Chronique du jour : Tendances
Dire et pouvoir


Youcef Merahi
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La langue de bois, de ce bois si dur du séquoia, a malheureusement encore cours en Algérie. Qu’on se rappelle que la mairie d’Azazga est au stade d’asphyxie depuis des mois ; de ce fait, une commission «de haut niveau», selon les dires du ministre de l’Intérieur, s’est rendue sur les lieux pour voir de visu, se rendre compte, enquêter, dévider l’écheveau, séparer le grain de l’ivraie d’une situation préjudiciable au fonctionnement d’une municipalité. J’ai entendu, à la radio locale, le responsable de cette commission, un haut commis de l’Etat, énarque de formation, répondre aux questions du journaliste en louvoyant, sans jamais s’engager, ni engager le ministère, appelant à la fraternité, à l’union, à la sagesse, comme si nous étions en pleine campagne électorale. J’ai essayé de comprendre les raisons du blocage, mais peine perdue ; ma tentative fut vaine. Je n’ai rien compris à ce que disait ce responsable, cultivant une certaine discrétion qui n’a pas lieu d’être, puisque cela regarde directement la gestion d’une collectivité publique. Il y a eu tout de même des citoyens qui avaient lancé une grève de la faim, ce qui a motivé – à mon sens – le déplacement du ministre concerné. Que se passe-t-il dans cette commune ? Dites-le-nous ! On a le droit de savoir. Rien. Aucune information n’a filtré de cette intervention. Un autre coup d’épée dans l’eau. Ah, j’ai su tout de même qu’Azazga n’est pas l’exception, puisqu’il y a une vingtaine, voire plus, de mairies en situation de blocage. Au wali alors d’utiliser son droit de substitution, puisque c’est la loi ! Mais de grâce, n’utilisez pas le concept de démocratie participative, chère à Ségolène Royal, dans le cas d’un maire élu au suffrage universel ! Dire et pouvoir le dire : voilà le dilemme de nos responsables ! On a peur de déplaire et de se retrouver en congé spécial. Azazga peut attendre, encore, une autre commission d’un niveau supérieur.
«Consommons algérien !» ça me rappelle le bouillonnant Montebourg, alors ministre de Hollande, poser avec une marinière bien française, qui s’est fait railler par les médias de son pays. Je vois bien notre ministre du Commerce habillé d’une chemise sortie de la chemiserie de Larbaâ-Nat-Irathen, en grève depuis je ne sais combien de mois, et prendre la pose du slogan «consommons algérien». Oui, quand il faut y aller, il faut y aller, pardi. Sauvons notre économie ! Mais voilà, où est la production nationale ? Je me le demande. Je ne la vois pas, personnellement. A moins que ma presbytie s’est accentuée au point de louper du regard notre production ! Une idée, comme ça, que je jette en l’air : pourquoi le ministère concerné ne ferait pas une liste du produit algérien ? Là, je consommerais algérien. C’est promis ! Je veux bien être patriote, en bouffant l’orange algérienne de la Mitidja, en reste-t-il quelque chose ? ou la patate de Mascara, existe-t-elle encore ? ou le costume Sonitex, ou la mobylette de Guelma, ou le sucre de Miliana, ou le blé de Tiaret, ou la datte de Tolga. Notre économie produit l’importation : voilà notre miracle ! Quel est le pourcentage entre nos exportations et nos importations ? On importe de l’eau minérale : de la Cazorla espagnole, dans des bouteilles à faire saliver un collectionneur. Je veux consommer algérien, mais consommer quoi ? De la parlotte. Des vœux pieux. De la langue de bois. De la fuite en avant. Puis une journée est vite passée. Puis on passe à autre chose ! J’achèterai toujours turque, chinois, français, espagnol, italien… C’est tout ce qui a sur le marché algérien, en attendant le produit authentique de chez nous.
Il y a bien sûr la Symbol oranaise, ma chère Symbol de ma chère ville d’Oran. Là, je n’ai rien à dire : elle est dialna ! Du reste, je voulais échanger mon asiatique de bagnole, pas plus tard qu’hier.
C’est vrai ! Je me suis rendu chez un concessionnaire à Tizi. Je courais comme le collégien qui va à son premier rendez-vous galant. Changer de voiture ? Le pied ! Là, misère, on me sort un cahier des charges. On tente de m’expliquer. J’essaie de comprendre. Je n’y arrive pas. Je devais être obnubilé par mon achat. A moins que la commerciale, gentille au demeurant, n’a rien compris à ce cahier des charges. Je ne peux pas acheter la bagnole que je veux. Pourtant, le parking en regorge : des petites, des grandes, des rondes, un peu comme dans la chanson de Perret. On ne vend plus, monsieur. Il n’y a plus d’importations, monsieur. Vous ne pouvez même pas en commander, monsieur. Néanmoins, je peux vous proposer la Symbol oranaise, monsieur. Disponibilité immédiate, monsieur. Vous payez, vous la prenez, monsieur. Je relance ma commerciale, toujours aussi gentille qu’elle mériterait une prime de patience, sur «ce» cahier des charges. Avant celui-ci, existait-il un cahier des charges ? Oui, monsieur. Et alors ? Je ne sais pas, monsieur. Celui-ci génère des effets rétroactifs, monsieur. Stop ! J’ai cessé de vouloir comprendre. Je baisse les armes. Et chez la concurrence, madame ? C’est pareil, monsieur. Alors, vous achetez la Symbol, monsieur ? C’est la journée «consommons algérien», monsieur. Je ne sais pas, madame. Oran, je veux bien. Mais la Symbol, un peu moins. Mais changez de cahier des charges, madame, que je puisse troquer ma voiture asiatique contre une autre de là-bas. En attendant, je veux écluser toute l’essence algérienne, même si on nous dit qu’il n’y a pas pénurie, alors que les chaînes se déchaînent devant les pompes.
Le FCE a un projet. O la trouvaille ! On va créer un label «Original-Algérie-garantie». C’est original, n’est-ce pas ? Comme dit un ami serrurier de métier depuis cinquante ans : «Garantie jusqu’à la casse !» Et l’autre, là-bas, du haut de son bureau syndical, qui fait des vers sans avoir l’air : «C’est un éveil et un réveil.» C’est original, n’est-ce pas ? Désormais, on aura des produits estampillés, voilà pour le clin d’œil Hakim, «original-Algérie-garantie». Nos produits auront la «marka» sur le front, parole de converti au patriotisme économique d’une production fantôme. Quand je vois tous ces tee-shirts, portant des slogans de là-bas, je me dis que nous sommes tous en partance là-bas, soit avec le visa pour ensuite le brûler et rester au noir, soit sur une embarcation de fortune pour tenter la mort au milieu d’une mer incorruptible. Mais où te caches-tu ya «mentouj bladi ?» que je puisse te consommer en fringale algérienne. Diminuer les importations, c’est bien ! Mais proposez, au moins, quelque chose à la place. J’ai peur du retour des Aswak-el-Fellah et des ventes concomitantes. Pour deux kilos de couscous, on vous fourgue des serre-joints de maçon.
Qu’on ne revienne pas aux CAPCS qui bureaucratisaient le mentouj agricole. Ah la belle époque de la pénurie socialisante ! Grâce au PAP algérien, il est bien de chez nous celui-là, on a eu nos premiers frigos brésiliens. Et les fameuses Ritmo italiennes. Puis, les Zaztava yougoslaves. Cinq ans d’attente pour étrenner son permis à l’époque de la grande disette. Puis, les Honda japonaises ont été vendues aux «chefs» pour nous apprendre à envier. Le «consommons algérien» me rappelle cette douloureuse période. Franchement, on n’est pas près de sortir du tragi-comique que nous servent nos dirigeants, y compris syndicaux. Savez-vous que le consommateur paie plus cher l’orange algérienne que la banane qui nous vient d’ailleurs. Un produit exotique, zaâma !
J’ai appris par notre journal que des avocats du barreau d’Oran se sont mis en grève. Je reste sur le cul ! Si les avocats, el-bougatou b’kmalou, n’arrivent pas à avoir leurs droits, que reste-t-il aux plus humbles d’entre nous ? J’ai pris peur en lisant cette info. Sérieux, j’ai eu les boules. Un avocat en grève de la faim ! Et toutes les lois ? Les règlements ? Les codes ? Alors là, c’est l’Algérie à l’envers. Mais au fait, quelle est la nature de leurs problèmes ? Mon journal ne donne pas l’info, dommage ! Je me suis rassuré, tout de même, nos chers avocats ont suspendu leur jeûne. Ouf, j’ai eu chaud !
En guise de conclusion, je voulais dire –même si je n’ai aucun pouvoir – qu’en attendant le produit algérien que je puisse consommer à ma guise, je me laisse aller à consommer ce que le marché national me propose séance tenante, sans attendre un hypothétique mentouj. Alors, chinois, français, italien, espagnol, turque, tunisien… peu importe le produit, pourvu qu’il y ait la consommation.
Y. M.



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