Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Daesh, un an après, une progression inquiétante
Par Hassane Zerrouky
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Il
y a un an, le 29 juin 2014, premier jour du Ramadhan, l’Etat islamique
est proclamé sur un territoire de plus de 200 000 km² à cheval sur
l’Irak et la Syrie, avec à sa tête Abou Bakr al-Baghdadi, surnommé le
«calife à la Rolex». Ce qu’Aqmi et ses alliés du Mujao et Ansar Dine
n’avaient pas réussi à faire dans le nord du Mali, établir un califat,
l’EIIL (l’État islamique en Irak et au Levant) l’a fait. Tous les
groupes de la galaxie djihadiste sont alors sommés de faire allégeance
au nouveau calife. «Vous n’avez aucune excuse religieuse pour ne pas
soutenir cet État», lançait alors son porte-parole Abou Mohamed Al
Adnani. Al Baghdadi fera une seule apparition publique, lors de la
grande prière du vendredi, le 4 juillet 2014, dans une mosquée de
Mossoul, avant de disparaître des écrans.
Ce 29 juin 2014, la surprise fut donc totale car personne n’avait vu
venir cette déferlante djihadiste dans le désert irakien avec ses
pick-up lourdement armés, soulevant sous une température de plus de 40
degrés des nuages de poussière, annonçant l’apocalypse pour tous ceux
qui ne partageaient pas son projet messianique. En l’espace de 20 jours
(du 9 au 29 juin), les villes de Falouja, Tikrit, Mossoul, des pans
entiers des régions de Ninive, de Diyala (est), Salaheddine, Kirkouk et
Al-Anbar (ouest) passent sous le contrôle de l’EIIL, qui allait changer
d’appellation et devenir l’Etat islamique (EI ou Daesh).
Les soldats irakiens de confession chiite faits prisonniers sont
systématiquement massacrés à la kalachnikov dans des fosses communes par
les nouveaux « sonderkommandos» djihadistes : 1 700 d’entre eux sont
tués en une journée dans la seule région de Mossoul. Quant aux
chrétiens, Daesh leur a laissé le choix : accepter un statut de dhimmi
soumis à l’impôt, se convertir ou partir en abandonnant tous leurs
biens. Les Yazedis, minorité religieuse installée dans cette région
depuis l’époque d’Abou Bakr Es-Seddik (rien à voir avec al-Baghdadi),
sont massacrés et leurs femmes vendues comme esclaves.
Dans les territoires conquis, les nouveaux conquérants invitent les
fonctionnaires à rester afin d’assurer un minimum de service public
(hôpitaux et administration), mettent en place une police et des
tribunaux religieux et prélèvent des impôts. Quant aux vraies sources de
financement du califat, elles proviennent, d’une part, de l’exploitation
et de la commercialisation des ressources pétrolières et gazières à
travers le territoire turc et, d’autre part, de fonds privés octroyés
par de richissimes hommes d’affaires et des fondations religieuses des
pétromonarchies. Daesh dispose surtout, via une exploitation
exceptionnelle des réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Youtube…) et de
multiples sites comme Cybercaliphate, d’une véritable force de frappe
médiatique et d’enrôlement de jeunes en provenance des pays arabes,
asiatiques, européens et même d’Amérique du Nord.
En un an, malgré les frappes de la coalition internationale mises en
place par les Etats-Unis, l’EI, en dépit des revers subis face aux
Kurdes à Kobané en janvier dernier, n’a cessé de s’étendre. En Syrie,
après s’être emparé de Palmyre (21 mai), il tente de reprendre Tal al-Abyad,
Hassaké et Kobané dans le Kurdistan syrien. En Irak, en dépit de la
perte de Tikrit, l’EI s’est emparé de Ramadi le 17 mai. En Égypte, le
groupe djihadiste Ansar Beit al-Makdas et Boko Haram au Nigeria lui ont
fait allégeance. En Libye, devenue véritable arsenal à ciel ouvert grâce
aux arsenaux de l’armée de Kadhafi, l’EI est en train de prendre le
dessus sur Fadjr Libya (branche armée des Frères musulmans) – Syrte est
passée sous son contrôle – et menace la Tunisie où il dispose de
nombreux réseaux. Chez nous, bien que Jund al-Khilafah, sa franchise
algérienne, ait subi un terrible revers le 21 mai dernier (25 tués dont
l’émir Khazra Bachir qui avait succédé à Abdelmalek al-Gouri tué fin
décembre), l’EI reste une menace. Signalons enfin, que Daesh a demandé à
Aymen Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda, de lui faire allégeance !
Une chose est sûre, Daesh ou l’EI, produit de la dislocation de l’Irak
consécutive à l’invasion de ce pays par les Etats-Unis en 2003 et de la
militarisation de la révolte syrienne encouragée par Washington, tire sa
force de la faiblesse des Etats dirigés par des pouvoirs autoritaires
impopulaires, corrompus, imbus d’eux-mêmes et méprisants envers leurs
peuples. Même si dans un avenir proche, l’EI finit par s’effondrer, il
n’en reste pas moins qu’en tentant de redessiner la carte géopolitique
sur une base confessionnelle, il a déjà fait, en partie, le «boulot» de
ceux, Washington en tête, qui veulent démembrer le Moyen-Orient. Et ce
n’est pas du «complotisme» !
H. Z.
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