
vivais dans une constante terreur. Je rêvais d’un père docile, qui me
parlerait, me câlinerait, j’étais quelque part malheureuse. Il nous
aimait, je n’en doutais pas mais il ne le montrait jamais. Son souci
c’est que nous soyons disciplinés, nous ayons de bons résultats à
l’école et que nous devenions comme il le répétait souvent «quelqu’un».
Sur ce plan, il a réussi. Mais moi j’ai juré de ne jamais avoir beaucoup
d’enfants, et de ne jamais recourir aux coups.
Ma fille et mon fils sont mariés, j’ai réussi, même si ce n’était pas
toujours évident de les élever dans la non-violence. Elle est
architecte, il est médecin, et je pense qu’ils n’ont pas vécu mon
traumatisme.»
Salim, 40 ans, cadre
«J’ai trois enfants, l’aîné a dix ans, le cadet huit, et la benjamine
six. Je mentirai si je vous disais que je n’ai jamais donné la fessée à
mes enfants, mais je peux vous dire que ce n’est pas facile de se faire
obéir par les enfants de cette génération. J’ai parfois du mal à dire à
mon fils d’éteindre l’ordinateur ou la tablette et d’aller faire ses
devoirs.
Au bout de la troisième fois, parfois plus, et lorsque ma patience en
prend un coup, quelques tapes sur les fesses, ça donne des résultats.
Mais ce n’est pas systématique.
En fait, nous n’avons peut-être pas assez de patience. Le stress du
travail, les encombrements, la fatigue, tous ces facteurs jouent sur
notre moral, alors nous choisissons la solution de facilité. Trop
fatigués à expliquer, à répéter, nous recourons aux coups. Ça va plus
vite !»
Farid, 20 ans, étudiant
«Je n’étais pas un enfant facile. Rebelle, insoumis, je voulais que l’on
m’écoute, et qu’on prenne en considération mon avis. Ni à la maison ni à
l’école, je n’avais le droit de dire ce que je pensais.
La maîtresse n’y allait pas par 36 chemins. Elle avait un bâton, et
lorsque je sortais des rangs, je recevais des coups. Quand je me
plaignais à ma mère ou à mon père, j’avais droit à un ‘‘c’est bien fait
pour toi, tais-toi sinon je t’en rajoute’’. Je n’étais pas un mauvais
garçon, je voulais juste que l’on me parle, que l’on m’explique.
Pour moi ce n’était pas la mer à boire. Mais à l’époque je trouvais les
adultes trop nerveux, impatients, à la limite méchants. En tous cas je
ne pense pas que je ferai la même chose avec mes enfants. C’est trop
pénible à supporter. Le pire, c’est que ni les parents, encore moins les
enseignants n’en sont conscients.»
Souhila, 35 ans, femme au foyer
«J’ai deux enfants, Anis, quatre ans, Rima deux ans. Moi je dis que les
enfants de cette génération sont plus difficiles. Je ne peux pas
l’expliquer, mais je sais que j’ai du mal à me faire obéir par mon aîné.
J’ai l’impression qu’ils sont précoces. Ils sont téméraires et n’en font
qu’à leur tête. Je pense qu’il faut les écouter, les comprendre et
utiliser la manière douce. En fait, il faut être armé de beaucoup de
patience. Si je devais écouter ma mère et ma belle-mère, je leur
flanquerai tout le temps des fessées. Je ne pense pas que ce soit la
meilleure méthode.»
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