Sports : Un mois après l’ouverture de la première période des
transferts
Mercato estival, les dessous d’une supercherie algérienne
Le mercato estival flambe en Algérie. Un mois après
son ouverture, le marché des transferts de la première période
réglementaire semble même prendre un coup de pompe, la plupart des clubs
ayant fait leurs emplettes aussitôt la saison 2014-2015 bouclée.
Mais qu’est-ce qui fait courir les présidents des clubs professionnels
et leur «entourage» à s’activer si intensément durant cette intersaison
? Quels sont les circuits suivis pour remporter les «bonnes affaires» ?
Quelles sont les garanties offertes par les manageurs à leurs clients
(joueurs et clubs) dans ces transactions dont on ne connaît que
vaguement les détails ? Ces questions et d’autres encore sont posées à
chaque fois que le marché du bétail des temps modernes est lancé. Malgré
les balises, lois et règlements nationaux (FAF et LFP) et internationaux
(Fifa et CAF), des insuffisances persistent dans la gestion de ce
dossier. En Algérie, contrairement à ce qui se fait ailleurs, le mercato
est régenté par des circuits alambiqués, douteux. A en croire des
témoignages, les agents de joueurs, pompeusement appelés manageurs,
opèrent dans le pur style mafieux. Des dérives qui n’offusquent
aucunement les instances de football du pays qui continuent à observer
religieusement le mouvement du «bétail». Une attitude qui en dit long
sur l’opacité d’un marché sans foi ni loi qui bénéficie de complicités
au plus haut lieu de la pyramide du football.
Des agents hors normes et hors la loi
Pour exercer l’activité d’agent de joueurs, les associations nationales
ont, sur instruction de la Fifa, mis en place un cahier de charges qui
définit les critères requis et les missions assignées aux titulaires de
la licence d’agent de footballeur. En Algérie, au bout de plusieurs
examens organisés sous l’égide de la Fédération algérienne de football,
ils sont environ une soixantaine de personnes qui activent dans ce
marché. Parmi lesquelles une petite dizaine de manageurs détient le
monopole des gros coups, ceux qui attirent les regards des médias. Dans
ce lot, plusieurs agents sont des binationaux, en l’occurrence des
Algériens nés à l’étranger, exclusivement en France, qui ont passé avec
succès leur examen. Pour la loi algérienne définie dans les RG de la FAF
(article 80, section 5 consacré à l’agent de joueur Fifa), le candidat à
l’obtention d’une licence doit répondre aux questions, une quinzaine,
portant sur la réglementation nationale et internationale notamment les
statuts et règlements adoptés par la Fifa lors du congrès de Nassau en
juin 2009. La connaissance des RG de la FAF et des aspects juridiques
liés à la fonction de manageur est un impératif pour réussir cet examen
dont la gestion revient au Secrétariat général de la FAF. En mars
dernier, le 64e congrès de la Fifa a approuvé plusieurs amendements dans
cette charte qui réglemente l’activité d’agent de joueur. Le concept
d’intermédiaires a été validé. «Le nouveau système ne régule pas l’accès
à l’activité mais fournit un cadre permettant un contrôle et une
supervision plus stricts des transactions liées aux transferts de
joueurs professionnels, et ce, à des fins de transparence. L’approche
réglementaire adoptée dans cette optique est l’introduction d’exigences
et standards minimaux, ainsi qu’un système d’enregistrement des
intermédiaires qui représentent les joueurs et/ou les clubs au moment de
conclure des contrats de travail et des accords de transferts.
L’objectif est de fournir aux joueurs et aux clubs l’opportunité de
choisir une partie qu’ils souhaitent engager en tant qu’intermédiaire,
si tant est que cette partie satisfasse à certains critères, se conforme
aux standards de meilleures pratiques et respecte certains principes
clés. Cette nouvelle approche remplace l’actuel système d’octroi de
licences à compter du 1er avril 2015», lit-on sur le site de la Fifa.
Les nouveautés apportées à la réglementation assurent aux opérations de
transfert de footballeurs plus de transparence (divulgation et
publication des paiements effectués aux intermédiaires), le paiement des
frais d’intermédiaires (définition du pourcentage réservé aux
intermédiaires et l’identification des entités qui doivent effectuer ces
paiements, la divulgation par écrit de tout conflit d’intérêts entre les
parties concernées et, enfin, la protection des droits des footballeurs
mineurs dont les transferts ne devraient entraîner aucune commission en
faveur de l’intermédiaire. Mais entre les textes de loi et la réalité,
il semble se dresser une curieuse opacité. Pour un agent en activité qui
a requis l’anonymat, «tout n’est pas clair. Et j’accuse la fédération
d’être derrière cette situation qui profite à des circuits mafieux»,
lâche-t-il sèchement. Et d’aller au fond de sa pensée : «Il y a d’abord
la manière de gérer l’examen. Celui-ci a perdu toute sa signification
depuis l’arrivée d’un nouveau SG à la fédération. Du temps de feu Mourad
Bouchemla, les choses étaient claires pour tout le monde. Les candidats
étaient choisis suivant le travail remis durant le concours.
Aujourd’hui, tout dépend des liens que tu entretiens avec le SG de la
FAF», affirme notre interlocuteur qui regrette la mainmise exercée par
une poignée d’agents privilégiés sur le marché. Pour cet agent rebelle,
la fonction de manageur est traversée par des maquignons d’un nouveau
genre. «Si tu ne verses pas de pots-de-vin, des rétro-commissions à
certains présidents, tu n’as rien. Pour un même client, les présidents
peuvent avoir une attitude différente. Si tu ne joues pas le jeu, tu ne
peux conclure le transfert. Un autre agent qui accepte d’assurer une
ristourne au dirigeant du club vendeur ou recruteur a toutes les chances
de réussir son affaire. Moi, je ne mange pas de ce pain-là», explique
celui qui a la certitude que «sans la bénédiction des structures
dirigeantes du football, ces intermédiaires qui ne sont même pas
capables de lire et d’écrire, n’auraient jamais eu cette opportunité
d’exercer ce métier pour lequel il faudrait avoir une bonne base dans la
connaissance de la juridiction du football». Que dire de ces
pseudo-manageurs venus d’ailleurs, à l’instar du Franco-Camerounais Leo,
qui exercent en Algérie sous le couvert de cabinets étrangers. Des
rabatteurs, en somme, qui refusent de s’exprimer sur le sujet. Sur les
trois appels téléphoniques, Leo qui exerce en Algérie depuis plusieurs
années a même osé prétexter qu’il était «occupé».
Des «avocats à la petite semaine»
Dans cette mascarade où même les entraîneurs, du moins certains d’entre
eux, imposent leur package de joueurs à leur arrivée au sein de leur
nouveau club, le rôle de l’agent de joueur ou de l’intermédiaire se
résume généralement à intervenir au moment des conflits. En fait, non
admis (pour la plupart) à intervenir durant les négociations, comme le
prévoient le protocole fourni par la Fifa, l’agent se présente en
pompier dès lors que employés et employeurs arrivent à une situation de
blocage. Non-paiement de salaires ou de primes, non-respect du contrat
ou falsification des documents liés aux contrats sont des causes souvent
invoquées qui nécessitent l’intervention des agents dument mandatés et
par leurs clients (joueurs ou entraîneurs) et par les instances du sport
et de la juridiction sportive (Fédération, Ligue ou TARLS). Notre
agent-témoin se souvient avoir intervenu dans nombre de cas de violation
de contrats. Pour lui, «clubs et joueurs ignorent totalement la
réglementation. C’est pourquoi, je persiste à dire que la responsabilité
des instances du football est entièrement engagée». Comment ? Notre
interlocuteur rappelle d’abord les textes de loi édictés par la Fifa et
appliqués par les associations représentatives et leurs ligues
professionnelles. «La ligue a les moyens de prévenir ce genre de
conflits. Je ne dis pas que ces règles et textes couvrent tous les cas
d’espèces de conflits qui peuvent survenir entre un employeur et ses
employés. Mais, juste en appliquant les résolutions en vigueur en se
basant sur ce qui est mentionné dans les contrats de joueurs, beaucoup
de fâcheuses situations ne se seraient pas produites. Après, nous quand
on intervient de manière légale, les clubs ou même les joueurs fautifs
sollicitent une solution à l’amiable car ils savent que leur cause est
perdue d’avance», explique-t-il en ajoutant que les affaires traitées
par les instances (sportive ou de juridiction sportive) «se règlent
généralement à l’amiable. Très peu de dossiers échouent devant les
tribunaux civils, juridiction où les affaires traînent en longueur même
si, au final, le plaignant fort de son bon droit obtienne souvent gain
de cause».
Et les joueurs dans tout ça ?
La carrière d’un footballeur, si éphémère qu’elle soit, passe par
plusieurs étapes tortueuses. Dès lors qu’un club propose à un des
joueurs formé en son sein ou ramené d’ailleurs, les tourments
commencent. Au départ, et c’est une règle générale en Algérie, ce sont
les parents qui s’occupent de ces questions liées à la négociation du
contrat (prime et durée) et à la promotion de la carrière du
footballeur. Avec le temps, et dans l’impossibilité d’exercer l’activité
faute de licence ou d’autorisation dûment établie par les instances du
football, confier les intérêts à un agent intermédiaire ou cabinet
spécialisé dans les transferts et la gestion des carrières sportives,
devient inévitable. C’est la règle admise partout, et mise en pratique
particulièrement en Europe.
En Algérie, les choses diffèrent foncièrement. Dans l’absolu, on invoque
l’ignorance des uns et des autres. Le joueur qui n’a pas de tuteur légal
est très peu regardant sur les termes de son contrat. On se rappelle
bien des fameux avenants apportés par certains présidents de clubs aux
documents officiels de certaines vedettes de notre championnat. Ces
avenants portent principalement sur la durée du contrat, son
prolongement tacite et les clauses libératoires pour le moins curieuses
pour ne pas dire illégales. Certains joueurs qui pensaient pouvoir
changer dès lors que leur contrat initial a expiré sont rattrapés par
ces avenants contraignants et rarement vérifiés à la signature du
document. Les footballeurs n’étant, pour la majorité, pas les plus
cultivés des artistes aux pieds d’or, forcément que ce genre de
dépassements entraîne des situations loufoques devant lesquelles les
juridictions du sport de même que les tribunaux n’accordent aucune
grâce. «Nul n’est censé ignorer la loi» est un adage qui s’applique
fortement aux joueurs mais aussi aux clubs. Ceux d’Algérie, si
insatiables quand il s’agit de sortir la «chkara» pour régler les
«extras» à partir des subventions étatiques destinées à d’autres
créneaux (formation, frais de gestion etc.) n’en ont cure des règles
élémentaires qui régissent les opérations de recrutement. La plupart des
responsables de clubs invités à se prononcer sur la question ont évité
d’éclairer notre lanterne. Des dirigeants, pourtant très actifs sur le
marché des transferts, ont demandé qu’on les rappelle, d’autres ont
orienté le débat sur des voies encore plus impénétrables…
M. B.
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