Chronique du jour : TENDANCES
LE SPLEEN MADE IN BLADI


Youcef Merahi
[email protected]
Le spleen made in bladi, je le consomme à petites gorgées, comme pour apprécier chaque coulée. A chaque Algérien son spleen. Chaque génération le précise par une expression propre à la période. J’entends parler de la kounta qui vous prend à la gorge dans une envie de tout casser, avant de prendre la tangente et de tenter la harga. Il y a aussi le digoutage, une variante hard du dégoût local, qui annihile tous les muscles du corps, comme ce fumeur de shit qui se momifie bouffée après bouffée. Il y a aussi le gralelou. J’ai le gralelou. Ou le cafard. Mais attention, avoir le gralelou est autrement plus violent que ressentir un cafard à l’européenne, vite dissipé dans un parc luxuriant. Aujourd’hui, je les porte en moi, comme un fardeau invisible mais qui pèse de son poids sur mes épaules. Kiskici ? Comme dit l’autre dans son délire de casser la langue, c’est des choses qu’elles arrivent. Et quand elles arrivent, elles arrivent. Je me demande si deux cachets de codoliprane arrangeraient l’humeur. C’est à voir ? Mes amis neurologues, Mouloud ou Djaffer, sont en mesure de me renseigner, s’ils veulent bien. Et si c’est le syndrome du spleen made in bladi ? C’est possible, également. Dans ce cas d’espèce, le doliprane serait un piètre succédané. Et s’il s’agissait, tout simplement, de cet ami qui oublie de s’annoncer, malgré les artifices des rendez- vous à la couleur locale, made in bladi ? C’est possible, également. A moins que ce ne soit un poème qui s’annonce, se forme, s’arrondit, s’insinue dans mon esprit pour lequel je diffère la naissance. Tout est possible, aussi. A moins que la revue de presse opère une chekchouka, aux couleurs locales, en vert et rouge, qui obère mon énergie ? Koulchi moumken ! Au moment où dix importateurs et quatre directeurs de banque ont été mis en mandat de dépôt pour trafic de devises, deux malfaiteurs visitent un bureau de poste à El-Adjiba et dérobent, sans coup férir, deux milliards de centimes et disparaissent dans la nature. El-Adjiba ? Bourgade à près de vingt kilomètres de Bouira : voilà pour les nuls en géographie nationale ! C’est à se croire dans un film sur la mafia ! Sauf qu’ici, malheureusement, c’est la réalité taêna ! Il n’y a pas que cela. Soyons patients ! Moul sbar inal ! Revoilà le procès Sonatrach 1 ! Mais pourquoi 1 ? Il y aurait donc une suite. Un peu comme dans les feuilletons à «n» épisodes. Dallas avait du charme. Et puis c’est un cadeau américain pour la réussite de notre diplomatie secrète. Et puis il y a la sublime Sue Ellen. Je sens le gralelou gratouiller ma colonne vertébrale. Dans un autre registre, j’ai essayé de comprendre le procès Khalifa, je n’ai rien pigé. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre les choses. A la fin, l’Abdelmoumène est-il coupable ? Ou ne l’est-il pas ? Au fait, quel est le gestionnaire qui pourrait résister à l’attrait d’intérêt à deux chiffres proposés par la banque Khalifa ? Pas grand monde. La preuve ! La banque Khalifa a-t-elle jamais existé ? Chers amis, pas celui dont la langue est fourchue, je vous fais témoins de mon spleen. C’est à perdre la foi ! Pardon, je n’ai rien dit. Perdre la foi ? Jamais. Sinon, où serai-je enterré, en cas de besoin. Non, non, c’est juste le gralelou qui me turlupine. Ça va passer. Mon toubib préféré, l’un ou l’autre, agence déjà sa camisole chimique. Tant pis, j’endosserai la démesure, pour peu que se libère mon cerveau. On nous parle de l’hospitalisation à domicile. Vous voyez, je n’ai aucune crainte à avoir. A la limite, une petite hospitalisation à domicile, ttabahant, et le bobo s’en ira de lui-même. In petto, je me dis que nous sommes hospitalisés à domicile, bien malgré nous, malades ou pas malades. Tellement il n’y a plus d’endroit où se déstresser. On est dans nos maisons barricadées, selon la nouvelle architecture de guerre, pour parer à toute éventualité. De désormais à dorénavant, il y aura mieux dans nos hôpitaux. Eh oui, nos hôpitaux seront classés «en fonction de la qualité des soins prodigués au malade». C’est une déclaration du ministre de la Santé, s’il vous plaît ! Ce qui me déplaît ? Je pensais, dans ma foutue naïveté, que les hôpitaux prodiguent les mêmes soins de qualité au malade. Si je comprends bien, il y aurait des hôpitaux étoilés et d’autres non. Un peu comme les restaurants du guide Michelin. On aura des hôpitaux «michelinisés». Comment diantre tenir de tels propos ? On admet qu’il y ait des hôpitaux de moindre qualité de soins. Ya ben âmmi, win biha ? Comment dire que tel hôpital dispose d’une meilleure qualité de soins qu’un autre ? Sur quelle base ? Le nombre d’opérations réussies ? Le nombre de décès ? La qualité de la cuisine ? Puis, franchement, imaginez- vous, un seul instant, votre médecin de famille vous dire : «Je vais vous diriger sur l’hôpital de Tataouine-sur- Mer ; c’est un 3 étoiles.» Il s’agit aussi d’évaluer les directeurs de santé. Pauvres directeurs, pauvres fusibles ! Si un hôpital patine, la faute incombe fatalement au directeur de la santé. Soit ! Mais est-ce que la responsabilité s’arrêterait à ce seul mess’oul ? Quelle est la responsabilité des directeurs centraux ? Puis celle du ministre lui-même ? Il faut abattre de nouveau et redonner les cartes de la santé publique. Et si c’était le système qui est malade ? Alors changeons de système. C’est simple à dire. A le faire, c’est déjà un autre problème. Attendons de voir de quoi accouchera ce quatrième mandat ! Logiquement d’un autre mandat, ouais logique. A moins que la tectonique de la politique n’instaure sa vérité ! Le gralelou m’invite à sa table. J’ai la bougeotte, surtout de nuit. De fait, pour falsifier ce spleen made in bladi, j’ai accompagné un ami à Blida, la ville des Roses. Tout comme Alger la Blanche. Ou Wahrân El-Bahia. Blida, la ville des Roses ! J’ai lu ça quelque part. J’ai passé mon temps à chercher la plus petite des roses, l’ombre de son ombre, je n’ai pas été payé de retour. Aucune rose ! Toutes nos villes se ressemblent, n’est-ce pas ? Moches. Sales. Uniformes. Sans âme. Nos villes dictent au visiteur l’angoisse du béton, les rues encombrées et une population coincée dans une architecture sans relief. A la sortie de la grande trémie de Blida, j’ai vu, enfin, une rose ; elle était peinte sur le mur. Voilà, je ne suis pas près de quitter la table de mon hôte, le gralelou. Et vogue la galère, ya Chabane !
Y. M.





Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/06/10/article.php?sid=179795&cid=8