Monde : APRÈS L’ÉCHEC DU DIALOGUE À GENÈVE SUR LE YÉMEN
L’option militaire sera-t-elle un recours plus décisif ?
Par Houria Aït Kaci
L’échec du dialogue politique à Genève pour la paix au Yémen, sous
l’égide des Nations unies (16-19 juin), va-t-il renforcer l’option
militaire comme recours plus décisif dans l’issue finale du conflit dans
ce pays ? Les armes parleront-elles plus fort que les voix des
politiques et des diplomates qui n’ont pas su ou voulu faire triompher
la voie de la paix ? Les deux délégations s’accusant mutuellement d’être
à l’origine de cet échec, les civils continueront à payer un lourd
tribut dans une intervention militaire menée par l’Arabie Saoudite
contre le Yémen depuis près de trois mois.
Un début de Ramadhan sous les bombes au Yémen
Ceux qui pensaient sincèrement que l’Arabie Saoudite allait accepter la
proposition de l’ONU d’une trêve humanitaire de 15 jours en ce mois de
Ramadhan ont été bien déçus. Ce qui révèle bien la nature des menées
belliqueuses et sans considérations humanitaires ou religieuses des pays
de la coalition qui bombardent en ce mois de Ramadhan le peuple
yéménite, pourtant arabe et musulman !
Les raids de la coalition et les attentats terroristes d’El Qaïda ont
redoublé durant la conférence de Genève, aggravant la situation
humanitaire catastrophique dans un pays soumis à un embargo total depuis
le déclenchement, le 26 mars dernier, de l’agression du Yémen par la
coalition arabe menée par l’Arabie Saoudite. L’ONU elle-même a revu à la
hausse, vendredi, le montant désormais de 1,6 milliard de dollars en
2015 demandé à la communauté internationale pour aider 11,7 millions de
personnes touchées par la crise humanitaire au Yémen menacé d’une
«catastrophe humanitaire imminente».
Le coordonnateur des opérations humanitaires des Nations unies, Stephen
O’Brien, a dénoncé «le mépris du droit international humanitaire par les
parties en conflit» au Yémen où l’on enregistre plus de 2 600 morts,
dont la moitié sont des civils, plus d’un million de personnes
déplacées, ayant fui leurs maisons, et plus de 21 millions de personnes,
soit 80% de la population ayant besoin d’aide.
Selon lui, «les individus à travers le pays ont du mal à nourrir leurs
familles. Les services de base s'effondrent dans toutes les régions. Des
millions de familles n'ont plus accès à l'eau potable, à un
assainissement adéquat ou à des soins primaires» alors que «des
épidémies de maladies mortelles, telles que la dengue et le paludisme,
se sont déclarés».
La veille de l’entrée du mois sacré pour les musulmans, les chasseurs
bombardiers saoudiens et coalisés ont largué des bombes sur Sanaa et
d’autres régions yéménites alors que 5 attentats contre des mosquées et
la maison d'un responsable du mouvement Ansar Allah qui contrôle la
capitale yéménite ont été revendiqués par le groupe terroriste Daesh,
faisant au moins 31 morts.
Le vendredi, au moment où prenait fin la conférence de Genève, la
coalition a mené trois raids à Sanaa, ciblant le siège de l'état-major
de la Garde républicaine, fidèle à l'ancien président Ali Abdallah
Saleh, allié avec Ansar Allah (Houthis). Trois autres raids aériens ont
été menés dans la région de Khaoulan, au sud-est de Sanaa, six autres
contre un camp de l’infanterie à Hazm, dans la province d'Al Djouf et
trois dans la région portuaire d’Aden, au sud, selon les agences de
presse.
La conférence de Genève qui a pris fin sans aucun accord — échec
prévisible — aurait pu constituer une porte de sortie pour l’Arabie
Saoudite du «bourbier» yéménite dans lequel elle s’est fourvoyée depuis
la «Tempête décisive» du 26 mars, qui a échoué dans ses objectifs, selon
tous les observateurs et tous les analystes qui estiment qu’aucune
guerre ne peut être gagnée seulement par les airs. Quant à l’attaque
terrestre qui était prévue, elle n’a toujours pas eu lieu. Faute de
soldats prêts à affronter les Yéménites qui ont une réputation de
guerriers redoutables ? Mais telles qu’elles se sont déroulées, — avec
les difficultés créées à la délégation de Sanaa (Ansar Allah et les
autres forces politiques ), la présence d’un financier d’El Qaïda
(groupe pourtant blacklisté par l’ONU), Al Humayqani, dirigeant du parti
salafiste Al Rachad, dans la délégation de Riyad (gouvernement de Hadi
en exil lié à l’Arabie Saoudite), le manque de fermeté de l’ONU pour
imposer une trêve humanitaire sans conditions préalables), les pressions
exercées dans les coulisses par des observateurs internationaux —, ces
discussions ne pouvaient qu’échouer.
Le droit n’a pas pesé lourd dans la balance face à la force à Genève et
les droits des peuples et des faibles ont été étouffés par les forces de
l’argent ! Pendant que la délégation de Riyad, comprenant le financier
d’El Qaïda et chef du parti salafiste Rachad, était reçue par Ban Ki-moon,
ce dernier n’a pas reçu la délégation de l’intérieur, venue de Sanaa,
dont les membres ont vu leurs passeports confisqués par les autorités
helvétiques, pour les empêcher de se déplacer et de rencontrer des
responsables de l’ONU ou des organisations des droits de l’Homme, selon
des sources informées yéménites.
Pourquoi alors Genève ? Pour le politologue Ali Hassan El Khoulani,
«l’Arabie Saoudite voulait, à travers Genève, obtenir un cessez-le-feu à
l’intérieur du Yémen pour ralentir la progression d’Ansar Allah (Houthis),
les obliger à se retirer d’Aden, de Taiez et même de Sanaa, en utilisant
en même temps les attentats terroristes commis par El Qaïda pour
affaiblir le front intérieur et exercer des pressions contre l’armée
yéménite et les comités populaires pour stopper leur offensive et leur
avancée aux frontières contre les bases saoudiennes grâce à des attaques
aux missiles».
Porter la guerre en territoire ennemi
Or, ces attaques n’ont pas cessé, comme en témoigne le missile Scud
lancé ce samedi, au lendemain de la conférence de Genève, contre la base
Radars à Abha, dans le sud saoudien, provoquant la panique générale et
la fuite des habitants de cette ville. Des bases militaires saoudiennes
ont également été la cible d’un missile lancé le 17 juin par les forces
de l’armée yéménite, épaulées par les comités populaires, dans la zone
frontalière de Najran, tandis que la base militaire Aamish à Dhahran
Assir a été la cible de 40 missiles tirés par les forces yéménites,
selon la presse yéménite, se référant à des sources militaires.
Par ailleurs, les tribus saoudiennes, de Yam et Najran, à la frontière
avec le Yémen, ont, dans un communiqué signé par Cheikh Aziz ben Mahzel
al-Soukour, «condamné la barbarie de l’Arabie Saoudite à l’encontre du
Yémen», qualifiant de «forces d’occupation et d’agression tous les
militaires saoudiens participant au bombardement du peuple yéménite», a
rapporté la radio iranienne en français Irib. Selon cette même source,
les tribus de la province saoudienne de Najran ont constitué Le
mouvement de libération de Najran, «un mouvement politique et
militaire», qui, selon son porte-parole, Abou Bakr Abi Ahmad al Eslami,
accuse Riyad d'avoir violé les accords passés et réclame la sécession de
la province du reste du pays».
«Le régime saoudien se croit le seul gardien de la sainte Mecque. Or,
nous sommes, nous, les premiers à défendre les Lieux saints de l’islam,
si besoin est. Nous nous battrons pour libérer les localités du sud de
Najran qu'occupe le régime saoudien», a déclaré le porte- parole de ce
mouvement qui affirme «avoir abattu des positions de l'armée saoudienne
au terme de très violents combats».
Il faut rappeler que les trois régions frontalières riches en pétrole et
gaz de Najran, de Djezan et d’Asir ont été prises par l’Arabie Saoudite
au Yémen en 1934 et n’ont jamais pu être récupérées tandis que Qatif,
située sur le Golfe persique, non loin de Bahreïn, demande son
indépendance, selon le politologue El Kholani, interrogé par Le Soir
d’Algérie.
Le Yémen détient les plus grandes réserves de pétrole dans le monde
Pour ce politologue, l’Arabie Saoudite est mal informée de la situation
réelle sur le terrain au Yémen car elle «obtient ses renseignements de
canaux qui cherchent à perpétuer l’agression contre le Yémen, comme le
montrent les révélations des 70 000 documents de Wikileaks, divulgués
dernièrement.
Ce qui signifie, selon lui, «le début de la fin du régime saoudien, qui
est en difficulté et en perte d’influence avec la montée de la puissance
iranienne». Il ne manquera pas alors de solliciter l’aide et la
protection américaine, non sans bénéfices pour les sociétés pétrolières
US et israéliennes qui se verront céder le pétrole saoudien à très bas
prix».
Et Riyad lorgne du côté des réserves yéménites qui, avec la découverte
du plus grand puits de pétrole au monde, dans la zone frontalière d'Al
Jouf (Nord Yémen), dépasseront les réserves saoudiennes. Selon la chaîne
américaine Sky News qui a fait cette révélation, «le Yémen détient le
puits le plus grand dans le monde» et «les Etats-Unis et l'ancien
gouvernement yéménite ont tenu au secret l'existence de ce puits», qui
pourra faire du Yémen le pays le plus riche de la région. Si
actuellement l'Arabie détient 34% des réserves dans le monde, avec la
découverte de ces puits de pétrole, faite dans les années 1990, début
2000, le Yémen pourra détenir 34% des réserves du monde.
D’ailleurs, certains analystes et observateurs, comme Charles Ayoub,
journaliste libanais et propriétaire du quotidien Ad-Diyar, cité par
Irib : «Il semble que ces puits de pétrole sont à l'origine de la guerre
déclenchée au Yémen par l’Arabie Saoudite et à laquelle participent les
Etats-Unis.» Selon lui, «l'ancien gouvernement yéménite avait
l'intention d'impliquer les compagnies russes aux côtés des compagnies
britanniques et américaines, mais en raison d'une divergence de vues,
l'annonce de cette grande découverte a été interdite. Mais le problème,
ajoute ce journaliste, c'est que ces puits sont à Al Jouf et Maarib, des
localités dont les Américains et l'Arabie cherchent à prendre le
contrôle, via les éléments d'El-Qaïda».
Avec de telles réserves, le Yémen pourrait devenir le pays le plus riche
de la région (alors qu’il est aujourd’hui le plus pauvre).
Si on ajoute à cela sa position géostratégique dans l’océan Indien — les
Saoudiens cherchent à travers le Yémen une porte d’entrée en mer
d’Arabie —, son régime démocratique (s’il se stabilise), ses
potentialités humaines importantes, son histoire et sa civilisation
millénaire (plus de 5 000 ans) font du Yémen un des pays avec lesquels
il faudra compter dans la région et à l’échelle internationale.
Ce qui n’est pas du goût de la monarchie absolue de l’Arabie Saoudite et
des autres monarchies du Golfe, estime El Khoulani. Pour ce dernier, «la
solution à l’arrêt de la guerre au Yémen, ce n’est pas à travers des
discussions dans des hôtels, avec des délégations pro-saoudiennes,
financées par l’argent saoudien, pour aboutir aux résultats tels que
tracés par l’Arabie Saoudite, mais à travers une stratégie comprenant
trois axes». «Le premier, précise-t-il, consiste à renforcer les
attaques contre les frontières de l’Arabie Saoudite et à l’intérieur de
ce pays, à porter la guerre à l’intérieur de l’ennemi. Le deuxième
concerne l’armée yéménite qui devra aider les mouvements de libération
au Nejd et Hedjaz (l’ancien nom de l’Arabie Saoudite) des populations
spoliées de leurs biens, privées de droits politiques et tenues dans une
grande pauvreté. Enfin le troisième axe sera consacré au volet politique
et médiatique pour démasquer le système de corruption entretenu par la
famille régnante Al Saoud, ses relations avec les sionistes, ses
positions contre l’islam et contre les Arabes».
Si les forces de la résistance qui s’opposent à l’agression
saoudo-américaine arrivent à concrétiser ces actions, alors elles
pourront peser davantage dans de futures négociations, pouvant amener
l’Arabie Saoudite à négocier sérieusement et arrêter la guerre contre le
peuple yéménite», soutient El Khoulani.
TÉMOIGNAGE
Les Algériens ont foré le premier puits de pétrole au Yémen
Menai Mohamed, ancien cadre à Sonatrach, en retraite : «J’ai été
envoyé en mission par Alcore, une joint-venture entre Sonatrach et
Corelaboratories) société mixte algéro-américaine de surveillance
géologique — Sonatrach a par la suite racheté les parts américaines —
au Yémen du Sud dans la région du Hadramaout, pour encadrer les
géologues yéménites et les initier à la surveillance des puits de
pétrole. Tout l’encadrement (forage, boue de forage, surveillance
géologique) était constitué par des Algériens. L’Algérie, sous le défunt
Houari Boumediene, a aidé les Yéménites. Elle a fourni les cadres, le
matériel et même les moyens financiers pour le lancement de l’activité
pétrolière dans ce pays.
J’ai participé au premier forage de puits au Yémen avec d’autres cadres
algériens. Nous étions sur un champ qui avait déjà été exploré par
Aramco (société américano-saoudienne). La mission des Algériens a pris
fin en 1974 avec le début de l’exploitation des puits.
J’ai séjourné à Cratère, la ville portuaire d'origine, à Aden,
construite elle-même sur un volcan éteint. C’était en été et il faisait
très chaud. Je me souviens qu’à l’époque le transport routier n’existait
pas encore dans cette zone difficile d’accès, accidentée et on devait se
déplacer par hélicoptère. Je me souviens de ma première impression, à
l’arrivée à l’aéroport d’Aden. J’ai été étonne de voir les gens avec une
boule sous la joue, pensant qu’ils avaient tous un abcès et je me
demandais ce qui m’attendait avec cette étrange épidémie. J’ai appris
ensuite que c’était du khat, une plante stimulante que l’on mâche à
longueur de journée et qui se vend partout. Les yéménite sont des gens
accueillants, très simples, très modestes, très pauvres et j’ai été
frappé aussi d’entendre parler certains d’entre-eux, dans de rares
régions du Sud la même langue que tamazight de chez nous.
Ce qui m’avait frappé aussi c’était de voir tout le monde porter des
armes et les alentours du champ pétrolier où je travaillais étaient
gardés par des gens armés. On entendait de temps à autre des clans qui
s’affrontaient. Il y avait comme un état de guerre larvé, en ce
moment-là au Yémen, partagé en deux, le Sud et le Nord, avant la
réunification du pays en 1990. Mais il n’y avait pas de conflits
confessionnels entre chiites et sunnites, comme on veut le faire
admettre aujourd’hui. Par contre, il y avait une animosité permanente
avec les Saoudiens qui voulaient s’imposer au Yémen, ce que les
Yéménites rejetaient. Ce sont des combattants très courageux et, dans le
combat, ils peuvent être féroces. Ils ne baissent jamais les bras. S’il
n’y a pas une solution politique pour arrêter le conflit, c’est une
guerre de longue durée qui va s’installer.
Aujourd’hui la situation humanitaire est dramatique surtout que les
Yéménites sont des gens très pauvres, mais très dignes aussi. Il faut
les aider, même si nous les Algériens avons nos propres problèmes, c’est
un devoir moral, pour nous, surtout en ce mois de Ramadhan. Ils ont
besoin d’une aide matérielle, comme une collecte de produits
alimentaires et de médicaments, comme cela a été fait pour Ghaza, sous
blocus israélien. Cette aide pourrait être organisée par le Croissant-
Rouge algérien et acheminée par le biais des Nations unies en raison de
l’embargo.»
H. A.-K.
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