Contribution : Abrogation de l’article 87 bis : suite… sans fin
Par Bachir Boulehbal
L’abrogation de l’article 87 bis de la loi 90-11 relative aux
relations de travail traitant du Salaire national minimum garanti (SNMG)
occupe le haut de l’actualité nationale depuis un bon bout de temps. On
sait que cet article, qui définissait les composantes du SNMG, intégrait
dans son calcul «le salaire de base, les indemnités et primes de toute
nature à l'exclusion des indemnités versées au titre de remboursement de
frais engagés par le travailleur».
Une revendication, impulsée par le syndicat UGTA essentiellement,
tendant à faire considérer le salaire de base comme unique composante du
salaire minimum (donc excluant toutes primes et indemnités touchées par
le travailleur) a trouvé satisfaction avec la décision de suppression de
cet article par la loi de finances 2015, et la redéfinition du contenu
du SNMG dans un décret exécutif daté du 8 février dernier. Dorénavant,
sont exclues du calcul, outre les primes et indemnités se rapportant aux
remboursements de frais engagés par le travailleur (disposition ancienne
reconduite), toute une série de primes et indemnités(1). Le cadre
explicatif de ces nouvelles dispositions n’est cependant pas précisé sur
différents aspects : données de diagnostic utilisées, logique(s) des
choix opérés, estimations effectuées, impacts financiers et financement,
modus operandi et calendrier de mise en œuvre, impacts attendus sur le
marché du travail (en termes d’emploi et d’inégalités salariales)… Le
débat peut ainsi se poursuivre, et cette contribution, en partageant
quelques éléments de la problématique du salaire minimum, y participe.
Elle aborde plus précisément les questions relatives aux objectifs
susceptibles d’être assignés au salaire minimum, à son montant et à sa
revalorisation. Loin d’inventer le fil à couper le beurre, le propos
s’appuiera principalement sur des recommandations en la matière de
l’Organisation internationale du travail (OIT) et sur quelques pratiques
internationales pouvant être utiles.
Auparavant, sans chercher à remuer le couteau dans la plaie, il n’est
pas inutile de revenir sur l’argumentaire à la base de la revendication
de l’abrogation de l’article 87 bis. L’hypothèse conductrice est celle
d’une justification insuffisante.
Justification de l’abrogation : solide ?
Selon ce qui est rapporté par les médias (à défaut de publication d’un
document officiel), un premier élément essentiel mis en avant de la
revendication serait une situation d’iniquité entre salariés. Ceux qui
ont les salaires les plus bas sont particulièrement visés. Considérée
comme liée aux mesures préconisées dans le cadre du programme
d’ajustement structurel (PAS), la prise en compte de primes et
indemnités dans le calcul du SNMG dans le cadre de l’amendement de la
loi 90-11 (qui a donné l’article 87 bis) a fait que, lors de son
augmentation, des catégories de salariés (apparemment ceux ayant le
salaire de base inférieur au SNMG, mais dont la rémunération(2) dépasse
celui-ci) s’en étaient trouvées exclues, et cette exclusion est
présentée comme une injustice. Le dossier suscite une série
d’observations formulées dans les points qui suivent :
1- les importantes et généralisées augmentations de salaires octroyées
avec effet rétroactif à compter de 2008, répondant à une logique de
rattrapage salarial fortement réclamé et attendu, avaient globalement
apaisé le front social sur le plan des revendications salariales. Mais
le management singulier du dossier relatif au salaire minimum (notamment
sur-médiatisation de la revendication, très longue période
d’atermoiement dans son traitement, communication réduite des pouvoirs
publics sur le dossier, surenchères) semble avoir suscité de nouveau une
forte attente des syndicats et des travailleurs (et… aussi probablement
d’autres acteurs — dont les spéculateurs ! — intéressés par une nouvelle
distribution élargie de revenus salariaux). L’idée directrice
sous-tendue par la redéfinition du SNMG prônée semble être une
inévitable translation de tous les salaires, avec une amplitude liée au
différentiel entre le SNMG de 18 000 DA et tous les salaires de base qui
lui sont inférieurs. D’une revendication orientée initialement vers une
catégorie de salariés qui auraient été «lésés» par l’article 87 bis, la
démarche a changé de dimension, et un glissement s’est réalisé en faveur
d’un réajustement généralisé des salaires. Il se trouve que
l’aboutissement de cette démarche, outre le coût probablement élevé(3)
qu’elle devrait induire, nécessite une action d’envergure. Aussi bien
pour la fonction publique que pour le secteur économique, il faudra
passer par une révision des grilles indiciaires de traitement et des
régimes indemnitaires, forcément déstructurés par cette redéfinition,
avec ce que cela impose notamment comme négociations, coordination,
harmonisation et mise en cohérence. Redéfinir le salaire minimum revient
à remettre en cause les résultats des efforts faits auparavant, et qui
ont eu le mérite de créer un cadre de base négocié et construit sur des
écarts de salaire correspondant à des différences en termes
d’expérience, de responsabilités liées à l’emploi occupé, de compétences
ou de qualifications ;
2 - il est sûr que si le SNMG avait correspondu au seul salaire de base,
et si l’on se place dans le cas du maintien du niveau des augmentations
décidées après l’amendement en 1994 de la loi 90-11, les personnels
«lésés» auraient eu des salaires autrement plus élevés. Ce cas reste
cependant hypothétique, car il est fort peu probable qu’il y aurait eu
autant de revalorisations, et de même ampleur, que celles opérées après
1994. On n’oublie pas en effet que le SNMG avait été revalorisé 8 fois
entre 1994 et 2014(4), avec une augmentation moyenne de près de 21%
chaque fois. En moyenne annuelle, le taux de revalorisation a été de
près de 8% (+ de 350% sur la période), contre une progression, selon des
chiffres de l’UGTA, d’environ 5% des salaires de la Fonction publique et
4% dans le secteur économique(5), pour un niveau d’inflation de 5,8%(6),
et une croissance économique de 3,3% (source : ONS). Ces données
indiquent bien une amélioration du pouvoir d’achat des salariés qui sont
au-dessous du minimum, et cela sans grand lien avec la performance
économique, ainsi qu’au niveau d’ensemble, une réduction des inégalités
salariales au bénéfice des plus bas salaires. L’injustice supposée à
l’encontre des salaires les plus faibles, du moins ceux octroyés dans le
secteur structuré, reste ainsi à démontrer. Il n’est pas déraisonnable
de penser qu’avec l’option SNMG=salaire de base, ces niveaux de
revalorisation auraient impacté plus fortement le budget de l’Etat et
les finances des entreprises auraient été plus difficilement
applicables, et le SNMG aurait en toute probabilité évolué plus
lentement ;
3 - en raison d’un dualisme creusé (secteur structuré-secteur informel),
les hausses du SNMG accordées profitent davantage aux travailleurs en
poste du secteur formel, qui disposent d’un pouvoir de pression
important sur le gouvernement et qui bénéficient du soutien des
syndicats. Militer pour plus d’équité envers les travailleurs exerçant
dans l’informel moins protégés, en introduisant plus de raison dans les
revendications et en activant efficacement pour un rapprochement des
deux secteurs, aurait été (et est toujours) une préoccupation tout aussi
importante ;
4 - un autre élément d’analyse ayant aussi servi à la justification de
l’abrogation de l’article 87 bis est relatif à la référence, par
certains experts notamment, à une définition universelle qui
consacrerait la non-prise en compte d’accessoires de salaire dans le
calcul du SNMG. Cet argument est non fondé au regard des principaux
instruments internationaux de l’OIT traitant de la question
(essentiellement la convention n°131 et la recommandation n°135 sur la
fixation des salaires minima de 1970), qui ne préconisent pas de
définition unique de composantes du salaire minimum applicable par tous
les pays. En son article 3, la convention n°131 précise seulement les
éléments à prendre en considération, «autant qu'il sera possible et
approprié, compte tenu de la pratique et des conditions nationales»,
pour déterminer le niveau des salaires ;
5 - la loi 90-11 relative aux relations de travail n’avait pas défini le
contenu du SNMG, et son amendement en 1994 n’avait donc pas remis en
cause un acquis, mais avait introduit une précision très importante dans
la législation du travail, et ce, sans transgresser les recommandations
de l’OIT. Par contre, l’article 87 bis, en énumérant les composantes à
prendre en considération, leur octroie la force obligatoire de la loi
et, en corollaire, ne peut que renforcer les droits des travailleurs. En
tout cas, l’identification précise des éléments de la rémunération pris
en compte aux fins du salaire minimum est très importante pour le
contrôle du respect du salaire minimum fixé ;
6 - implicitement, le SNMG équivalant au seul salaire de base est
considéré comme le seuil en dessous duquel se définit un bas salaire.
Outre le fait que cela n’ait pas fait l’objet de débat et d’adoption
formelle, ne pas prendre en compte une partie du revenu du salarié
(parfois importante) pour évaluer son niveau de vie conduit à des
analyses forcément tronquées. Il peut alors sembler logique pour
l’identification des salariés (et des travailleurs en général) les plus
défavorisés ou les plus pauvres de recourir plutôt à la notion de
rémunération telle que définie ci-dessus ;
7- la situation économique du pays avait été jugée suffisamment
favorable pour permettre une revalorisation tangible de tous les
salaires. L’argument semble… fragilisé par la chute vertigineuse récente
du prix des hydrocarbures qui a mis en exergue, encore une fois, la
vulnérabilité de l’économie nationale de par sa forte dépendance du
secteur des hydrocarbures, assombrissant quelque peu les perspectives
économiques ;
8 - un dernier point est relatif à l’insuffisance criante de données
statistiques fines sur les salaires, en particulier pour ce qui concerne
l’application effective du salaire minimum dans le secteur privé et son
incidence(7) sur les basses rémunérations, ainsi que la distribution des
salaires et des effectifs de salariés dans tous les secteurs. Il est dès
lors bien difficile de réformer aussi profondément le SNMG, les impacts
n’étant ni identifiables ni mesurables correctement. Le risque en est
notamment d’augmenter encore la segmentation du marché du travail en
matière de salaires (formel vs informel, salariés de la fonction
publique vs salariés du secteur économique, salariés du secteur public
vs salariés du secteur privé, qualifiés vs non qualifiés, occupés vs
chômeurs), et de compliquer davantage la politique salariale.
Au final, l’enseignement principal qui ressort de tout ce qui précède
est que, dans son principe, l’article 87 bis n’était pas aussi négatif
que généralement présenté, et s’inscrivait parfaitement dans les
recommandations et les pratiques internationales. Si le but final de
l’opération d’abrogation, non déclaré à son début, est devenu une
augmentation généralisée des salaires, ce dont on ne peut contester là
aussi dans le principe la légitimité, les justifications avancées,
menant à une démarche pas trop judicieuse, mériteraient d’être
sérieusement nuancées. La messe ayant cependant été dite, essayons de
voir certaines considérations pouvant être utiles à prendre en compte :
objectifs, niveau et revalorisation du salaire minimum.
Objectifs du SNMG
Le législateur ne les a pas stipulés explicitement dans la loi 90-11
relative aux relations de travail ; si on peut voir dans l’article 87 de
cette loi et dans l’article 89 de la loi de finances 2015 un souci de
sauvegarde ou d’amélioration du pouvoir d’achat des salariés (référence
à l’indice des prix à la consommation), tout en tenant compte de
considérations économiques (productivité et conjoncture économique
générale)(8), il serait de bon aloi d’expliciter les objectifs visés, et
ce, en s’inspirant notamment des recommandations de l’OIT. Celles-ci(9)
assignent en priorité au salaire minimum des missions de lutte contre la
pauvreté (en établissant un seuil de rémunération au-dessous duquel les
salaires ne doivent pas descendre) et de protection sociale (en
accordant aux salariés un droit à une protection contre le risque
d’avoir à travailler avec des salaires qui pourraient baisser
excessivement). Adopter formellement cet objectif enrichira certainement
le projet de code du travail national en cours d’élaboration. Le
phénomène de pauvreté, devenu une question centrale dans les stratégies
de développement économique et social (premier des Objectifs du
millénaire pour le développement), est globalement peu appréhendé en
Algérie si l’on considère l’absence, au plan officiel, d’un seuil
national de pauvreté, et le peu d’enquêtes et d’études de bonne facture
qui lui sont dédiées.
Une illustration de ce constat : alors que d’autres données avaient été
produites, sans cependant avoir été officiellement endossées par les
pouvoirs publics (10), la base de données de la Banque mondiale(11) (BM),
qui compile des données sur la pauvreté de tous les pays, en contient
une seule pour l’Algérie : le taux de pauvreté extrême mesuré par
rapport au seuil de 1,25 $ PPA (dollar en parité de pouvoir d’achat)
datant de… 1995 !!! Cette donnée provient d’ailleurs d’une étude faite
en 1999 par… la même banque sur la base d’une enquête LSMS(12) réalisée
par l’ONS.
Souvent, la BM étant la référence au plan international, ce sont ses
données qui sont reprises quand on s’intéresse à la pauvreté en Algérie,
et l’on devine le risque d’erreur encouru à cause de la non-mise à jour
de la base de données. Deux exemples édifiants dans ce cadre (il y en a
d’autres) : i) le Rapport mondial sur le développement humain (RMDH),
élaboré annuellement par le Pnud, reprend systématiquement le taux de
pauvreté de 22,6% (appelé taux de pauvreté supérieur (13) dans l’étude
de la banque). Un changement du concept de pauvreté opéré dans le RMDH à
partir de 2010 (pauvreté multidimensionnelle plutôt que pauvreté
monétaire) place dorénavant l’Algérie dans le groupe des pays ne
disposant pas des données nécessaires(14). Les comparaisons
internationales nous sont ainsi fermées ; ii) la Ligue algérienne pour
la défense des droits de l’Homme (LADDH) avance une proportion de 24% de
personnes («10 millions») qui vivraient avec moins d’un dollar par
jour(15), sans que soit précisée la source. En 1995, avec une situation
économique et sociale des plus catastrophiques de la décennie 90
(retombées sociales du PAS et terrorisme à son paroxysme), cette
proportion était estimée par la BM à «seulement» 6,4% (2,6% au Maroc en
2007 (16)): le caractère, disons… excessif de l’information ainsi portée
par la LADDH est patent ; iii) Les pouvoirs publics, dans les rapports
nationaux, considèrent pour leur part que la pauvreté extrême, définie à
travers le seuil d’un $PPA par jour, est quasi éradiquée(17) (moins de
1% de personnes concerné) ! Le gap entre ces différentes mesures de la
pauvreté est trop important pour ne pas dérouter et inquiéter. D’où la
pertinence d’inscrire dans les objectifs du SNMG la lutte contre la
pauvreté qui constitue un élément majeur de l’évaluation des politiques
publiques. Cela pourrait inciter à faire des efforts supplémentaires
pour la connaissance du phénomène et l’amélioration des programmes de sa
prise en charge. Un seuil de pauvreté national officiel est aussi
essentiel pour toute la politique sociale de l’Etat.
Besoins de base et montant du SNMG
Les recommandations de l’OIT ne précisent pas la nature des besoins à
prendre en compte et le montant du salaire minimum, laissant les Etats
décider selon leur contexte national. Deux considérations en découlent :
i) les besoins à satisfaire devraient être appréciés par rapport au
niveau de développement économique et social du pays et non dans
l'absolu, et ii) le niveau du salaire minimum adéquat devrait autant que
possible assurer un équilibre entre l’objectif de protection sociale (en
n’étant pas trop bas afin d’éviter un «salaire de misère») et les
exigences économiques (en n’étant pas trop élevé sous peine d’inciter
les employeurs au recours à l’informel et/ou à contraindre l’emploi par
la réduction des recrutements de demandeurs d’emploi les moins qualifiés
et donc les plus vulnérables.
La cohérence du propos voudrait que le montant du salaire minimum soit
lié à l’objectif de lutte contre la pauvreté ci-dessus proposé. Ce qui
nécessite, de manière consensuelle, de définir le concept de pauvreté
ainsi que les indicateurs de mesure à considérer. L’approche des besoins
énergétiques (nombre de calories/personne/jour), souvent adoptée par les
pays en développement (avec 2 100 calories pour les besoins
nutritionnels, couplés avec une composante non alimentaire), et qui a
déjà été usitée en Algérie dans les études sur la pauvreté de 1999
(Banque mondiale) et de 2004 (CGPP18), appliquée aux données de
l’enquête sur la consommation des ménages de 2011 de l’ONS, peut encore
être privilégiée(19). Concrètement, les étapes à parcourir pour la
définition et l’adoption d’un seuil national de pauvreté pourraient être
les suivantes :
1 - adopter officiellement l’approche ;
2 - charger l’ONS de calculer le seuil de pauvreté selon le protocole
mis au point pour cette méthode (20) et d’établir le profil de pauvreté
qui en découle (en particulier, il faudra faire ressortir les principaux
déterminants de la pauvreté des salariés et autres travailleurs pauvres)
;
3 - organiser la restitution des calculs avec une participation avertie
et élargie ;
4 - valider et officialiser les résultats. Les étapes 1 et 2 peuvent
durer deux à trois semaines (données et ressources techniques
disponibles à l’ONS). Quatre autres semaines pourraient être requises
pour les deux autres étapes. Plus fondamentalement encore, il faudra
nécessairement institutionnaliser un mécanisme d’observation et d’étude
du phénomène (une structure légère d’une dizaine de cadres compétents
dans le domaine (ils sont facilement trouvables), et quelques personnes
de soutien serait suffisant). Dans l’attente d’une estimation précise,
et pour se faire une idée, un ordre de grandeur du seuil de pauvreté
pour 2014 pourrait être obtenu par actualisation au coût de la vie(21)
du seuil de 2000 de l’étude du CGPP. En 2000, le seuil de pauvreté
générale était estimé à 19751 DA/personne/an ; avec une variation
d’inflation de 72% entre 2000 et 2014, il s’élèverait à près de 34 000
DA/an/personne ou à 2 837 par mois/par individu. Ce montant, multiplié
par la taille des ménages de salariés (moyenne ou maximale) donnera le
seuil au-dessous duquel les salaires ne devraient pas descendre. Dans
ces conditions, le montant actuel du SNMG (18 000 DA en brut ou environ
16 000 DA en net (22) si l’on inclut les prestations familiales)
permettrait à un ménage composé au plus de 5 personnes d’être au-dessus
du seuil de pauvreté.
Compte tenu de la redéfinition du SNMG, dans le cas de l’effectivité de
son application, la majorité des salaires devrait être supérieure à ce
minimum (les primes et indemnités s’ajoutant), et tous les salariés
appartenant à des ménages d’une taille inférieure à 6 personnes,
disposant d’un revenu au moins égal au salaire minimum, seraient non
pauvres, relativement au seuil de pauvreté ainsi grossièrement évalué.
Cet ordre de grandeur est aux antipodes des estimations du salaire
minimum avancées, par exemple, par l’UGTA (36 000 DA/mois), le PT (50
000 DA), et le Snapap (55 000 DA). C’est dire tout l’intérêt de
l’objectif d’associer formellement les concepts de salaire minimum et de
seuil de pauvreté. Par ailleurs, le SNMG actuel pourrait aussi
s’apprécier par rapport à la pratique internationale.
Le Rapport mondial sur les salaires 2008-2009 de l’OIT indiquait que, le
plus souvent, les salaires minima étaient fixés entre 35 et 45% des
salaires moyens. En 2013, selon Eurostat, pour l’UE, le niveau du
salaire minimum se situait entre 30 et 50% des salaires bruts moyens
dans l’industrie, la construction et les services.
Dans le cas national, le SNMG actuel équivalait, en 2013, à 44% du
salaire moyen dans le secteur économique, avec cependant 31,4% pour le
secteur public et près de 55% pour le privé(23), laissant supposer un
niveau du salaire minimum élevé, relativement aux autres salaires,
notamment ceux servis dans le privé
. On aurait là une des possibles explications de l’extension de
l’informel. En effet, la grande majorité des entreprises privées est de
très petite taille (selon le recensement économique de 2011, près de 98%
d’entre elles ont moins de 9 salariés), donc disposant de faibles
capacités d’absorption de chocs externes importants ; on peut
normalement s’attendre à ce que les augmentations du salaire minimum
décrites plus haut, décidées sans assurance de contrepartie productive
pour ces entreprises, les mettent en difficulté. On peut également
soupçonner que les résolutions de la tripartite sur ces augmentations
n’engagent pas une majorité d’entre elles, n’étant pas affiliées aux
organisations patronales qui y participent.
Cet ensemble d’indications rend nécessaire d’interroger avec plus de
profondeur la relation SNMG-performances de l’entreprise privée, et ce,
d’autant que l’on prête au secteur privé, sur la base des données de l’ONS,
plus de 80% de la valeur ajoutée (hors hydrocarbures) créée et 60% de
l’emploi global.
Revalorisation du SNMG
La démarche utilisée pour la revalorisation du SNMG telle qu’esquissée
plus haut présente une triple limitation. D’abord, elle ne fait pas
l’objet de réglementation. Ensuite, le niveau des ajustements est,
jusqu’à présent, largement supérieur à l’inflation. Ces deux premiers
éléments traduisent en fait l’idée d’une instrumentation du salaire
minimum lors des rapports de force qui s’exercent sur le marché du
travail. La troisième limitation concerne la fréquence de l’ajustement
(2 à 3 ans) qui fait que, dans l’intervalle des augmentations, l’absence
des nouvels ajustements peut être à l’origine d’un sentiment de perte de
pouvoir d’achat (surtout lors de la survenance de poussées
inflationnistes, certaines récurrentes). A titre d’illustration, la
dernière augmentation du salaire minimum (de 15 000 à 18 000 DA, soit
une hausse de 20%) date de janvier 2012. Sur la période 2011-2014, la
variation de l’indice des prix à la consommation se situait à 15,8%, ce
qui donne un gain moyen de pouvoir d’achat de 3,6%. En 2012, le gain
était de 10,2%. Par contre, sur les deux années 2013 et 2014, n’ayant
pas varié, le SNMG a été érodé de 06%, taux correspondant à l’inflation
moyenne sur cette période. Souvent, c’est cette dernière situation
d’érosion conjoncturelle qui est à la base de revendications salariales.
A l’instar de beaucoup de pays, et ainsi que cela se pratique pour la
revalorisation des pensions de retraite, il pourrait être donc judicieux
d’opter, à travers une procédure formelle arrêtée en accord avec les
partenaires sociaux, pour des ajustements annuels proches de l’inflation
(tout en évitant une indexation systématique potentiellement inopérante
dans les situations économiques très difficiles). Le niveau de ces
ajustements devrait garantir le maintien ou l’amélioration maîtrisée du
pouvoir d’achat des travailleurs au salaire minimum, sans faire subir de
chocs difficilement supportables aux entreprises (et même au budget de
l’Etat).
Une revalorisation raisonnable et bien anticipée peut donner de la
visibilité aux entreprises et leur offrir la possibilité d’organiser les
réactions les plus adaptées à leurs caractéristiques et à leur contexte
(formation, amélioration de la productivité, partage du temps de
travail, plus grande rationalisation des dépenses, diminution des
marges,…).
Eléments de conclusion
Globalement, cette contribution tend à montrer que, malgré un long délai
de maturation, la réforme du SNMG décidée semble avoir manqué de
profondeur d’analyse dans sa préparation, en raison d’un contexte
caractérisé par : i) une politique salariale peu cohérente et marquée
par une segmentation assez poussée des salaires, ii) un système
d’information statistique largement perfectible, iii) une conduite de
l’opération pas toujours judicieuse (pertinence de l’opération
insuffisante, notamment dans sa portée et dans son timing, faible
communication sur les travaux menés), iv) la composante conventionnelle
du droit du travail peu étendue et un encadrement syndical cristallisé
autour de la fonction publique et des grandes entreprises du secteur
économique public, v) un secteur privé excessivement morcelé et en proie
à une large informalisation structurelle et impactée en toute
probabilité par le niveau du salaire minimum. De même, outre la
complexité naturelle attachée à une réforme de cette nature, les
incertitudes pesant sur l’évolution de la situation économique et
financière du pays ont introduit une nouvelle (prévisible ?) contrainte
de taille. La mise en œuvre de la nouvelle définition du SNMG s’est
alors trouvée bien contrainte, car c’est ainsi qu’il faut peut-être
interpréter l’absence de calendrier précis d’entrée en vigueur effective
des nouvelles dispositions (leur contenu opérationnel reste aussi
inconnu).
L’impasse se dessine donc. Quoi faire alors ? Au risque de soulever
l’ire et/ou l’incompréhension de beaucoup, rapporter l’application du
décret exécutif définissant le contenu du SNMG pourrait être une
(relative) bonne solution.
L’alternative serait, dans un cadre concerté, de décider une
augmentation, raisonnable et généralisée mais modulée, des salaires de
la fonction publique, tout en maintenant le SNMG initial (aussi bien
dans sa définition que dans son niveau). Vraisemblablement, si l’on
croit une fuite dans la presse(24), cette solution, a priori surréaliste
au regard des engagements pris par les plus hautes autorités et qui ont
suscité une forte attente, et du satisfecit apparent tiré de
l’abrogation de l’article 87 bis par les partenaires sociaux, serait en
partie dans les tablettes du gouvernement. Elle consisterait à recourir,
à travers une modification du décret 08-70 du 26 février 2008, à
l’attribution d’une indemnité forfaitaire pour lisser l’iniquité induite
par la réforme du SNMG. C’est une réflexion qui mériterait d’être
creusée.
Pour le secteur économique, il faudrait appuyer et laisser les
mécanismes du droit conventionnel fonctionner, et rien n’interdit dans
ce cadre des hausses de salaires négociées à chaque fois que le contexte
le permet. Des seuils minimas spécifiques (aux entreprises, aux branches
ou aux secteurs), évidemment nécessairement supérieurs au SNMG,
pourraient aussi se mettre en place ; ils présenteraient l’avantage de
découpler quelque peu les salaires du salaire minimum et redonneraient à
l’entreprise la faculté de maîtrise des variables stratégiques que sont
le niveau des salaires et la politique de rémunération.
De même, une action vigoureuse et soutenue visant une plus grande
intégration du secteur informel au secteur structuré est un des défis
majeurs pour les partenaires sociaux dans leur quête vers plus d’équité
entre salariés.
B. B.
[email protected]
1) Elles sont relatives à l’expérience professionnelle ou toute
indemnité rémunérant l’ancienneté, à l’organisation du travail (travail
posté), au service permanent et aux heures supplémentaires, aux
conditions d’isolement, au rendement, à l’intéressement ou à la
participation aux résultats ayant un caractère individuel ou collectif.
In article 2 du décret exécutif 15-59. Cette liste apparemment fermée
est suffisamment étendue pour qu’on considère que nous sommes dans
l’hypothèse SNMG= salaire de base, mais elle reste non exhaustive (à
titre d’exemples, les primes de nuisance, de responsabilité et de
scolarité, le salaire unique et les allocations familiales n’ont pas été
considérées : oubli ou choix ? La clarification peut être utile).
2) La rémunération comprend le traitement (défini comme le salaire de
base), les primes et indemnités. In article 4 du décret présidentiel
n°07-304 29 septembre 2007 fixant la grille indiciaire des traitements
et le régime de rémunération des fonctionnaires.
3) L’impact financier proviendrait du glissement des salaires de base et
aussi de l’effet de l’indexation de primes et indemnités sur ce dernier.
Différentes estimations avancées font état d’un impact financier élevé
aussi bien dans l’administration que dans le secteur économique. A titre
illustratif, le gouvernement, déjà en 2005, avec le SNMG se situant à 10
000 DA, évaluait la facture de la redéfinition du salaire minimum à 500
milliards DA (correspondant à un doublement de la masse salariale de
l’administration). Des simulations auprès de Cosider et de Sonelgaz (cf
http://www.pressealgerienne.org/larticle-87-bis-en-10-points/)
donneraient des accroissements de la masse salariale de 38 et 23%
respectivement. Excessifs et non justifiés économiquement. Il reste
qu’en l’absence de données sur les salaires effectivement servis et les
effectifs concernés, en particulier dans le secteur économique (public
et privé), une grande incertitude entoure toute estimation faite. Il est
bon de noter cependant que le gain escompté pour les catégories de
travailleurs visées initialement par l’abrogation (ceux ayant un salaire
de base inférieur au SNMG) sera d’autant moins important que leur
salaire de base se rapprochera de 18 000 DA. Deux conséquences :
nivellement par le bas entre les catégories visées (tout le monde à 18
000 DA, alors que tâches différenciées) et iniquité dans le gain (au
détriment des plus qualifiés).
4) Cf site ONS.
5) Bilan UGTA 2000-2012. Opus cité. Le calcul de ces taux n’est pas
explicité. Un doute subsiste cependant sur leur pertinence si on les
compare à l’évolution de la masse salariale donnée par l’ONS sur la même
période : près de 16% par an d’accroissement pour l’Administration, dont
environ 4 points de pourcentage pourraient provenir de l’effet emploi,
et 10% pour le secteur économique, dont 5 points de pourcentage de
volume (source : Rétrospectives 1962-2011, ONS). Il reste que la
couverture statistique des revenus salariaux est suffisamment
approximative pour que cela incite à la prudence dans l’utilisation de
tous ces chiffres.
6) Ce taux moyen est fortement influencé par l’inflation du début de
période (1994-1995-1996) qui se situait à près de 30%, contre moins de
4% de moyenne annuelle pour les années suivantes. L’amélioration du
pouvoir d’achat est nettement plus consistante au cours de cette
deuxième période.
7) L’incidence est la mesure qui permet de savoir si le respect du SNMG
a fait baisser ou non le nombre et la proportion de travailleurs
faiblement rémunérés.
8) Le SNMG sert aussi à la détermination d’un certain nombre de
prestations et de cotisations sociales (accès à l’aide au logement,
minimum de pensions de retraite et de pensions de moudjahidine, maximum
cotisation des non salariés, cotisations de catégories particulières…),
de primes et indemnités (indemnité de l’assurance chômage,…). Cela lui
confère un rôle de premier plan dans les politiques publiques.
9) Article 1 de la recommandation n°135.
10) On peut citer l’étude du Commissariat général à la planification et
à la prospective «La pauvreté en 2000 en Algérie. Mesures et
caractéristiques selon les données de l’enquête consommation des ménages
de 2000». Septembre 2004. Elle a servi d’assise pour toutes les
estimations officielles ultérieures faites sur le phénomène, mais n’a
pas fait l’objet de validation par le gouvernement. Il semblerait que ce
soit cette raison qui ait fait que la BM, bien qu’elle ait apporté son
soutien technique à son élaboration, n’ait pas tenu compte des résultats
obtenus. Le paradoxe est immense quand on sait l’observance totale des
exigences méthodologiques et les résultats favorables obtenus en termes
d’évolution de la pauvreté.
11) http://povertydata.worldbank.org/poverty/country/DZA
12) LSMS (Living Standards Measurement Study) : Enquête de mesure de
niveau de vie
13) Voir une analyse critique de ce ratio par l’auteur : «Développement
humain, pauvreté, chômage et croissance : un autre regard». In La
tribune. Octobre 2002.
14) L’enquête consommation des ménages de 2011 réalisée par l’ONS a
pourtant collecté ces données, mais elles n’ont pas été exploitées sur
ces aspects jusqu’à présent.
15) Cette information a été relayée par plusieurs organes de presse qui
ont cité un communiqué de la LADDH à l’occasion de la journée
internationale de l’élimination de la pauvreté d’octobre 2014.
16) http://povertydata.worldbank.org/poverty/country/MAR
17) Deuxième Rapport national sur les OMD. Gouvernement algérien.
Septembre 2010.
18) Opus cité.
19) L’obsolescence des données de cette enquête est déjà sérieusement
entamée (4 années se sont déjà écoulées depuis sa réalisation). Ce qui
semble paradoxal, c’est la non-réaction des pouvoirs publics qui
auraient pu commander une étude sur la pauvreté à l’ONS, ou la confier à
d’autres structures d’études et de recherche (l’exploitation de la base
de données serait sans nul doute optimisée). Surtout que des résultats
de l’enquête déjà publiés montrent, entre 2000 et 2011, un relèvement du
niveau de vie général (justification : baisse de la part des dépenses
alimentaires dans les dépenses totales) et une diminution certaine, au
plan global du moins, de la pauvreté monétaire (justification :
augmentation en volume de la consommation/tête (d’environ 3% par an) et
baisse des inégalités mesurées par l’indice de Gini (il est passé de 32
à 31,5% (calcul de l’auteur) entre les deux dates)). Pendant que des
données relatives au phénomène dorment, outre le grand besoin de
meilleure connaissance de la situation économique et sociale de la
population, l’image de l’Algérie en matière de pauvreté continue d’être
bien malmenée avec l’effet récurrent du slogan «Pays riche, population
pauvre», et dont on peut facilement démontrer l’inexactitude des
arguments utilisés (le lecteur intéressé peut recevoir gracieusement un
projet d’article élaboré par l’auteur traitant de cet aspect, mais qui
n’a pu être publié car, paraît-il, «favorable au pouvoir». L’Algérie ne
compte pas !!!). Alors, pauvreté : sujet tabou ou…?
20) Cf Annexe 1. Etude CGPP sur la pauvreté. Opus cité.
21) Mesuré ici par la variation de l’IPC entre les deux dates.
22) Le salaire net assure la cohérence avec la définition du seuil de
pauvreté qui fait référence aux dépenses des ménages.
23) Selon l’ONS, le salaire mensuel moyen net dans le secteur économique
s’établissait en 2013 à 36 104 DA, avec 50 954 DA pour le public et 29
240 DA pour le privé. La couverture des enquêtes sur les salaires de l’ONS
n’est toutefois pas totale. En particulier, tous les salaires octroyés
dans l’informel, dont la plupart pourrait se situer à l’extrémité
inférieure de leur distribution, ne sont pas pris en compte, et le
salaire moyen se trouve ainsi surestimé. Le ratio SNMG/salaire moyen
serait de ce fait sous-estimé.
24) Déclarations de représentants du Snapap rapportées par le journal
Liberté. Edition du 23 avril 2015.
|