Chronique du jour : Kiosque arabe
Comme il est loin, le musée !


Par Ahmed Halli
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Ils sont partout, ils attaquent de tous les côtés, au sud, au nord, à l'ouest, et à l'est, ils attaquent sur les quatre points cardinaux et en leur centre, se promènent entre Kobané et Ramadi, avec une mobilité et une puissance de feu impressionnantes. Spontanément, des milices islamistes font leur allégeance aux divers points du «croissant stérile», et la sinistre Al-Qaïda fait patte de velours, si j'ose dire. Pour faire tout ceci, et plus encore, Daesh a besoin d'une logistique que seuls des Etats peuvent posséder, et tous les analystes censés ne cessent de nous le répéter. Alors, la question est de savoir quand ce trio infernal, Etats-Unis, Arabie Saoudite, Qatar, va-t-il mettre fin à ce jeu trouble et dévastateur, qui fait de cette partie du monde un vrai champ de mines ? Serait-il possible de bombarder Mossoul, comme on le fait pour Sanaâ, et verser aux pertes et profits les éventuelles victimes pas si innocentes qu'il n'y paraît ? On ne va quand même pas nous dire que l'opération «Tempête décisive» déclenchée par les Saoudiens au Yémen, avec l'appui des avions ravitailleurs américains notamment, ne peut pas se réaliser contre «l'Etat islamique» ! Obama qui fait de grands discours dans les églises, même s'il chante faux, et quand il parle aux musulmans d'un islam qu'ils ont oublié, ne pourrait-il pas juste tirer un peu sur la bride ?
Non, ce n'est pas encore à l'ordre du jour, et Obama vient de nous le confirmer, sur un air de gospel, à partir d'une chaire d'Eglise, celle d'une religion où l'on n'a pas les yeux rivés au ciel. Même s'ils ne sont pas tout à fait conformes à ceux qu'Obama prête à Dieu, les Etats-Unis ont leurs «propres plans» et ils travaillent à les réaliser «selon des voies» moins mystérieuses que celles évoquées à Charleston. Comme il l'aurait fait pour le discours euphorisant du Caire, le pape Pie VII aurait répliqué au sermon de Charleston par les mêmes expressions utilisées jadis pour Napoléon : «Comediante ! Tragediante !» Le même jour, à des milliers de kilomètres de là, un homme se faisait exploser dans une mosquée chiite de Koweit-City, après avoir annoncé qu'il allait «rompre le jeûne avec le Prophète». Ce vendredi encore, des estivants européens se faisaient mitrailler sur une plage de Tunisie, provoquant un exode massif des touristes. Là aussi, ces sempiternelles réactions de déni : «non ! L'islam n'a rien à voir», et on récite pour preuve un verset idoine sur le fait d'ôter une vie sans raison, qui équivaut à tuer l'humanité entière. Simplement, on oublie que ceux qui commettent ces horreurs en ont plein le carquois de versets et hadiths, qui signifient autre chose pour eux et qui justifient leurs actions néfastes au nom de l'Islam.
La veille de l'attentat-suicide contre une mosquée chiite, dont l'auteur serait un Saoudien, les autorités koweïtiennes ont fait fermer les bureaux de la chaîne satellitaire Wissal, pour incitation à la haine communautaire et apologie du terrorisme. Quelques jours avant cet attentat, la chaîne avait notamment reproduit des twitts, incitant à s'attaquer aux lieux de culte chiites, ou husseïnyate. De son côté, le blogueur saoudien, Hassan Ferhane Maliki, a ironisé sur les déclarations du gouvernement saoudien affirmant que Wissal et une chaîne similaire Safa avaient des propriétaires fantômes. «Comment peut-on admettre qu'une chaîne émettant du centre de Riyadh soit aux mains de propriétaires fantômes, inconnus des autorités ?» a-t-il posté sur Twitter. Pour lui, il suffirait juste de publier les noms des propriétaires de ces chaînes pour que leur nuisance baisse de moitié et que la violence cède en intensité. Sur le même registre, le blogueur accable les autorités de son pays en affirmant que l'extrémisme religieux n'est pas l'apanage de l'Etat islamique. «Daesh n'est que la pointe acérée d'une lance très longue. Les origines, les symboles, l'histoire et le discours de l'extrémisme sont connus. Le problème est qu'il est interdit de dénoncer ouvertement cet extrémisme et de lui demander des comptes, et que ceux qui le connaissent assez sont muselés.»
Autrement dit, des chaînes comme Wissal peuvent propager un discours d'intolérance et de violence à partir du royaume, mais pas le blogueur, qui appelle à la raison et au respect de la diversité des opinions. Un tantinet plus optimiste, un autre chroniqueur décrié, Khaled Mountassar, revient sur les «nouvelles» formes d'interrogatoire et d'exécution médiatisées par Daesh. Il raconte qu'il en a rencontré les origines lors d'un séjour dans la capitale hollandaise, Amsterdam, où il a visité un site historique très particulier, le «musée de la torture». Dans ce musée, il a vu les instruments les plus diversifiés et les plus ingénieux, conçus pour arracher des aveux, exorciser, ou punir de la façon la plus cruelle, ce qui prouve que là encore, les intégristes d'aujourd'hui n'ont rien inventé. Tous ces instruments utilisés jadis en Europe, pour réprimer et faire taire les voix de la liberté, n'ont réussi qu'à renforcer l'attachement à ces libertés dans ces pays, souligne le médecin-chroniqueur égyptien. Mais en attendant que Daesh et ses outils soient relégués au musée, Khaled Mountassar est la cible d'une violente campagne islamiste. Simplement parce qu'il a osé émettre des doutes sur la question des «supplices du tombeau», considérée par certains comme l'un des piliers de la foi, tout autant que le voile de la femme. Comme le musée est encore loin !
A. H.



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/06/29/article.php?sid=180610&cid=8