Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
Réhabilitation : Ouyahia sujet de toutes les spéculations
Par
Boubakeur Hamidechi
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Comme
ils n’ont été souvent considérés que comme des partis siamois,
contraints par la fatalité de l’allégeance qu’ils partagent en commun,
ne viennent-ils pas de subir simultanément les humeurs du palais. Le FLN
et le RND sont, en effet, sous la loupe du pouvoir depuis quelques
semaines. Sauf que chacune de ces «boutiques» politiques a dû se
soumettre à un traitement différencié, tant par la vigueur du nettoyage
administré, que par les objectifs assignés à chaque branche de ce
binôme. C’est ainsi qu’après la consécration d’un Saâdani au FLN, ce
sera autour d’Ouyahia de bénéficie d’une réhabilitation de véritable
leader cette semaine. Grâce à son retour gagnant à la tête d’un RND, où
les luttes intestines ne finissent jamais comme de permanentes guerres
de tranchées, il occupera bien plus les commentateurs que ne l’a été
l’investissement tapageur du secrétaire général du FLN. C’est qu’avec
lui, en tant que sujet, il y aura de la matière pour décrypter le
«ce-pourquoi» de son retour en grâce et quel casting lui est promis à
travers ce branle-bas de la recomposition du pouvoir. Bientôt celui qui,
en janvier 2013, était considéré comme un obstacle majeur au régime,
aura pignon sur rue et sera peut-être loué pour la possibilité qu’il
incarnera dorénavant en tant qu’homme de la solution ! En lui remettant
à nouveau les clés du RND, le pouvoir lui accorde effectivement une
dotation partisane susceptible de lui conférer une sorte de «surface»
politique dans l’échiquier. Même si l’on persiste à toujours croire que
seul l’appareil du FLN est faiseur de présidents, le RND n’avait-il pas
été pourtant son redoutable challenger lors de nombreuses «compétitions»
des urnes ? Presque vingt années après sa création (21 février 1996),
l’appareil en question semble toujours en mesure de rendre de fieffés
services par lesquels sera impliqué directement Ouyahia. Autant dire
que, contrairement à la «génétique» ayant prévalu à l’émergence des
partis politiques et dont les matrices sont avant tout doctrinales, le
RND, lui, n’a été qu’un génial mécano conçu dans les ateliers du
système. Destiné à affaiblir un peu plus un FLN déjà fissuré puis à
siphonner les fondamentaux de son discours (le novembrisme notamment)
n’était-il pas parvenu à s’octroyer également le monopole de la lutte
antiterroriste en conceptualisant cet objectif par la référence à un
«républicanisme» comme antidote à tous les projets de l’islamisme
politique. En effet, ce «rassemblement» dont la profession de foi
politique s’est élaborée à partir d’emprunts est devenu notoirement
inclassable. Pis encore, à force d’enchérir quant à sa disponibilité
pour la servitude, il a fini par n’être considéré que comme un pôle
d’inertie. Ceci était d’autant plus perceptible que ses représentants
dans les assemblées élues ont acquis, pour la plupart, la piètre
réputation de «marchands de tapis», au sens où l’entend cette
dévalorisante formule désignant le mercantilisme politique. Sans assise
sociale de référence ni d’électorat ciblé, pouvait- il exister et
prospérer sans les béquilles de l’administration ? Certainement pas. Ce
que, justement, le brillantissime Ouyahia a compris très tôt.
C'est-à-dire dès la fin de l’année 1998 lorsque, sur ordre des cabinets
noirs, il s’empara de sa direction au moment où Zeroual était en train
d’expédier les dernières affaires courantes de l’Etat et qu’en haut
lieu, se préparait déjà l’arrivée de Bouteflika. L’Ouyahia, ce
politicien notoirement ambigu, était tout indiqué alors pour piloter
cette caisse de résonance électorale. En mettant le pied dans l’étrier
du RND, il inaugurait en même temps l’ère des «militants sans cause».
Politicien, capable d’anticiper face à des situations complexes en se
replaçant avantageusement, il possède de surcroît l’aptitude de se
couler dans le moule de toutes les coteries triomphantes. N’éprouvant
aucune gêne intellectuelle ni remord moral, rien ne compte pour ce qui
le concerne sinon le projet personnel. Car tout chez lui s’organise en
fonction de sa propre carrière. Sa pugnacité, que bonifie étonnamment sa
patience, lui a permis de surmonter les disgrâces temporaires puis de
rebondir au moment où il n’était pas attendu. C’est que dans l’art de
guetter les opportunités, il surclasse tout ce que l’establishment
compte d’ambitieux qui lui ressemblent. Affichant un relatif désintérêt
pour les joutes doctrinales, il prétend publiquement ne croire qu’en
l’efficacité du pragmatisme. Une posture qui «pose» son homme politique
et lui permet de tricher autant de fois qu’il lui est nécessaire sans
donner l’impression de se renier. C’est, par conséquent, auprès de cette
personnalité uniquement préoccupée par la conquête du pouvoir qu’il faut
désormais chercher les signes qui rendent plausibles les scénarios dont
on parle tant. Car à force de décliner ce changement au sommet sous ses
possibles aspects, le sujet est devenu un serpent de mer national.
D’autant que la notion de «transition », que les cercles favorables au
palais évoquent à satiété, apparaît à son tour comme un véritable rébus
dont il est difficile d’interpréter les dessins ou plutôt les desseins !
C’est qu’il manque au projet lui-même la boîte à outils que sont les
amendements constitutionnels, sans lesquels il n’est pas possible de
donner du sens à cette alternative. Celle qui ferait justement de cet
Ouyahia l’alibi légal d’un vrai faux changement d’époque.
B. H.
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