Corruptions : L’après-pétrole et le développement
Le début de l’ère de la «bonne gouvernance» ?
Bientôt, 4 ou 5 années tout au plus — tous les
spécialistes s’accordent à le dire —, la manne pétrolière sera derrière
nous et toutes ses dérives avec : économie mono-exportatrice, rente tous
azimuts, gabegie, dépenses publiques incontrôlées, etc. Quid alors du
développement ? L’Algérie s’engagera-t-elle sur la voie du progrès et de
la justice sociale ? Qu’en sera-t-il des perspectives démocratiques, des
libertés et de la bonne gouvernance ? Les Algériens sauront-ils réagir
pour mener leur pays vers un renouveau tant espéré ? Ces questions font
l’objet de nombre d’analyses un peu partout dans le monde, et l’une
d’entre elles, publiée récemment(*), a retenu notre attention.
Jomo Kwame Sundaram et Michael T. Clark sont experts au sein de
l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture de l’ONU (FAO), et
de s’interroger : «La «bonne gouvernance» est-elle indispensable au
développement ?» Mais qu’est-ce que la bonne gouvernance ? La Banque
mondiale en a dressé quelques indicateurs, et la liste n’est pas
exhaustive (voir encadré ci-dessous). Beaucoup de personnes bien
intentionnées ont soutenu ou soutiennent des «programmes de bonne
gouvernance» dans les pays pauvres, pensant qu’ils conduiraient à un
développement plus rapide et équitable. Malheureusement, il n’y a pas de
preuves que la «bonne gouvernance» soit nécessaire au développement
socio-économique.
Il y a corrélation entre le développement et un meilleur fonctionnement
des institutions, mais c’est le développement qui conduit à ce meilleur
fonctionnement – et non le contraire. Soyons clairs : personne ne veut
de la corruption ou d’autres dysfonctionnements de ce genre.
Bien au contraire, tout le monde veut «améliorer la gouvernance».
Les mauvais conseillers
L’échec de la politique économique conventionnelle menée pendant la
crise de la dette publique des pays en voie de développement, dans les
années 1980, a mené à la recherche des «responsables» de cet échec : de
1980 à 2000, l’Afrique subsaharienne a perdu un quart de siècle de
progrès socioéconomique !
Les gouvernements de ces pays étaient des cibles faciles, et les
réformes de «bonne gouvernance» furent présentées comme la solution.
Conseiller des gouvernements sur la façon de faire leur travail est
devenu une nouvelle vocation pour des institutions internationales.
L’Algérie aussi n’y a pas échappé, mais la manne pétrolière qui a
explosé dès la fin des années 90 a dispensé le pouvoir en place
d’inscrire ces réformes à son agenda. La Banque mondiale a ainsi
introduit un indice composite de «bonne gouvernance» basé sur des
centaines d’indicateurs. Elle a trouvé une bonne corrélation entre cet
indice et la performance économique, et nourri l’espoir que
l’élément-clé manquant pour le progrès économique avait été découvert.
Mais tout cela a été construit sur de mauvais fondements : les
indicateurs n’ont pas de base historique et ne prennent pas en compte
les défis ou les spécificités de chaque pays. Le choix des pays lui-même
est biaisé, et les calculs ne prennent pas en compte les
interdépendances entre variables. Résultat : l’analyse exagère l’impact
de la bonne gouvernance sur la croissance. Malgré cela, les réformes de
bonne gouvernance sont imposées comme des conditions à l’octroi de
l’aide au développement. Le gouvernement du pays récipiendaire finit par
mimer les attentes du donateur, mais la réforme a peu de lien avec les
problèmes réels du pays. Et quand il y a plus de cent indicateurs, la
réforme devient si vaste qu’elle est hors de portée de la plupart des
pays. Surtout, elle détourne l’attention et les efforts de ce qui serait
véritablement nécessaire.
Biens communs ou intérêts privés ?
Les solutions de bonne gouvernance, bien qu’en principe «neutres»,
ébranlent des droits traditionnels et des obligations coutumières
établies sur des générations, et favorisent trop souvent des intérêts
privés. Dans beaucoup de cas, elles ont des effets inattendus ou
pervers. Par exemple, la décentralisation permet souvent l’émergence de
puissants «caciques» politiques locaux. Comme l’économiste américaine
Merilee Grindle (Université de Harvard aux Etats-Unis) l’a écrit, le
véritable besoin est celui d’une gouvernance «suffisamment bonne» —
c’est-à-dire qu’il faut sélectionner ce qui est nécessaire au sein de la
longue liste de ce qui serait souhaitable. Ces réformes non seulement
créent des attentes irréalistes, mais compliquent encore
considérablement et inutilement le travail des gouvernements. Et elles
se trompent souvent sur les moyens. Par exemple, elles insistent sur la
nécessité d’étendre le droit de propriété. Leur argument est qu’en
l’absence de droit de propriété individuelle, les biens communs sont
surexploités et utilisés de manière inefficiente, et que les incitations
à des investissements productifs sont faibles ou nulles. En réalité, la
«tragédie des biens communs» n’est ni universelle ni inévitable. Leur
absorption par la propriété privée n’est pas nécessairement la meilleure
solution. Une autre économiste américaine Elinor Ostrom (1933-2012),
prix Nobel 2009, a montré que les sociétés ont élaboré des panoplies de
solutions créatives et durables pour résoudre de façon optimale un grand
nombre de dilemmes sur les biens communs.
Privilégier des réformes définies localement
Les grosses organisations bureaucratiques internationales ont tendance à
apporter des réponses technocratiques face à ce qui est, en réalité, un
problème politique. La promotion d’une réforme de bonne gouvernance est
une réponse technocratique à ce que des personnes bien intentionnées
considèrent comme de mauvaises politiques publiques. Elles supposent que
la solution à la plupart des dilemmes politiques se trouve dans la
conformité à des indicateurs portant sur les processus ! Nous savons que
la gouvernance s’améliore avec le développement. Il faut donc
privilégier des réformes de développement qui améliorent la gouvernance.
Une approche pragmatique ne peut être la même pour tout le monde. Elle
ne peut pas apporter la solution avant même que son destinataire ne
connaisse le problème. Beaucoup de prescriptions du programme de bonne
gouvernance peuvent devenir des éléments de solution. Mais cela se
produira, non pas parce que des étrangers le demandent, mais parce que
les acteurs voudront qu’il en soit ainsi, pour des raisons concrètes qui
leur sont propres. Il n’y a pas de pratiques «exemplaires», qui soient
applicables sans prendre en compte les contextes. Il faut être humble,
et cela n’est jamais facile pour nous, experts présumés.
(*) Voir le quotidien français le monde, juin 2015.
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