Chronique du jour : KIOSQUE ARABE
Quand Al-Azhar courtise Marine


Par Ahmed Halli
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Vespasien, l'empereur romain qui avait institué une taxe sur les urinoirs publics, avait coutume de dire à ceux qui lui reprochaient ces bas calculs que l'argent n'avait pas d'odeur. Il a donné son nom à ces édicules qu'on pouvait rencontrer autrefois dans les rues d'Alger, avant qu'ils ne soient transformés en fast-food. Certes, l'argent n'a pas d'odeur, mais il prend des couleurs et des épithètes selon les circonstances : il est sale, ou frais, selon qu'on se fasse attraper ou non. Il lui arrive aussi d'être honnête et de surfer sur les règles morales, comme lorsqu'on dépense sans états d'âme l'argent de la «vieille», sa mère, ou celui de sa sœur aînée, ou cadette. Dans le cas de la sœur, et pour profiter sans remords de son argent licite, il est recommandé de prendre l'avis de la congrégation du voile et de la jupe longue, arbitre des élégances locales. Une fois cette question préalable réglée, et pour peu que vous respectiez les horaires des mosquées et suiviez les conseils éclairés de votre imam, vous pouvez vous en rouler un. Et ne vous laissez pas arrêter par la crainte de l'odeur, puisque l'argent dépensé pour l'achat du «shit» n'en a pas, et c'est Vespasien qui le dit ! L'odeur, l'argent en a si peu qu'il attire même les plus racistes, ceux que ne peuvent pas sentir les Arabes, et devraient donc être insensibles, du point de vue des allergologues, à celui qui est dans les poches arabes. Et puis, disons-le tout net : les racistes savent distinguer l'Arabe utile et fréquentable, prêt à dépenser des milliards pour se faire aimer, l'Arabe de l'Orient, de la rente pétrolière, pour nous résumer. Quant à l'autre Arabe, celui du Maghreb, il ne passe pas, même avec des pétrodollars, et c'est, semble-t-il, irrémédiable, même si les Marocains s'obstinent à croire le contraire. Ainsi, lorsqu'une certaine Le Pen, pas Marine l'autre, envoyait du lait en Irak assiégé dans les années 90, les militants du FN chassaient l'Arabe maghrébin, sur les quais de la Seine. Nous, on compte pour du «beur», dirait notre ami Farid Mammeri, spécialiste reconnu du jeu de mots, en plus de son talent de peintre. Ne nous attardons pas sur les Américains qui sont anti-arabes, parce que violemment pro-israéliens, lorsqu'ils ont le pouvoir, et qui cèdent aux envoûtements de l'Orient, dès qu'ils sont libres de tout mandat. Le cas qui nous intéresse présentement est celui de Madame Marine Le Pen, reçue dernièrement au Caire, et plus précisément à Al-Azhar. La présence de Marine Le Pen au Caire est déjà un affront et un coup de Jarnac pour nous Algériens, mais sa réception par le recteur d'Al-Azhar et les propos qu'il lui a tenus, cela confine au scandale. On aurait aimé que cheikh Tayeb lui dise, avec la même gentillesse, qu'elle ne devrait pas, ainsi que ses sympathisants, cracher son venin sur «nos frères Algériens». Car, c'est bien ainsi que vous nous appelez, Monsieur le Recteur, ce dont nous vous savons gré, et il nous arrive souvent de vous considérer, nous aussi, comme des frères, surtout lorsque vous avez des malheurs. Pourtant, et d'après vos propos tels que rapportés dans les journaux, vous n'avez rien dit à Marine Le Pen de l'idéologie raciste de son parti et de sa haine pour notre guerre de Libération. Une guerre durant laquelle l'Egypte nous a beaucoup soutenus, avant de nous aider plus tard à prendre le mauvais chemin, et nous ne vous en tenons pas rigueur. Mais dire à Madame Le Pen, en mai 2015, et avec ce que vous savez, qu'elle devrait être plus gentille avec l'Islam, alors que l'Islam est bafoué jusque sous vos fenêtres, voilà qui est intolérable ! Autrement dit, soyez un peu plus indulgente avec l'Islam voilé, Madame Le Pen, et en contrepartie, nous vous laissons libre de massacrer, au propre et au figuré, les Algériens, avec ou sans barbe, avec ou sans hidjab ! Allô, la Ligue arabe ! Et qu'on ne vienne pas me dire que c'est en religieux que cheikh Tayeb s'est exprimé et qu'il a voulu parler de l'islamophobie, alors que tout le monde sait que la célèbre université est un créateur d'islamophobie. Au même titre que ceux qui ont noyauté Al-Azhar et qui commettent des attentats en Égypte et ailleurs, au même titre que ceux qui réduisent l'Islam à un accoutrement vestimentaire. Reprocher à Marine Le Pen ses propos désobligeants sur l'Islam, c'est faire fi de tout le reste, de ces affinités meurtrières qui existent entre le Front national et Daesh, entre Daesh et les Frères musulmans, entre ces derniers et nos «frères» scrutateurs de jupes. Et c'est précisément à cette institution d'Al-Azhar que le Président Sissi a demandé en janvier dernier de réformer le discours religieux, voire de provoquer une véritable révolution en Islam. Le discours de Sissi reprochant aux théologiens de l'institution millénaire leur conservatisme et leur passivité face à la violence islamiste a certes agréablement surpris, mais à l'intérieur d'Al-Azhar, rien n'a changé. Notre confrère égyptien Sammy Al-Buhaïri se dit sceptique sur les chances de voir les théologiens de son pays remettre en cause les dogmes sur lesquels ils vivent, au risque de perdre leurs privilèges. «Ils n'ont rien à donner, puisqu'ils ne possèdent rien, sauf à jeter de la poudre aux yeux», dit-il, ou bien donner un tour de vis supplémentaire, comme ils l'ont fait récemment en censurant une émission religieuse sur la chaîne Al-Kahéra Wal-Nass (sur laquelle nous reviendrons). Sur le même sujet, Nouara Negm, qui a repris ses chroniques dans le journal Al-Yawm Al-Sabaa, est catégorique : «La clé du progrès ou de la rénovation du discours religieux, dont parle le Président (Sissi), c'est la femme et sa place dans la société et dans la loi. Ce qui implique de mener des batailles difficiles, car dans les sociétés archaïques, on croit seulement à l'efficacité de la religion comme moyen d'oppression de la femme.» La fille du poète Fouad Negm qui porte le hidjab, sans se sentir le moins du monde ligotée par lui, affirme que l'homme qui fait violence à sa mère, à sa sœur et à son épouse, est également capable de violence à l'égard de son pays. Et la répression et l'oppression de la femme ne produisent pas des sociétés modernes et civilisées, ajoute-t-elle.
A. H.





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