Contribution : Lutte antiterroriste de l’ANP et inertie des civils
Par Leïla Aslaoui-Hemmadi
Vingt-cinq terroristes islamistes éliminés par les forces de l’Armée
nationale populaire à Boukram (wilaya de Bouira), ainsi qu’un important
arsenal d’armes de guerre récupéré. Telle fut l’excellente nouvelle de
la semaine écoulée.
Excellente, dis-je, en raison, bien entendu, du succès plein et entier
de l’opération. Mais pas seulement. Après l’assassinat de quatre
Patriotes brûlés vifs près de Batna, quelques jours auparavant, savoir
ces terroristes islamistes neutralisés et leur capacité de nuisance
étouffée dans l’œuf, fut un remarquable remontant pour requinquer le
moral.
Excellente nouvelle enfin, parce que ceux qui ont vécu et subi la
décennie noire (en réalité plus d’une décennie car entre 2000 et 2015,
les attentats terroristes n’ont pas cessé, quand bien même ils ont
baissé en nombre) sont à même d’imaginer aisément le riche programme
d’atteintes aux personnes et aux biens concoctés par le groupe de Jund
El-Khilafah s’il n’avait pas été éliminé. Surtout à la veille du mois de
Ramadhan qui aurait pu, n’était l’assaut salutaire de l’Armée nationale,
nous rappeler ceux des années sanglantes. L’occasion néanmoins pour ceux
qui croyaient que … pensaient que … de prendre conscience que la menace
est encore là. Mais comment donc pourrait-il en être autrement ? Au
regard de ce qui se passe au Proche-Orient et ailleurs, l’obscurantisme
des barbus peut séduire tous les Abou … quelque chose en quête de
«célébrité».
A Boukram, le danger a été repoussé par des officiers, sous-officiers et
soldats ; des hommes qui, au péril de leurs vies, ont, une fois encore,
évité au pays et aux citoyens que nous sommes, d’horribles carnages.
Certes, ce n’est pas la première fois que l’Armée nationale populaire
mène de telles opérations. Son expérience et son professionnalisme en
matière de lutte antiterroriste connus et reconnus de par le monde font
de cette institution aujourd’hui un partenaire incontournable dans le
domaine de la coopération de lutte antiterroriste à l’échelle
internationale. Pour autant, cela ne saurait empêcher les citoyens que
nous sommes de saluer le courage de ces hommes. Ce n’est pas là un acte
thuriféraire — l’Armée nationale populaire n’en a guère besoin — mais un
acte républicain. Un tout petit acte républicain faute de pouvoir faire
plus à l’égard d’hommes qui partent au combat sans être sûrs de revoir
leurs familles et de réaliser leurs rêves. Nos frères et nos fils.
Si la presse écrite et parlée dans son ensemble a consacré de nombreux
comptes-rendus et commentaires à cette importante opération militaire (Boukram),
l’on a, par contre, peu entendu ou pas du tout les voix «civiles».
Se peut-il que l’élimination de 25 dangereux terroristes et la
récupération d’un important lot d’armes de guerre ne soit qu’un
événement de routine somme toute banal ? L’on pourrait me répondre que
défendre le pays contre toute agression interne ou externe est la
mission naturelle et constitutionnelle de notre armée. Certes !
Cependant, rendre hommage à la volonté immuable de cette même armée de
poursuivre sans relâche sa lutte contre ceux dont la barbe, les
couteaux, les explosifs, les kalachnikovs sont la seule «culture
politique», c’est avoir, par ces temps d’amnésie collective, une forte
pensée pour tous les militaires - algériens comme nous - assassinés par
la barbarie terroriste islamiste.
C’est garder dans sa mémoire le visage d’un jeune appelé dont le
bourreau, blanchi et pardonné, s’est vanté publiquement de l’avoir
égorgé et de lui avoir pris son arme. Saluer le courage de notre armée,
c’est ne jamais oublier que le pays n’a pas sombré dans le chaos grâce
aux efforts conjugués des forces de sécurité auxquelles se sont jointes
les voix des républicains. Peut-être me répondrait-on que l’indifférence
des civils a pour cause l’usure causée par la décennie noire ?
C’est, en effet, souvent qu’ici ou là l’on entend cet argument pour
expliquer l’inertie des civils. Pour réelle qu’elle soit, l’érosion ne
saurait tout justifier. Sauf si l’on décide d’adhérer à l’amnésie
collective imposée par la «loi de l’impunité» (réconciliation
nationale). Et sauf si l’on perd de vue — parce que l’amnésie est
confortable — que les islamistes ne sont jamais pressés de mettre en
application leur programme et qu’ils ont toujours le temps d’attendre
que vienne leur heure pour déclarer : «Pas d’élections, pas de
Constitution. Allah oua Rassoul. Tous ceux qui ne partagent pas notre
programme sont des apostats.» Ce n’est pas si loin, n’est-ce pas ?
L’érosion de la décennie ne peut absolument pas tout justifier. Les
islamistes ont été défaits militairement mais ils ne perdent absolument
pas l’espoir de se redéployer. Vont-ils continuer à le faire dans
l’indifférence totale des civils ? Une inertie qui finira un jour par
être fort onéreuse. Les exemples ne manquent pas.
• L’appel au meurtre contre l’écrivain et journaliste Kamel Daoud,
lauréat du prix Goncourt en 2015, n’a connu aucune suite judiciaire pour
l’auteur de cette grave infraction : le sieur Hamadache … Reléguée aux
oubliettes, on ne parle plus de cette affaire. Que l’on ne me réponde
pas qu’elle fut l’objet de nombreux commentaires sur les réseaux
sociaux. Quel impact ? Aucun, notamment sur les consciences.
• La polémique du port du hidjab de douanières affectées à des postes
stratégiques (ports et aéroports) a eu peu d’échos. Affaire classée,
oubliée, sans importance ?
• Le projet de loi sur les violences conjugales auquel les islamistes se
sont farouchement opposés estimant «légitimes» les coups et blessures
portés par un époux sur sa femme n’a pas mobilisé le camp adverse hormis
quelques rares femmes juristes et une association (Réseau Wassila).
Affaire sans importance ? De second ordre ?
• Suite aux attentats contre en France le 7 janvier 2015, les islamistes
durs et purs ont tenté d’envahir la rue sans succès. Le prétexte ? On
avait offensé le Prophète de l’Islam. A supposer
que… En réalité, leur objectif fut surtout de démontrer leur force comme
en 1990 et 1991 lorsqu’ils occupèrent les places publiques de la
capitale. Affaire oubliée ? Sans importance ?
• Récemment ce fut une jeune femme qui se vit interdite d’accès à la
Faculté de droit tandis qu’elle devait y subir les épreuves d’un examen
(CAPA). Motif ? L’auteur de cette interdiction était un agent de
sécurité qui jugea la tenue vestimentaire de l’étudiante indécente ! Que
l’on ne s’attende surtout pas que je commente la longueur de la jupe de
l’étudiante. Trop courte chez nous, trop longue en France !
La question fondamentale pour moi est de savoir au nom de quel
règlement, au nom de quelle loi, un employé chargé de sécuriser un site
universitaire se transforme-t-il en «policier des mœurs» ? Au nom de
quelle morale ? Au nom de quelle autre loi n’a-t-on pas sanctionné son
intolérance gravissime ? Acte oublié ? Sans importance ? Si l’on avait
du temps à perdre, l’on «disserterait» sur les tenues des «khimarisées»
outrageusement maquillées en jeans et liquettes moulants au point de
laisser deviner toutes les formes du corps. L’on se poserait sans doute
la question de savoir si ce «hijab» d’un genre particulier est plus
«halal» qu’une jupe courte ?
Mais là n’est pas l’objet de mon propos. Je souhaiterais dire que toutes
les dérives islamistes (actes et déclarations) se passent dans une
absolue indifférence de ceux qu’on appelait il n’y a pas si longtemps
«société civile». Où est-elle donc aujourd’hui ? A-t-elle seulement
existé ? Pour l’instant, le danger est grand de voir que de dérives en
dérives, les islamistes redoublent de férocité en matière d’entraves aux
libertés individuelles et d’intolérance. Encouragés en cela par
l’impunité dont ils bénéficient. Celle-là même qui fait de leurs
semblables des «héros» aujourd’hui, assassins hier et pour toujours.
A-t-on donc déjà oublié les domiciles incendiés des femmes vivant seules
en 1990-1991-1992... parce que de «mœurs légères ?».
A-t-on donc déjà oublié les agressions au vitriol de celles qui
refusèrent de porter le hidjab et le jilbab ?
A-t-on donc déjà oublié le diktat des barbus dans les écoles ?
A-t-on donc oublié tout cela ? Non, l’érosion ne peut pas expliquer
l’inertie générale. Qu’espère-t-on donc d’idéologues qui ont amplement
démontré ce dont ils étaient capables en matière de violences et
d’horreurs ? Les loups seraient-ils devenus des agneaux ? L’opération
menée avec succès par l’Armée nationale démontre le contraire. Mais
l’armée ne peut lutter contre l’indifférence, l’inertie de ceux qui
pensent, parce que amnésiques, que l’islamisme est un fléau qui ne
frappe qu’ailleurs.
L’islamisme chassé par la porte ne perd jamais l’espoir de revenir par
la fenêtre. L’Armée nationale populaire poursuivra encore toujours la
lutte antiterroriste. Mais elle ne volera pas au secours de ceux qui
veulent, comme dit l’adage, «le beurre et l’argent du beurre». Ne pas
s’attirer les foudres des barbus sous prétexte que l’on n’est pas
concerné, tout en comptant sur les forces de sécurité pour réveiller les
consciences. On a suffisamment reproché à l’institution militaire de se
mêler de politique. Elle a parfaitement retenu la leçon. La sécurité et
l’unité du pays, ce sont «ses choses». L’inertie, l’indifférence des
civils face aux dérives des islamistes sont le problème de ces mêmes
civils. L’érosion ne peut pas tout justifier, tout expliquer parce que
l’on ne peut se désintéresser de l’avenir de ses enfants. Que l’on ne me
croit surtout pas «donneuse de leçons». Le succès de l’opération
militaire de Boukram m’offre l’occasion d’espérer et de croire que
l’Algérie demeurera républicaine et que la barbe et le kamiss n’auront
jamais droit de cité. A condition que nous demeurions vigilants face à
l’intolérance. Est-ce normal, légal de jeter l’anathème contre un homme
parce qu’il pense, parce qu’il
écrit ? Est-ce normal, légal d’interdire l’accès de l’université à une
jeune fille lorsqu’on est simple agent de sécurité non rémunéré pour
«juger» une tenue décente ou indécente ?
De même que peu de voix, hormis celle attendue de l’Etat, à laquelle se
sont joints les journalistes, se sont fait entendre lorsque l’agence
Reuters (dépêche reprise par Le Figaro) a qualifié les terroristes
islamistes de «militants». Choquant ? Certes ! Mais est-ce étonnant ?
Est-ce la première fois que la haine à l’égard de notre armée par des
médias étrangers s’exprime aussi perfidement ? Certainement pas. A-t-on
oublié ceux qui, hier au nom des «Droits de l’homme», donnèrent à la
barbarie terroriste le qualificatif d’«opposition armée» ou encore
«violence des groupes d’opposition dits islamistes»? N’a-t-on pas appelé
l’arrêt salutaire du processus électoral «d’arrêt du processus
démocratique» ? Avions-nous seulement entamé le processus de la
démocratie -quand bien même il y avait quelques prémices - pour nous
permettre de l’arrêter ? Je me souviens, par contre, d’une caricature de
Plantu publiée dans Le Monde montrant un barbu disant : «Ce sont les
dernières élections» (élections 26 décembre 1991).
N’a-t-on pas répété à l’envi sur toutes les chaînes de télévision
étrangères «pays à feu et à sang», «guerre civile» ? Des massacreurs de
populations, des égorgeurs et violeurs face à des victimes sans armes.
C’était celle-là, la «guerre civile». A-t-on oublié un chercheur du
CNRS, François Burgat, écrire «l’islamisme marque la naissance d’une
génération que l’Occident doit analyser autrement que comme une
pathologie» ? L’islamisme en face. (Editions La Découverte).
L’Occident doit certainement rire jaune aujourd’hui face à ses
djihadistes qu’il analyse précisément comme une pathologie.
Que dire et que penser de tous les «crimes» dont fut accusée l’Armée
nationale populaire ? C’est pour elle qu’un lobby composé de
journalistes, de défenseurs des Droits de l’homme, de déserteurs
algériens créa le «qui-tue-qui ?»
Et nous ne répéterons jamais suffisamment que dans notre combat nous
fûmes seuls et bien seuls. La liste de tous les maux dont fut accusée
l’armée est autrement plus longue mais pourquoi s’étonner de la mauvaise
foi de journalistes étrangers qui disent «djihadistes» lorsqu’ils
parlent de leur pays et «militants» lorsqu’il s’agit de l’Algérie ? Eux
aussi pratiquent la règle du «halal» pour eux et «haram pour nous».
N’a-t-on pas vu un ancien juge français chargé des affaires de
terrorisme se déplacer en Algérie pour pratiquer des prélèvements sur
les crânes des moines assassinés en mai 1996 ? Il était convaincu de
trouver la preuve «irréfutable» de l’implication de l’armée qui lui
ferait gagner des galons. Et ce, nonobstant un film-documentaire où les
acteurs et témoins terroristes encore vivants et bénéficiaires de la loi
de l’impunité ont dit ce qu’ils avaient vu, entendu et fait. Ce film n’a
pas été réalisé en Algérie mais en France (France 3). En tout état de
cause, le responsable de l’agence Reuters ayant été rappelé à l’ordre,
il faut juste espérer qu’il n’y ait pas de récidive. Ce qui n’est pas
sûr, lorsqu’on imagine la profondeur de l’épine enfoncée dans la gorge
de ceux, nombreux, qui ne guériront jamais de leur mal. Une pathologie
qui a pour noms : nostalgie de l’Algérie française et haine de l’Armée
nationale populaire. D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls...
Au moment même où l’Armée nationale neutralisait le groupe de Bouira,
l’Arabie Saoudite n’a pas trouvé mieux à faire que d’accuser l’Algérie
de financer le terrorisme. Hallucinant, n’est-ce pas ? Oussama Ben
Laden, le Saoudien, fut-il formé et financé par l’Algérie ? Le
wahhabisme nourrit lui-même le terrorisme de par son idéologie rigoriste
et obscurantiste. Que reproche donc l’Arabie Saoudite à l’Algérie ? Un
pays qui, hier, comme tant d’autres pays arabes dits «frères», se
délectait de nos malheurs et n’aurait pas été contre un Etat
théocratique chez nous afin que les Algériennes ressemblent aux
Saoudiennes interdites aujourd’hui encore de conduire leurs voitures et
assimilées à de simples objets. La réponse de l’Algérie par la voix du
ministre des Affaires étrangères ne s’est pas fait attendre.
Certains ont reproché à M. Ramtane Lamamra d’avoir fait une réponse
tiède. Nous avons la chance d’être bien représentés actuellement, et il
faut s’en féliciter. Dans une conjoncture mondiale complexe, notre
ministre des Affaires étrangères est l’homme qu’il faut à la place qu’il
faut. Par ailleurs, M. Ramtane Lamamra n’est pas un «chiffonnier» chargé
d’insulter. Il est diplomate avec tout ce que cela comporte de culture,
d’élégance et de raffinement. Et pour qui est capable de décoder «une
tempête dans un verre d’eau» (réponse de notre ministre des Affaires
étrangères) en langage diplomatique, cela revêt une réponse lourde de
sens. Plus incisive que l’injure. Ce qui est plus problématique, c’est
le choix du moment par l’Arabie Saoudite pour adresser un reproche à
l’Algérie qu’elle sait infondé. Un fait supplémentaire pour redire que
l’Algérie s’en est sortie toute seule grâce à son armée et aux
résistants qui, ensemble, ont refusé de livrer notre pays aux théocrates
aussi incultes que violents. Aujourd’hui, il nous faut être conscients
qu’entre ceux qui aimeraient entraîner l’Algérie dans un bourbier dont
elle ne sortira pas indemne et ceux qui rêvent d’un «printemps arabe»
pour notre pays afin de semer le chaos, comme ils l’ont fait chez nos
voisins libyens, notre vigilance n’est certainement pas passée de mode.
Qui a armé et financé le groupe de Boukram ? Vigilance et non inertie !
Voilà la leçon qu’il convient de retenir après l’élimination de
dangereux terroristes islamistes.
L. A.-H.
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