Entretien : IMANE HOUDA FERAOUN, MINISTRE DE LA POSTE ET DES TIC
«Sauver la poste, Réglementer les TIC»


Propos recueillis par
Khedidja Baba-ahmed
Nous nous attendions, au travers de cet entretien avec la ministre de la Poste et des TIC, à un discours convenu qui évoque peu les difficultés et ne parle que de projets ou qui fait incomber à son prédécesseur tous les dysfonctionnements actuels du secteur. Il n’en fut rien. Elle a parlé de son secteur, en expliquant, avec beaucoup de pédagogie, pourquoi ces difficultés aujourd’hui, même si, avec beaucoup d’humilité, elle dit qu’après moins de deux mois à la tête de ce département, elle n’a pas encore fait le tour des problèmes. Elle annonce, toutefois, avec beaucoup de conviction et sans langue de bois, qu’Algérie Poste va mal et qu’il faut sauver ce service public. Pour ce faire, elle évoque toutes les solutions qu’elle compte prendre. Si elle a fait montre de beaucoup d’assurance sur les aspects techniques liés aux TIC et leur développement, elle annonce, toutefois, que ce secteur ne peut évoluer dans l’anarchie et sans réglementation.
Des dates, des délais pour la mise en œuvre de son programme ? Prudente, elle n’en donne pas et demande qu’on la juge sur le terrain.

Le Soir d’Algérie : Vous avez été installée dans vos nouvelles fonctions il y a moins de deux mois. Ce délai vous a-t-il permis de procéder à une première évaluation du secteur, ses insuffisances et ses performances ?
Imane Houda Faraoun : Cela m’a permis de faire le tour des structures sous tutelle, d’en voir les problématiques et de faire la connaissance d’environ 90% des cadres qui y travaillent. Par contre, je n’ai pas encore eu l’occasion de faire la connaissance du secteur à travers le territoire national. J’ai fait quelques sorties. J’ai lu beaucoup de rapports. J’ai eu connaissance de ce qui se passe à l’intérieur, au niveau des Actels, des bureaux de poste et des directions de wilaya. Rien n’égale toutefois le visu. Jusque-là, j’ai une vision assez limitée, je le reconnais. Comme c’est le mois de Ramadhan, j’essaie de ne pas trop encombrer l’équipe en ne faisant qu’une visite par semaine. Tout de suite après l’Aïd et avant fin juillet, j’ai programmé de réunir tous les cadres du territoire national pour les écouter, les entendre exposer leurs problèmes et leur donner les directives pour commencer à préparer la rentrée sociale.

Vous êtes à la tête de deux grands pôles dont la Poste que l’on a tendance, dans les médias, à n’évoquer que très peu comparativement aux TIC. Néanmoins, quand ce secteur est évoqué, c’est pour relever ses nombreux dysfonctionnements : l’absence d’envois de relevés des transactions ; le manque de sécurisation des données du système d’information CCP ; l’accessibilité trop facile, trop large et non organisée aux données des usagers…
Effectivement, lorsque l’on parle du secteur, l’on parle plus des TIC parce que c’est un peu à la mode et les gens ont tendance à attendre du nouveau. Ma conviction personnelle est que l’effort essentiel est à faire sur la poste car c’est le secteur véritablement défaillant et c’est un service public. Il n’y a pas une localité de 1 000 habitants, voire moins qui n’ait son bureau de poste, et lorsqu’il n’y en a pas, les habitants le réclament. Il va falloir trouver le moyen de sauver Algérie Poste et d’en faire une entreprise bénéficiaire, sinon l’on ne pourra jamais assurer ce service public à long terme. Cela, il faut que l’on en soit conscient.

C’est aussi grave ?
Heureusement qu’aujourd’hui Algérie Poste n’est pas au bord de la faillite mais elle le sera très prochainement si l’on continue sur le rythme actuel. Il va falloir mettre en place des mécanismes. Nous avons quelques idées. Certaines sont très simples, comme dématérialiser tous les courriers, de telle sorte que les problèmes liés à la mauvaise gestion des colis postaux soient moins importants. C’est un tout petit remède qui va toutefois soulager la pression. Il y a aussi l’envoi de SMS à l’usager pour le prévenir qu’il y a eu une opération sur son compte. Cette mesure a d’ailleurs été lancée et mise en place ce 4 juillet et sera appliquée en faveur de tous les usagers ayant fourni un numéro de téléphone à Algérie Poste. Ceux qui ne l’ont pas fait sont appelés à le faire. Ce ne sont là que de toutes petites mesures mais le fond du problème d’Algérie Poste est ailleurs.

Il est précisément où ?
le vrai problème d’Algérie Poste est dans les liquidités. Après mûre réflexion, c’est là que se situent toutes les difficultés. En dehors de quelques petites opérations d’achat de timbres, par exemple, les gens y vont pour avoir accès à leur argent et cette demande de retrait d’argent est très importante, les citoyens étant de mieux en mieux payés, ce qui est une bonne chose…

Pas très sûr que les citoyens soient de mieux en mieux payés, non ?
Je parle de la quantité de liquidités : la poste en a de plus en plus besoin. Cela pose d’ailleurs un problème même vis-à-vis de la Banque d’Algérie qui peine à augmenter des mises à disposition plus élevées. Ce besoin de grandes quantités de liquidités est aussi inhérent au nombre de fonctionnaires qui augmente et cela pourrait aller crescendo. L’on aura beau acquérir plus de véhicules blindés de transport de fonds et étendre le réseau de la poste un peu partout, l’on ne pourra résoudre ce problème. La solution, de notre point de vue, la plus logique et tout à fait envisageable est l’utilisation des TIC que tout le monde réclame et d’inviter les citoyens à utiliser les transactions en ligne. Cela permettra de réduire ces besoins d’utilité et régler le problème à la source.

Concrètement, avez-vous commencé à envisager cette solution et dans quel délai sera-t-elle mise en place ?
Il y a un projet bien avancé. Je n’aime pas beaucoup parler de projets non encore lancés mais j’espère que très prochainement, en tout cas avant la fin de l’année en cours (la partie technique du projet étant finalisée, il reste la partie réglementaire), Algérie Poste pourra permettre à ses usagers de payer leurs transactions en ligne. Il sera alors possible aux usagers de la poste de faire leurs transferts d’argent entre comptes et également de payer en ligne leurs factures et de faire leurs achats en ligne. Cela naturellement dépendra des vendeurs. Mais en tout cas nous allons ouvrir des sites de vente en ligne qui dépendront des CCP. Par rapport à la réglementation, ce qui nous reste à faire c’est de donner des garanties de sécurisation technique de la plate-forme. La mise en œuvre de ce projet constituera une première étape pour moderniser la poste, lui assurer des revenus qui lui permettront d’offrir un meilleur service et en même temps d’assurer de meilleurs salaires à ses employés. Cela permettra aussi aux citoyens de s’affranchir de la course à la liquidité.
En payant ses factures à partir de son domicile ou de son bureau, le citoyen évite les embouteillages, les files d’attente… En fait, la mise en œuvre de ce projet impactera tous les secteurs et fera de la poste un leader pour le passage à la e-société.

Vous faites, sur ce volet postal, un constat sévère, assez amer. A quoi cela est-il dû ?

A plusieurs facteurs. La poste a commencé avec l’idée que l’accès aux services postaux est un droit pour tous les citoyens. C’est un service public. Par contre, elle est de statut Epic, une entreprise à caractère commercial. De ce fait, elle ne peut compter sur les subventions de l’Etat, elle doit s’autofinancer. Chaque fois que l’on ouvre, par exemple, un bureau de poste, il faut compter l’investissement pour sa construction, pour son équipement et le recrutement du personnel qui va avec puis l’ensemble des moyens qui permettront son fonctionnement. Tout cela n’est pas rentabilisé puisque le citoyen paye des sommes négligeables comparativement à tout ce qui a été investi. Les rentrées de la poste sont vraiment minimes et ne peuvent même pas couvrir les dépenses. Il existe une porte de sortie mais qui n’est pas très efficace : c’est le service universel qui rémunère un peu la poste pour le service public qu’elle assure, mais dans une toute petite proportion.

Qu’est-ce que vous appelez le service universel ?
C’est un dispositif mis en place par l’Etat à travers l’autorité de régulation qui peut financer quelques services de la poste pour l’universalité de ses services, notamment dans les localités éloignées, à faible densité de population et pour des opérations très particulières. La poste a, en outre, commencé à peiner avec l’avènement d’internet. La plupart des envois sont devenus immatériels, virtuels et la seule ressource qu’elle avait, le courrier, a diminué. Algérie Poste s’est retrouvée avec un nombre très élevé de fonctionnaires, mal utilisés, en pléthore dans beaucoup d’endroits. Par exemple, le courrier ayant nettement diminué, mais les facteurs sont toujours là et il faut les payer bien sûr et cela est normal. On ne peut forcément pas les redéployer : quelqu’un qui réside à Djelfa ne peut être envoyé à Annaba, par exemple. Pour les cadres, cela est plus envisageable, mais pas pour le personnel ordinaire, alors que dans certaines régions il y a manque de personnel. En fait, pour recruter, il faut des postes budgétaires que l’on n’a pas le droit de créer, tant qu’il y a des postes libres ailleurs. Algérie Poste est caractérisée aussi par une lourde gestion, héritage de ces dernières années, caractérisées par le passage d’un système à un autre et des nombreux essais expérimentés. En même temps, les critiques des citoyens ont augmenté. Ils sont devenus plus exigeants parce qu’ils voient par ailleurs, dans le monde, une qualité de service nettement supérieure. Ce qu’ils ne voient pas, cependant, c’est que l’on n’a pas donné à la poste la chance d’acquérir les équipements qu’il faut pour un service de qualité. C’est pour tout cela qu’il nous faut engager un assainissement de fond. L’on essaie de travailler sur deux fronts. D’abord la restructuration. Au regard des premiers chiffres on prévoit que pour l’exercice 2015, la poste sera bénéficiaire, dans une petite proportion mais comparativement aux exercices précédents qui étaient déficitaires, c’est une avancée et un bon signe. Le second qui nous occupe est la création de services électroniques. Il faut que la poste se développe pour alléger la demande de liquidités et faire que les usagers utilisent internet dans leurs transactions allégeant ainsi le trafic pour les citoyens, modernisant de ce fait l’activité. Ce sera, vous en conviendrez, une avancée majeure aux niveaux individuel et sociétal. En même temps cela permettra à Algérie Poste d’avoir une rentrée supplémentaire d’argent qui va inverser la tendance et l’argent induit pourra être réinvesti pour des services plus modernes.

Et où en est la transformation d’Algérie Poste en banque postale ?
Le dossier de la banque postale a été, à ma connaissance, examiné il y a 7 à 8 ans. Pour des raisons techniques, me semble-t-il, il a été quelque peu gelé. Technique, parce qu’Algérie Poste avait d’autres soucis et n’avait pas, de surcroît, les ressources financières que nécessite la mise en œuvre de ce projet. Aujourd’hui, nous essayons de dépoussiérer ce dossier et de nous adosser à une expertise internationale pour pouvoir le relancer. Ce n’est évidemment pas la transformation d’Algérie Poste en banque mais la création d’une filiale d’Algérie Poste qui sera la banque postale. Cela va permettre de moderniser Algérie Poste mais aussi de permettre aux citoyens d’avoir une banque de proximité. A l’intérieur du pays, en certains endroits, le citoyen est obligé de se déplacer jusqu’au chef-lieu de wilaya pour trouver une banque alors que la poste est dans sa proximité immédiate. Nous pourrons éventuellement, dans une deuxième étape, proposer des services bancaires à l’étranger. A l’instar de nos voisins, nous pourrons avoir la Banque postale algérienne en France, là où on a la plus grande densité de population algérienne et pourquoi pas dans d’autres pays. Aujourd’hui, le projet est en phase de maturation, il est donc trop tôt pour donner des délais ou des dates. Le dossier est pris en charge et nous essayons d’associer des compétences jeunes pour le porter.

Et pour ce qui est du 2e volet de votre secteur, les TIC ?
Il y a, me semble-il, un problème philosophique à ce niveau. Il y a une course effrénée vers les TIC sans se rendre compte que la technologie est là pour servir les citoyens et pas le contraire. L’exemple de la 4G LTE est assez parlant. Il y avait une pression énorme sur Algérie Télécom pour lancer ce service. Mais les citoyens n’ont pas encore assimilé le fait que la 4G fixe n’est pas une étape améliorée de la 3G. La 4G LTE est un service complètement différent qui doit assurer l’accès à l’Internet fixe pour les localités éloignées. Quand Algérie Télécom a commencé à universaliser ses services, il y a eu une forte demande souvent non justifiée parce qu’émanant d’endroits accessibles par l’ADSL et situés dans les grandes villes ou les zones industrielles.
Il est bien vrai que lorsque ces endroits sont desservis par des câbles de cuivre, le service est souvent défaillant mais nous sommes en train de remplacer ces câbles par de la fibre optique. Entre-temps, Algérie Télécom a dû répondre à ces demandes de 4G LTE et le résultat est que l’objectif d’Algérie Télécom d’utiliser la 4G LTE pour désenclaver les zones éloignées en termes de desserte d’Internet a été quelque peu dévoyé.

Où en êtes-vous dans la 4G mobile ?
Nous travaillons sur les cahiers des charges et j’espère libérer cela très prochainement. Il y a quelques contraintes qu’il faudra lever avec d’autres secteurs mais il faut tout de même relever que la 4G mobile n’est pas un sursaut technologique extraordinaire par rapport à la 3G.
Dans ce domaine, il est capital d’avoir une stratégie nationale qui fixe le cap, là où on veut aller. Un opérateur mobile quel qu’il soit ­— Mobilis, Djezzi ou Ooredoo, en fait les opérateurs de droit national — a un cahier des charges pour la 3G qui n’est pas encore totalement honoré, puisqu’ils n’ont pas encore couvert tout le territoire national. S’ils démarrent la 4G, cela va épuiser leurs ressources et par ailleurs, nous ne sommes pas encore arrivés à un nombre d’abonnés en vitesse de croisière. Partant, je vois mal un citoyen, réticent à opter pour la 3G, s’engager sur la 4G. Cela étant, l’urgence est évidemment que l’Algérie acquiert les nouvelles technologies, à l’instar des pays développés mais cela a un coût. La 4G coûtera plus cher que la 3G et cela est logique parce que l’opérateur va faire un investissement qu’il voudra rentabiliser. S’agissant d’une opération commerciale, on ne pourra pas intervenir pour lui demander de baisser ses prix au-dessus de ses moyens. Pour les usagers qui n’ont toujours pas la 3G, il faudrait qu’ils ne s’attendent pas à ce que la 4G soit moins chère.

Dans son dernier rapport, l’autorité de régulation ARPT évoque une progression modérée du nombre d’abonnés au téléphone fixe mais un essor conséquent du tel mobile et notamment de la 3G. Cette forte progression reste toutefois très en deçà des performances de nos voisins. A quoi cela est-il dû ?
La stagnation, voire la régression du nombre d’abonnés au fixe est tout à fait normale, les gens étant plus à l’aise avec le mobile. Il faut aussi noter que pour le fixe il y a une opération d’assainissement qui est en cours et qui consiste à remplacer l’ancienne infrastructure par une nouvelle. Algérie Télécom a mis les moyens qu’il faut pour ce faire. Une partie est financée par ses fonds propres et l’autre par le budget de l’Etat. Avant la fin de l’année 2016, près de 90% du réseau sera rénové. Cet assainissement participera naturellement à l’amélioration de la qualité de service. Parallèlement Algérie Télécom mène son programme d’extension pour les citoyens qui ne sont toujours pas connectés. L’exécution de ces programmes entraînera, dans les toutes prochaines années, une augmentation du nombre d’abonnés au fixe. Quant à la comparaison que vous faites sur la progression du nombre de mobiles avec les pays voisins, il y a d’abord le fait que le mobile ait été introduit chez nous plus tardivement et plus fondamentalement il ne faut pas oublier que l’Algérie a un territoire très vaste et l’investissement des opérateurs pour la couverture, de par cette étendue, peut être 10 fois, voire 20 fois plus que l’investissement au Maroc ou en Tunisie. Couvrir des étendues aussi vastes que les nôtres n’est pas facile surtout que notre souci est de ne pas faire trop supporter l’investissement sur le citoyen. Aussi, il nous faut aller progressivement et cette progression doit être modérée. Si on évolue trop vite, cela se répercutera sur la 3G parce que les opérateurs mobiles ont eux aussi besoin d’une infrastructure de réseau de fibre optique pour installer leurs antennes. Là où le réseau est le plus dense c’est dans le Nord. Toutefois, la situation est de mieux en mieux dans les Hauts-Plateaux et dans le Sud. J’ai d’ailleurs noté avec satisfaction dans des rapports, qu’à Tamanrasset, par exemple, l’infrastructure est à 100% en fibre optique. Ils n’ont pas de problèmes de câbles en cuivre et c’est là une avancée. Il faudra prendre le temps qu’il faut pour que la couverture soit totale.

Dans ce que vous venez de développer, on sent comme un frein volontaire au développement accéléré de la couverture...
Non, en fait on ne freine pas du tout. Nous essayons d’accélérer la cadence et ce qui est qualifié par certains de «lenteur» ne l’est pas du tout. Le rythme est exigé par la nature même de notre pays, son relief, ses étendues. Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu’il y a eu beaucoup de problèmes. Algérie Télécom souffre du colmatage des brèches. La technologie de la fibre optique est relativement récente et toute notre infrastructure était en câbles cuivre. Ces câbles faisant l’objet de vol, il fallait des matériels de remplacement et engager les travaux, ce qui nécessitait du temps. Il y a le fait aussi, positif, certes, que notre pays est un chantier à ciel ouvert : des travaux partout, le tram, le métro, l’autoroute, les routes et ces chantiers dérangent le réseau. Parfois, à la suite de pannes, les citoyens se plaignent en ne sachant pas son origine externe. Lorsque nous sommes informés à l’avance de l’ouverture de ces chantiers ou travaux, on est obligé d’investir dans un réseau alternatif avant de couper le réseau en place. Tout ceci demande de l’argent et je vous rappelle qu’Algérie Télécom est aussi une entreprise économique qui ne bénéficie pas des subventions de l’Etat pour ses opérations commerciales et doit engager ses fonds propres. Ce que le citoyen considère, par méconnaissance, comme du retard est donc le résultat de la contrainte du terrain.

La 3G et la 4G semblent aller vers un développement parallèle. Est-ce le cas et est-ce cohérent ?
Nous avons commencé en retard l’installation du téléphone mobile en Algérie. On a beaucoup tergiversé avant d’y opter. On aurait pu rattraper le retard pris dans ce domaine mais ça n’a pas été le cas. L’investissement fait à ce jour n’est pas très grand mais ma conviction personnelle est qu’on ne peut pas servir la 3G plus la 4G et peut-être que bientôt on exigera la 5G pour certaines contrées restreintes et oublier d’investir pour certains citoyens des zones frontalières du Sud et des Hauts-Plateaux qui n’ont même pas la couverture du mobile à 100%. C’est un peu le paradoxe. Le programme quinquennal de M. le président de la République couvre cette partie aussi. Il y a beaucoup d’argent injecté pour assister Algérie Télécom à travers la direction générale des TIC, au moyen de plusieurs programmes pour renforcer l’infrastructure mais cela ne peut couvrir les nouvelles technologies et en même temps assurer la desserte des zones à désenclaver. Ce n’est pas possible. Il va donc falloir trouver un équilibre. En outre, il y a un problème majeur, très technique et très peu évoqué. Le trafic Internet transite par l’international, mais notre pays est doté de très peu de connexions à l’international.
Il faut savoir que plus il y a de liaisons avec l’international, plus le débit est élevé. Il y a actuellement des projets en cours de liaison à l’international mais pour l’instant si vous êtes connecté par la fibre optique de votre maison au serveur principal d’Algérie Télécom et si votre courrier est chez Yahoo en France, en Espagne ou ailleurs vous passez par l’international. Or, 99% du trafic Internet des usagers algériens sur la 3G ou sur le fixe passent par un contenu international : facebook, e-mails, sites d’éducation, de culture…Tout le monde surfe sur des sites étrangers, le contenu national étant très faible. Si l’on avait du contenu national, on utiliserait l’infrastructure nationale qui est plus développée. Et du contenu, on pourrait en avoir pour développer le commerce en ligne, l’éducation en ligne, les cours en ligne.

Les TIC et leurs incalculables potentiels d’utilisation sont peu exploités et peu utilisés dans l’organisation du travail : e-commerce, e-banque, paiement électronique des prestations et services, management des infrastructures de santé, enseignement… Pour quelle raison, et qui est responsable de ce manque et de ce retard ?
En fait, il n’y a pas un responsable unique mais tout un ensemble et la situation est inégale selon les secteurs. Pour les secteurs publics, comme l’éducation, nous avons un projet de e-learning qu’on est en train d’examiner avec eux. Là, le développement du contenu arrive un peu tardivement parce que l’éducation était jusque-là en train de régler d’autres problèmes comme la surcharge des classes, un enseignement égal pour tous, même dans les contrées reculées. L’université est toutefois un peu plus développée sur les portails web, pas autant qu’on l’aurait souhaité mais elle est sur la bonne voie. Tous les secteurs publics ont pris du retard sur les nouvelles technologies parce qu’ils étaient submergés par d’autres problèmes. Outre ces retards accumulés, il y a un problème de culture qu’il faut développer. Les jeunes diplômés, par exemple, qui ont des capacités certaines sur le web, lorsqu’ils sont en recherche d’emploi, ils vont vers les entreprises publiques, l’administration ou l’éducation. Ils veulent en majorité avoir un poste administratif. Ils prennent très rarement l’initiative d’aller développer une entreprise virtuelle de service en ligne. Ce ne sont pas les idées qui manquent. On peut développer cela pour l’hôtellerie, le ministère du Tourisme étant en train de donner un grand coup de pouce pour développer le secteur dans le pays. Il faut que les jeunes y pensent. Pourquoi ne pas développer des contenus pour l’hôtellerie, le transport, les réservations en ligne…? Les jeunes en ont les compétences.

Mais sont-ils encouragés à le faire et par ailleurs les fréquentes pannes que connaît le réseau Internet ne vont-il pas les décourager ?
Mais l’un ne va pas sans l’autre. Si ce genre de pratiques en ligne augmente et qu’on a une masse critique d’utilisateurs actifs — des hôtels, des entreprises de transport, des vendeurs, des grandes surfaces —, cela va développer les entreprises publiques telles qu’Algérie Télécom, Algérie Poste et même les opérateurs publics et privés qui vont ainsi avoir des rentrées d’argent qui leur permettront d’investir plus rapidement. D’ailleurs et par rapport aux pannes fréquentes dénoncées par les usagers et qui ont lieu dans les cités et dans certains quartiers, les jeunes peuvent nous aider en créant des microentreprises, 3 ou 4 personnes suffiront pour des quartiers comme Bab El-Oued, Bab-Ezzouar et ces microentreprises pourraient sous-traiter pour Algérie Télécom. Dans cet ordre d’idées nous avons un projet, même s’il est peut-être un peu trop tôt pour l’annoncer, nous avons l’accord du ministère du Travail pour que l’Ansej finance ce genre de microentreprises. On cherche actuellement à élaborer les modalités pour qu’au plan réglementaire ce soit facile à mettre en œuvre. Nous réfléchissons à la mise en place d’une caravane qui va sillonner toutes les wilayas pour informer les jeunes de ce dispositif, et ce, au plan technique, pour la pose de la fibre optique, la maintenance à domicile, le dérangement des lignes et les centres d’appel comme seront informés ceux qui souhaiteraient développer des contenus.

N’y-a-t-il pas un frein lié aux réticences nombreuses mises dans le développement des TIC dont, entre autres, celles politiques liées à la transparence impactée par l’utilisation de cet outil ?
Je ne crois pas que les réticences soient d’ordre politique. Si ça avait été le cas il y a un certain nombre d’années, ce n’est plus le cas. Une chose est claire pour tout le monde aujourd’hui, c’est qu’on ne peut ignorer les TIC, on ne peut ignorer la vie sur la Toile, la vie économique sur la Toile et même la vie politique. C’est là une vérité et on doit faire avec. Pour le politique comme le législateur, c’est un fait qu’il va falloir prendre en charge et encadrer. Les recommandations, tant de Monsieur le président de la République que de Monsieur le Premier ministre, sur le plan stratégique comme sur le plan exécutif, est de moderniser et de permettre aux citoyens l’accès aux technologies nouvelles avec tout ce que cela signifie. Par contre, les vraies réticences qu’on rencontre aujourd’hui sur le terrain et pour lesquelles on a des solutions sont à un niveau plus bas : on a souvent peur qu’en numérisant, du personnel puisse être sacrifié. Que va faire alors ce personnel ? Ce qui n’est pas très bien compris c’est que la numérisation permet une meilleure comptabilité, une plus grande efficacité, plus d’argent et donc une meilleure prise en charge du personnel. D’autres entreprises pensent que si c’est numérisé, il y aura des problèmes de sécurité. Il va falloir accompagner ces sociétés parce que les dispositifs de sécurité existent. La vulnérabilité existe mais les antidotes aussi.

Quelle appréciation globale portez-vous sur les opérateurs privés installés dans le pays et qu’apportent-ils au développement économique national ?
Le fait de s’ouvrir à la concurrence ne peut être que positif, et ce, pour plusieurs raisons. Ce sont des fonds qui sont investis et qui vont aller dans des entreprises de droit algérien et ces entreprises vont embaucher des Algériens, et payer des impôts en Algérie. Développerla concurrence permet d’avoir un meilleur service tout en développant une culture générale sur l’usage des TIC dans la société. Il faut par contre noter qu’il y a un point qu’il faut traiter globalement et assez vite, c’est la question de fond relative à la réglementation et à l’organisation générale parce qu’il ne faut pas qu’il y ait un développement anarchique dans le marché du privé. Il faut qu’il y ait des cahiers des charges.

Parce que ce n’est pas le cas aujourd’hui ?
Ce n’est pas vraiment le cas parce que le privé est encore faible en nombre et cela est négatif. Quant au point positif, c’est que ça nous donne du temps pour développer la réglementation. Si on a une prolifération de privés, on ne pourra plus, en l’absence de réglementation, garantir la sécurité des citoyens et des données en ligne. Il faut que le citoyen ait des garanties que ses informations ne soient pas divulguées ou utilisées à des fins frauduleuses. Il y a encore tout ce qui va avec la sécurité des entreprises ; la propriété intellectuelle qui doit être protégée. Tant que ces aspects technique et réglementaire ne sont pas fixés, on ne pourra pas développer l’introduction d’opérateurs privés.

Dans une de vos récentes contributions au Soir d’Algérie, et à propos de la cybercriminalité, vous dites : «Nous pouvons nous attendre à ce que la taille, la gravité et la complexité des menaces cybernétiques continuent à augmenter.» Et de finir par appeler à y faire face. Etes-vous associée, et de quelle manière, aux rencontres internationales portant sur ce thème et au plan national quel rôle jouez-vous ou comptez-vous jouer contre cette menace ?
Au plan ministériel, oui nous participons non seulement aux organismes qui traitent du thème de la cybercriminalité mais aussi à ce qu’on appelle la société de l’information. L’Algérie est membre d’organismes internationaux, méditerranéens, arabes, africains. On y est bien représentés et on prend part aux travaux. On est même signataires de plusieurs conventions portant sur le sujet. Il n’y a pas d’organisation internationale de lutte contre la cybercriminalité, mais nous sommes présents lorsque ce thème figure dans les rencontres de l’Union internationale des télécom UIT, ou au sein d’organismes africains, arabes ou internationaux. A l’échelle nationale, les pouvoirs publics, les services de sécurité, l’autorité de régulation et tous les services du ministère sont très conscients et travaillent à lutter contre ces menaces. Par contre, à l’échelle des citoyens, il y a une absence de prise de conscience des dangers réels que peuvent présenter, notamment sur les réseaux sociaux tels que Facebook, par exemple, des mises sur le net de leurs profils réels, des données, des identités qui peuvent être piratées et parfois même utilisées frauduleusement. Cette utilisation caractérisée comme crime ailleurs ne l’est malheureusement pas chez nous en l’absence de réglementation dans ce sens. Au niveau des entreprises, quand ces dernières créent leurs sites web, il faut qu’elles achètent toutes ses déclinaisons : le point net, le point org, le point dz. Tous doivent être sous tutelle de l’entreprise concernée et nul autre n’a le droit de les utiliser. Pour les jeunes, et avec la 3G ils peuvent avoir accès à tout en dehors du champ de contrôle des parents et là, les dangers sont nombreux. Aussi, chaque acteur concerné par les TIC doit mener une campagne d’information et de sensibilisation, le ministère à lui seul ne pourra pas tout faire. On aura besoin d’être épaulés par les opérateurs, pas uniquement du secteur mais des autres secteurs économiques concernés.

Pourriez-vous, pour clore cet entretien, résumer très brièvement pour nos lecteurs les deux ou trois actions que vous devez engager immédiatement et dans l’urgence ?
Puisqu’il faut résumer, je vais tenter de le faire. La poste est une entreprise de service public quelle que soit par ailleurs sa réalité économique. Il va falloir lui donner son véritable rôle et cela passe nécessairement par les TIC, c’est la seule solution qui lui permettra d’accéder à la modernisation. Pour les TIC, un seul mot d’ordre : tout citoyen algérien, sans exception, a le droit d’entrer dans l’ère moderne du e-commerce, de la e-société des TIC en général et l’objectif est donc que tous les citoyens algériens soient dotés d’un terminal quel qu’il soit, ordinateur, tablette… et avoir accès à Internet dans les meilleures conditions.

A quelle échéance ?
Je ne donne pas de délai, mais cela ne veut pas dire que nous allons mettre dix ans pour le faire. Je préfère que les gens constatent les avancées plutôt que de promettre, surtout qu’il y a des facteurs exogènes. Ce que les gens doivent comprendre c’est que le développement de l’activité ne dépend pas seulement du seul secteur mais englobe d’autres acteurs. Il y a des contraintes historiques, sociales, de budget et de temps, et les meilleures choses doivent être maturées.
K. B.-A.



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/07/12/article.php?sid=181223&cid=50