Culture : LE CONTRAT EN COMPÉTITION AU 10e FNTP
Mrozek revisité


Adaptée de l’œuvre éponyme de Slawomir Mrozek par Smaïl Sofit, la pièce Al A’qd est mise en scène par Mohammed Frimehdi et produite par le Théâtre régional de Mascara. L’œuvre philosophique du dramaturge polonais a été fidèlement transposée sur les planches du TNA.
En compétition officielle au 10e Festival national du théâtre professionnel, Le contrat se révèle en rupture avec les autres pièces de Mrozek. Plutôt construite de manière classique, ce qui est à la fois surprenant et original venant de l’un des génies du théâtre de l’Absurde, l’œuvre revisitée par Frimehdi devient un peu plus alambiquée. Le rideau s’ouvre sur l’impressionnante scénographie de Yahia Ben Ammar : un long escalier tapissé qui fera une rotation vertigineuse vers un côté de la scène, découvrant une réception d’hôtel. Nous sommes à Paris à une époque indéfinie : M. Lefèvre descend de sa chambre et apprend que le réceptionniste de l’hôtel où il habite depuis longtemps est mort la veille. Son remplaçant s’appelle Samir, un jeune étudiant algérien plein de rêves et de candeur ; exactement le contraire de ce client aigri et misanthrope dont le seul ami était Maurice, le défunt réceptionniste qu’il évoque avec autant de tristesse que de rires. C’est là qu’intervient la mise en scène de Mohammed Frimehdi qui crée des flash-backs parfaitement réussis, dédoublant les personnages et créant une métempsychose déroutante à coups d’effets de miroir et de labyrinthes narratifs. L’interprétation de Hadj El- Houari Chikhaoui et Abdelhakim Mebani vient épaissir la dramaturgie qui se base essentiellement sur la construction psychologique des personnages et la profondeur du texte (en arabe classique). Foncièrement philosophique, la pièce vire très vite à un huis clos oppressant où, au fil des discussions, M. Lefèvre propose un contrat aussi terrifiant qu’alléchant au jeune Algérien : il lui demande de l’assassiner en contrepartie d’une généreuse récompense. Le réceptionniste commence par refuser catégoriquement mais l’insistance de l’homme torturé, et notamment un récit sur ses exactions commises en Algérie durant la guerre, finiront par le convaincre. S’ensuit alors une véritable catharsis qui révèle les raisons de la souffrance prométhéenne de Lefèvre, ancien dramaturge à succès dont la popularité a décliné à cause de son refus de plaire aux goûts de plus en plus vulgaires des producteurs. Vivant en ascète et faisant semblant d’aimer sa solitude, il en souffre pourtant et c’est pour cela que la perte de son seul ami, Maurice, ne lui laisse plus aucune raison de vivre. Bien que parfois cousue de fil blanc, l’évolution des situations dramatiques demeure haletante, notamment grâce à une mise en scène inventive et un jeu d’acteurs riche en palettes. On regrettera, néanmoins, que la pièce ait arboré à la fin, de manière si démonstrative, une «morale de l’histoire» avec une voix-off enregistrée, altérant ainsi les nuances et l’atmosphère éthérée qui l’ont caractérisée.
Sarah H.





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