Entretien : ABDELAZIZ RAHABI À PROPOS DE LA VENUE DE HOLLANDE DEMAIN À ALGER
«Une visite suggérée par l’Algérie»
Propos recueillis par
Khedidja Baba-Ahmed
Un entretien avec Abdelaziz Rahabi, diplomate et ancien ministre,
pour évoquer avec lui la visite de François Hollande demain à Alger.
L’entretien, comme il fallait s’y attendre, a débordé sur beaucoup
d’autres aspects et s’est fortement attardé sur ce que pense Rahabi de
la diplomatie algérienne, de nos relations avec la France, du rôle que
«la France veut nous faire jouer en Afrique» et de ce que devrait être
pour nous ce rôle et la manière dont on devrait l’assurer. Quelques
convictions fortes pour Rahabi et importantes à souligner : la visite de
Hollande a été suggérée par l’Algérie et il explique pourquoi ; Hollande
ne vient pas pour évoquer la succession, qui se fera, dit-il, comme se
sont faites les successions de tous les chefs d’Etat algériens
précédents. Il s’insurge d’ailleurs contre l’élite algérienne qui, par
confort intellectuel, par paresse ou par manque de courage et
d’engagement, rejette sur la France les problèmes internes de
succession. Quant à l’éventualité de discussions demain du gaz de
schiste, l’ancien ministre ne l’exclut pas du tout comme il évoque
l’implication antérieure de Total sur ce gaz. Il rappelle que l’énergie
a toujours constitué le domaine réservé de Bouteflika et de Chakib
Khelil. Pour la question du Sahara occidental, il considère que «nous ne
pouvons compter ni sur la France ni sur l’Espagne pour son règlement,
ces deux pays ayant plutôt conforté le Maroc dans son arrogance et le
durcissement de ses positions». Tout au long de l’entretien, Abdelaziz
Rahabi revient sur l’instrumentalisation par Bouteflika de la diplomatie
à des fins de politique interne et de maintien au pouvoir. Le pays,
dit-il enfin, baigne «dans une situation de fin de règne et les fins de
règne des régimes autocratiques dans le monde ont toutes les mêmes
caractéristiques»
Le Soir d’Algérie : François Hollande, le président français, fera
une visite en Algérie demain. Ce sera la 2e visite du président français
en un peu plus de deux ans. C’est pour le moins assez peu commun pour un
chef d’Etat dont on dit que l’agenda est des plus chargés. Quelle
lecture faites-vous de ce deuxième voyage ?
M. Rahabi : Les échanges entre l’Algérie et la France à ce niveau-là
sont toujours des événements marquants en raison de la qualité de la
relation et de sa nature spécifique. C’est un exercice délicat car avoir
des relations normales est en soi un acquis. Les relations entre les
deux pays traversent en ce moment un des cycles positifs des plus longs.
Nous avons connu des relations de confiance sous Chadli et Mitterrand,
puis contrariées sous Chirac avec la loi sur les «bienfaits de la
colonisation», puis des relations tendues avec Sarkozy.
Réellement positif ?
Nous n’avons pas de gros problèmes sur les questions bilatérales ni des
divergences de fond sur les questions régionales.
Au plan de la forme, l’on ne connaît toujours pas le type de statut de
ce déplacement : visite d’Etat ? Visite officielle ? Visite privée ?
Pourquoi ce mystère qui entoure cette visite comme il a entouré ses
préparation et programmation précises? Est-ce ainsi que l’on fonctionne
habituellement ?
Si je devais qualifier cette visite, je dirais que c’est une visite
de courtoisie suggérée par les Algériens car notre président n'a pas
d'agenda de rencontres à caractère interne alors il le meuble par la
réception d'invités étrangers. De même, cette visite libère le président
Hollande dans son agenda maghrébin parce qu’il y a un problème
d’équilibre des visites en Afrique du Nord. Notre président se comporte
comme un plénipotentiaire dans son pays et cela est en soi inédit dans
les relations internationales et alerte sur les conséquences de la
sous-représentation diplomatique du chef de l'Etat à l’étranger.
A quelles fins ?
En premier lieu pour donner l’illusion et l’image d’un président actif
et aussi le sentiment que nous existons sur la scène internationale. Les
Algériens, faut-il le préciser, ont été nourris à cette illusion de
notre grande présence sur la scène internationale. Il y a donc une sorte
d’instrumentalisation de la scène internationale pour des besoins
internes. La diplomatie est devenue un outil de politique intérieure, ce
n’est plus un outil de politique extérieure et l’agenda du président se
limite à cette utilisation.
Il est tout de même étonnant que la France accepte de répondre à une
sollicitation de cette nature, non ?
C’est un pays qui a des relations privilégiées, qui a des intérêts avec
l’Algérie et qui s'accommodera avec pragmatisme aux situations les plus
singulières. La France se comporte en puissance régionale et ménage
aussi bien les caprices de son allié marocain que le caractère singulier
de son partenaire algérien.
Vous qui avez été longtemps diplomate, quand un chef d’Etat se déplace,
quel qu’il soit d’ailleurs, est-ce que la programmation de ce
déplacement, la préparation des rencontres entre les deux parties
peuvent être entourées d’autant de secrets ?
En l’occurrence, le secret est chez nous. Les Français ont diffusé
l’ordre du jour de la rencontre. Quant à nous, traditionnellement, nous
informons très peu les Algériens sur les échanges que nous avons avec
les étrangers. La communication officielle institutionnelle algérienne
se limite aux aspects protocolaires alors que l’opinion publique des
pays dont nous recevons les représentants est mieux informée sur
l’agenda et les questions abordées. Par exemple, pour cette visite, les
Français ont informé que la question du Mali, celle de la Lybie seront
évoquées comme il sera traité des échanges bilatéraux.
J’insiste peut-être un peu trop, mais il paraît tout de même étonnant
que lorsque cette visite a été évoquée pour la première fois, il a été
dit que Hollande passera une journée à Alger, puis on évoque aujourd’hui
un après-midi, avec un retour le soir même sur Paris... Trop de
mystères, non ?
Je pense que cette visite crée beaucoup d’interrogations et
d’expectative en Algérie, mais pas en France pour la simple raison qu’en
Algérie, il n’y a pas d’autres agendas que l’agenda diplomatique du
président de la République. Nous n’avons pas d’agendas économiques, de
débats sur l’école, la sécurité, le terrorisme, la santé… alors, toute
visite, même celles de routine entre les Etats, devient un événement.
Cela se passe ainsi en l’absence d’agenda autre que diplomatique.
L’Algérie est devenue une sorte d’escale où les étrangers viennent voir
le chef de l’Etat, nous renseigner et nous rassurer sur son état de
santé et voir s’il est encore possible de faire des affaires. C’est une
situation inédite mais qui, en réalité, est tout à fait conforme à une
situation de fin de règne.
On évoque depuis si longtemps cette fin de règne que beaucoup n’y
croient plus...
Nous réunissons toutes les conditions d'une fin de règne. Celle que
nous vivons n’est pas très différente de celle de Franco, de Bourguiba
ou encore de Ben Ali. C’est quand le 1er responsable du pays n’est plus
en mesure d’exercer pleinement ses fonctions qu’on cherche à se donner
une existence dans la représentation diplomatique. On essaie, dans ces
conditions, de donner l’impression que le président dirige le pays, que
ce pays est écouté et respecté et que ses dirigeants jouissent d'un
prestige international. C’est une situation qui relève plus de la mise
en scène que de l’action et se résume à gagner du temps à l’intérieur et
de sympathies à l’étranger. Les fins de règne des régimes autocratiques
dans le monde ont toutes les mêmes caractéristiques, notre pays est loin
d’être une exception.
Lors de son dernier voyage en Algérie, le 6e depuis qu’il a en charge le
MAE, Laurent Fabius a textuellement dit : « Hollande était là, il n’y a
pas si longtemps, mais l’Algérie lui manque .» Comment devrait-on lire
cela : du paternalisme ? Des interlocuteurs algériens pris pour des
naïfs ? Ou alors un amour aussi fou que soudain ?
Fabius, comme tous les ministres des AE, a sacrifié au sens de la
formule et parle aux Algériens comme les Algériens aiment qu’on leur
parle.
Pas en ces termes, pas sur ce ton et surtout lorsque cela vient de la
France !
Je pense également que cela peut procéder d’un sentiment sincère de
Hollande. Si l’on se réfère à tout ce qui se dit sur lui et notamment
sur ses positions quant à la guerre d’Algérie où il s’est opposé à son
père qui défendait une Algérie française, l’on ne peut s’empêcher de
penser qu’il est sincère. Au-delà du sens de la formule, l’Algérie
représente un partenaire important pas seulement au plan stratégique –
question du Mali et de la Libye – mais économique aussi. C’est le plus
gros marché africain de la France et au plan interne, la forte
communauté étrangère en France est algérienne. C’est un partenaire
d’exception qui sait utiliser cet atout, nous le faisons moins bien que
lui.
Les relations entre les deux pays sont qualifiées d’un côté comme de
l’autre d’excellentes. Le sont-elles réellement pour la partie
algérienne, notamment au regard d’une vision économique absente et de
projets qui semblent décidés au gré des circonstances et des
interlocuteurs? Alstom et notamment Renault peuvent-ils constituer par
exemple un partenariat gagnant pour les 2 parties ?
Alstom est un bon modèle de coopération et s’inscrit dans une
démarche qu’on aurait dû adopter il y a déjà longtemps. Cette démarche a
été adoptée par l’Egypte, l’Iran et par certains pays latino-américains.
C’est une entreprise à fort potentiel technologique. Ayant un gros
marché avec l’Algérie, elle devrait maintenant l’accompagner
d’investissements, ce qui a d’ailleurs été fait en Chine. Quant à
Renault, cela a été à mon sens une demande pressante de la partie
algérienne. En fait, un projet, plus « amour-propre» que de rigueur
économique. Ce qu’on peut reprocher aux entreprises françaises c’est de
n’avoir pas fait l’effort d’investir après avoir fait de bonnes
affaires. Il faut toutefois relativiser et reconnaître que nous n’avons
pas le meilleur système d’attractivité pour l’investissement étranger.
Nous avons une instabilité juridique, des lois qui changent
régulièrement. Nous ne donnons pas suffisamment de garanties aux
investisseurs nationaux alors qu’un des paramètres de l’investissement
étranger, c’est l’investissement national. Très peu d’Algériens ont
confiance en leur propre système. Il ne faut pas beaucoup attendre de
l’investissement étranger, mais plutôt de celui national et du
partenariat national/étranger.
Mais ils sont légion les privés qui ont fleuri ces dernières années à
l’ombre et sous la protection du pouvoir en s’enrichissant honteusement
parce que souvent frauduleusement sur le dos du contribuable algérien...
A cet effet et pour l’exemple, Rebrab constitue un exemple. Ayant
acheté l’usine Brandt, il a lancé Brandt Algérie en créant des emplois
dans notre pays. Le privé algérien est constitué de trois catégories. La
première est formée des Algériens qui importent et vendent en l’état le
produit importé. Ceux-là ont amassé des fortunes. Ils devraient
maintenant passer à l’investissement des bénéfices qu’ils ont engrangés.
La 2e catégorie de patrons est constituée de ceux qui vivent de la
commande publique. On leur donne les marchés qu’on ne donne pas aux
étrangers parce qu’il y a une loi sur la préférence nationale qui
applique cette préférence lorsque leurs prix sont de 21% plus élevés que
les entreprises étrangères. Une fois en possession des contrats, ces
patrons sous-traitent avec des étrangers. Ils vivent donc de la commande
publique et en échange, en retour d’ascenseur, ils financent les
campagnes électorales. Enfin, il y a la 3e catégorie constituée par les
capitaines d’industrie : des gens qui investissent leur propre argent ;
réinvestissent leurs bénéfices. C’est l’exemple de Rebrab qui crée de la
richesse et de l’emploi et qui constitue aujourd’hui le 2e exportateur
algérien après Sonatrach.
Au plan des relations internationales, l’une comme l’autre des deux
parties font des déclarations très générales sur l’accord total de
vision et d’approche des crises en Libye, au Mali, plus globalement au
Sahel et dans toute la région. L’accord est-il, selon vous, aussi
parfait ?
Il faut nuancer. Au Mali, nous sommes très engagés parce que c’est
un pays frontalier avec l’Algérie. L’accord n’est pas parfait et je
pense que la France devrait exercer davantage de pression sur le
gouvernement central malien. Le problème de fond au Mali c’est qu’il
s’agit d’un système centralisé, jacobin, comme le système algérien des
années 70, avant que l’on commence à procéder à l’aménagement
territorial au plan administratif. Les Maliens ne l’ont pas fait. Ils
ont hérité d’un système français centralisé et sont restés dans ce
système. Dès lors, les populations se sentent marginalisées, exclues de
la décision politique et économique. Les Algériens l’ont toujours dit
aux Maliens et aux Français. La France a des intérêts historiques et
stratégiques dans la région. Quant à nous, nous avons des intérêts
historiques et des exigences de voisinage. Dans cette région, l’Algérie
partage des frontières communes avec 7 pays, qui ont presque tous des
problèmes. C’est de notre responsabilité non seulement de sécuriser nos
frontières mais également celles de nos voisins. C’est le cas non
seulement du Mali, mais aussi de la Libye, de la Tunisie. Cela nous
donne une responsabilité particulière dans la région, mais cette
responsabilité a des exigences : une négociation dans la transparence et
la clarté ; une exigence économique, car il coûte très cher de maintenir
une armée sur le qui-vive, en état de guerre, une guerre d’usure qui
nous revient cher en ces moments de crise. La 3e exigence est que si
nous considérons que le terrorisme est une menace contre la paix et la
sécurité, c’est alors tout le monde qui doit s’impliquer pour lutter
contre.
Vous considérez qu’il y en a qui ne s’impliquent pas ou pas
suffisamment ?
La communauté internationale est très peu impliquée. Les pays
occidentaux qui s’impliquent le font parce que la menace approche de
leurs territoires. Une des menaces indirectes est l’immigration
clandestine. Ce sont les implications des groupes terroristes dans le
Sahel qui ont fait réagir l’Europe et les USA. Nous, en Algérie, nous
considérons, et avons raison de le faire, que les pays occidentaux sont
insuffisamment impliqués et qu’en plus, ils ne sont pas suffisamment
impliqués dans la lutte contre les conditions qui ont favorisé le
développement du terrorisme. Ce que je crains, c’est que l’on fasse
jouer le rôle de gendarme à l’Algérie.
Pour revenir à la France dans ce conflit malien, on ne peut pas dire
qu’elle n’est pas impliquée, dans la mesure où même son armée est
présente dans ce pays...
Oui, les Français sont impliqués parce qu’ils ont reçu mandat de le
faire et ont une couverture légale. Ils sont impliqués aussi parce que
la seule profondeur stratégique qu’ils ont, c’est l’Afrique. La France
ne peut être une puissance que si elle a une profondeur stratégique en
Afrique comme l’Allemagne a une profondeur stratégique en Europe
centrale et l’Espagne en Amérique latine. Mais la France ne peut être
totalement impliquée à cause des limites ne serait-ce qu’économiques. Le
Mali, faut-il le rappeler, c’est aussi des problèmes de développement,
c’est aussi des problèmes d’équilibre entre les régions. Aujourd’hui,
tout le monde considère que l’immigration clandestine est une menace
dans la cohésion sociale en Europe et ces pays essaient de trouver des
solutions à cette menace. Mais en réalité la solution passe par la
stabilisation des populations dans leurs propres pays. Je pense que les
pays développés sont insuffisamment engagés dans la lutte antiterroriste
et ils veulent faire jouer ce rôle à beaucoup de pays du Golfe, à
l’Égypte et à l’Algérie notamment.
Au regard de la situation de colonisation par le Maroc du Sahara
occidental qui perdure encore avec la bénédiction française, peut-on
continuer à évoquer une idylle franco-algérienne ? Pensez-vous qu’il y a
eu des évolutions dans le soutien apporté et dans quel sens, sachant
qu’il fut un temps où ce soutien constituait un blocage dans la relation
bilatérale avec la France ?
Il est incontestable que sans le soutien de la France, de celui de
l’Espagne et sans la complaisance américaine, le Maroc n’aurait jamais
fait preuve d’autant d’arrogance et de rigidité dans ses positions
vis-à-vis du Sahara occidental. C’est le soutien multiforme et
inconditionnel notamment de ces pays, qui est le fondement de
l’intransigeance des Marocains et qui explique pour une grande part le
gel des contacts entre les Sahraouis et les Marocains et le
ralentissement du processus onusien. Il est vrai aussi, qu’à un moment,
dans les années 70, ça comptait dans la qualité des relations de notre
pays avec la France. Cela pèse moins aujourd’hui. Bouteflika n’insiste
pas beaucoup sur cette question dans sa relation bilatérale avec la
France, considérant que c’est une question qui relève de l’ONU pour sa
décolonisation. Ce qui peut constituer une évolution dans la diplomatie
algérienne c’est que cette question va revenir progressivement au sein
de l’Union africaine à qui il appartiendra dès lors d’agir comme groupe
pour faire avancer la dynamique qui est ralentie en ce moment
essentiellement à cause des pressions françaises, espagnoles et
américaines.
On se serait attendu à ce qu’avec l’arrivée du pouvoir socialiste en
France, la décolonisation du Sahara occidental allait s’accélérer. Or,
elle semble plutôt prendre un autre chemin...
Les socialistes étaient attachés aux mouvements de libération
nationale dans les années 70 mais ils ont beaucoup changé à l’épreuve du
pouvoir, tout comme les socialistes espagnols d’ailleurs. Ils ont pris
leurs distances avec les mouvements de libération. C’est pourquoi, la
question sahraouie doit pouvoir évoluer au sein des instances
internationales. C’est le seul espace, la seule voie possible pour faire
aboutir les droits des Sahraouis. Nous ne devons pas beaucoup compter
sur les amitiés personnelles, sur les sensibilités avant-gardistes des
années 70. L’Europe a beaucoup changé, les socialistes espagnols n’ont
plus la ferveur qu’ils avaient pour le Sahara occidental alors qu’ils
ont une responsabilité historique sur ce qui s’y passe. Nous ne pouvons
compter ni sur la France ni sur l’Espagne. Le dossier doit être réglé au
sein de l’ONU.
C’est la position algérienne ?
Oui. La position algérienne a une qualité que tous les partenaires
reconnaissent, c’est sa constance. Depuis 1975, nous défendons cette
position. Nous n’avons cédé ni aux crises, ni aux chantages, ni aux
pressions étrangères, ni au temps. On a toujours dit que c’était une
question de décolonisation et qu’à ce titre, la communauté
internationale a une responsabilité. L’Algérie a favorisé des solutions
politiques et demandé aux dirigeants marocains d’organiser un
référendum. Si les Sahraouis veulent être sous l’autorité de la
couronne, ce sera leur choix. S’ils veulent être indépendants, ce sera
aussi leur choix. Je dois dire que l’Occident est très sensible au
chantage à la stabilité du Maroc. Il y a ainsi une pensée diffuse chez
certains gouvernements, chez des experts en sécurité, dans des task
forces que l’indépendance du Sahara occidental pouvait entraîner une
instabilité dans le royaume. Nous, nous pensons au contraire que le
règlement de la question sahraouie consoliderait le Maroc et tout le
Maghreb.
Les accords énergétiques ont toujours constitué la boîte noire entre
les deux pays. Beaucoup pensent que des accords sur l’exploration et
l’exploitation par Total du gaz de schiste ne souffrent pas de doute et
que Hollande ne manquera pas d’évoquer cette question avec son homologue
algérien qui continue dans cette voie malgré les soulèvements que
l’exploitation du gaz a provoqués dans le pays...
Avant d’aborder le gaz de schiste, il faut rappeler que Chakib
Khelil avait négocié et signé secrètement en 2007, avec la France, des
accords sur l’approvisionnement. Les questions énergétiques avec la
France relevaient pendant 10 ans de la compétence exclusive du chef de
l’Etat et de Chakib Khelil. Les institutions étatiques ont été exclues
de la gestion de cette question. Le Conseil national de l’énergie n’a
pas été du tout sollicité. Il faut rappeler aussi, qu’Hollande, dans sa
campagne pour la présidentielle, avait dit que s’il arrivait au pouvoir,
il arrêterait l’exploitation du gaz de schiste. Cela est de notoriété
publique. Les équipements achetés alors par Total au Canada ont été
transférés en Algérie. C’est ce type d’opérations qui se fait en secret
et contre tout bon sens et contre l’intérêt du pays, parce que tout
simplement le chef de l’Etat en a décidé ainsi. Une des tares du système
algérien c’est de permettre à un chef d’Etat de décider de tout sans
rendre compte à personne, notamment sur les questions stratégiques. Et
le gaz et le pétrole ne sont pas de simples produits marchands, ce sont
des produits stratégiques. Bouteflika a utilisé le gaz de schiste pour
négocier la complaisance de la France notamment pour sa présidence à
vie. Bouteflika, comme Moubarak, Kaddafi, Saddam Hussein, le chah d’Iran
ont toujours joué de la carte de l’énergie avec l’Occident. En dehors de
cette carte de l’énergie, ils n’en ont aucune autre. La question du gaz
de schiste a joué un rôle-clé dans la relation algéro-française mais
cela fait partie des dossiers qui ne sont pas connus. Le renouvellement
de l’accord gazier avec la France n’a même pas été déposé à la Banque
centrale alors que même les contrats d’armement y sont déposés. Chakib
Khelil a même écrit, alors, au gouverneur pour lui dire qu’il n’allait
pas lui remettre cet accord parce que c’est un secret d’Etat. Cela
d’ailleurs nous a valu des problèmes avec certains pays, dont l’Italie,
qui voulaient bénéficier des mêmes conditions que celles accordées aux
Français. En résumé, c’est tout cela qui explique la complaisance, le
silence complaisant et les vœux complaisants de certaines puissances
occidentales et qui fait qu’il y ait autant d’accommodements.
Qu’attend la France de l’Algérie dans le continent africain qu’elle
n’a déjà ? et quel devrait être notre positionnement dans le continent ?
Nous, notre intérêt est de ne pas nous inscrire dans une stratégie
africaine de la France. Il nous faut développer notre propre rôle d’Etat
pivot dans la région. Pour pouvoir prétendre à ce rôle, nous devons
récupérer des positions que nous avons perdues en Afrique. Bouteflika
n’a pas fait une seule visite bilatérale en Afrique alors qu’il en a
fait 7 en France. Nous devons avoir une présence sur le plan économique,
dans le domaine religieux par les imams, les centres culturels, avoir
des banques, envoyer des médecins, des instructeurs de l’armée et de la
police, recevoir ici des étudiants, des ingénieurs, assurer la formation
des élites africaines, aller dans les marchés africains, capitaliser
tout ce qu’on a fait pour l’Afrique. Il s’agit donc de ne pas s’inscrire
dans la stratégie de la France mais de développer notre propre ambition
dans le continent.
Vous avez déclaré, il n’y a pas très longtemps : « Notre diplomatie a
besoin de sortir du tête-à-tête Algérie-Occident .» Ne l’a-t-elle pas
fait en travaillant sur la dimension africaine, maghrébine et arabe en
consacrant tout un département ministériel à ces régions ?
En réalité, pour Bouteflika, les choses étaient très claires. S’il a
les soutiens diplomatiques de l’Occident, en fait de la France et des
Etats-Unis, il n’a besoin de personne d’autre pour faire ce qu’il fait
ou pour rester à vie à la Présidence. La diplomatie de Bouteflika est un
outil pour sa politique intérieure, quelque chose qui pèse dans le
rapport de force intérieur, c’est un élément qui compte dans sa relation
à l’armée, à l’opposition, dans l’image qu’il veut donner au peuple pour
que ce peuple se dise que son président est considéré à l’étranger.
La création de ce département obéirait aussi à cette instrumentalisation
?
S’il y a un chef d’Etat qui a eu réellement une politique africaine,
c’est bien Chadli. Sous Chadli, nous avions eu une trentaine de pays
ayant reconnu la RASD. Chadli a fait 3 ou 4 tournées en Afrique. Il a
reçu tous les chefs d’Etat et rendu visite à tous les Etats africains.
Chadli l’a fait parce qu’il a compris que pour être considéré comme
puissance régionale, il fallait aller dans la profondeur africaine.
Lorsqu’il avait été reçu à la Maison-Blanche, Chadli, le seul chef
d’Etat à avoir effectué une visite d’Etat aux USA , a parlé au nom de
l’Afrique. L’Algérie représentait alors quelque chose en Afrique. C’est
cette dimension que l’Algérie a perdue. L’ancien ministre des AE —
Mourad Medelci — en 8 ans n’a jamais mis les pieds en Afrique ! On
s’étonne aujourd’hui de voir comme le Maroc est présent avec force en
Afrique. Le Maroc a négocié en Afrique, pour la France et le
Moyen-Orient et notamment le Qatar. Dans la téléphonie mobile, par
exemple, le Maroc s’est associé à de grands groupes — pas des petits —
et s’est rendu en leur compagnie dans les pays du Sahel comme il s’y est
rendu aussi en se faisant accompagner par les banques, les écoles, les
imams, les médecins. Il a opéré ainsi avec ses propres moyens et parfois
en sous-traitance de la France et d’autres. Il a fini ainsi par asseoir
sa présence dans le continent. Il a même réussi à accaparer la Tidjania
dont les adeptes se rendent maintenant chez nos voisins. Chez nous, nous
avons tourné le dos au continent. Même l’effacement de la dette s’est
fait dans des conditions inacceptables. Cela a été une décision du chef
de l’Etat alors que la tradition, les usages et l’expérience sont tout a
fait autres. On efface le tiers de la dette, on restructure le deuxième
tiers et on fait rembourser le dernier tiers et par cette opération on
cherche à s’implanter dans le pays en question, en achetant des
entreprises ou en finançant des opérations de type écoles, électricité
ou autres. Bouteflika a annulé la dette de l’Irak : 450 millions de
dollars avec Al Maliki, alors qu’il n’y avait pas de gouvernement
central en Irak ! Voilà comment on instrumentalise la diplomatie.
Qu’est-ce qui explique, que, contrairement à beaucoup d’hommes
politiques de l’opposition et de commentateurs dans le pays, vous ne
partagiez pas l’idée que Hollande vient aussi comme intervenant dans la
succession de Bouteflika et que la visite servira à faire le point ?
Je n’ai jamais prêté à la France autant de pouvoir en Algérie. Par
expérience, la succession de Boumediene, Chadli, Boudiaf, Zeroual se
sont toutes faites de la même manière. Un des reproches que je fais aux
élites, à toutes les élites, y compris militaires, les généraux, les
retraités c’est que parfois ils se cachent derrière la France pour ne
pas prendre position sur les questions intérieures importantes. Lorsque
il y a eu le 3e, puis le 4e mandat, les élites, interpellées pour
réagir, répondaient que «ça ne servait à rien, il a le soutien de la
France». Le devoir de résistance est de prendre position. J’au vécu
cette expérience lorsque Bouteflika allait changer la Constitution pour
introduire le mandat à vie alors que nous avions la seule Constitution
dans un pays arabe qui limitait les mandats. J’avais fait un tour avec
un texte pour dénoncer ce projet en m’adressant à des militaires en
retraite, à un ancien chef de gouvernement, à des ministres, à des
journalistes, des écrivains… Globalement, j’ai eu la même réponse : «Tu
perds ton temps, la France et l’armée sont d’accord avec ça.» Cette
position, ce confort intellectuel dispense les élites d’une prise de
position publique. Certains, par paresse ou par manque de courage,
délèguent les problèmes de succession dans leur pays aux étrangers. Cela
dit, le président Bouteflika est capable de se confier et confier ses
intentions. Il a l’habitude de le faire et il a bien traité Si Ali
Benflis de terroriste devant un ministre espagnol. Bouteflika cherche
évidemment une garantie, une couverture étrangère. Il a conçu ainsi la
diplomatie. Lorsque les militaires l’on ramené, dans leur idée
probablement, ils ramenaient le MAE qui allait s’occuper de l’extérieur
et à eux la gestion des affaires internes. Aussi, je ne crois vraiment
pas à une implication de la France dans le processus de succession de
Bouteflika, parce que tout simplement cela va se passer comme cela s’est
passé pour ses prédécesseurs.
K. B.A.
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