Contribution : Droits humains en Algérie
L’insidieux rapport américain


Par Abdelkader Leklek
Après son omnipotente centralité, qui dure depuis XIIIe siècle, la civilisation occidentale s’est-elle endormie sur ses certitudes, étant convaincue que le monde sans les valeurs de l’Ouest n’est rien, sinon un espace ensauvagé ? Ce qui systématiquement l’autoriserait à rappeler à l’ordre tous ceux qui s’en écarteraient. C’est un peu cela qu’ordonne et prescrit chaque année, le fameux rapport du département d’Etat américain sur les droits de l’Homme dans le monde.
Dans son chapitre réservé à l’Algérie, le procès-verbal pour l’année 2014 offre une disgracieuse élégance intellectuelle et une allure dégonflée parce qu’avachie par son anachronisme. Dès sa parution, il est controversé avec vigueur et détermination. L’ambassadrice des Etats-Unis à Alger est convoquée au ministère des Affaires étrangères, et le contenu de l’exposé est avec force décrié et qualifié de copié collé à partir de ses prédécesseurs, produits par les manitous du temple, avec une saveur surannée embaumant le siècle passé. Ce qui renseigne sur le sérieux, la probité et l’honorabilité de ceux qui officient à la maison d’édition. Pour nous autres vaccinés depuis toutes les inventions des années 1990, le qui-tue-qui en France, les procès d’intention des tribunaux suisses sur simples dénonciations et toute la littérature propagandiste élucubrée dans les laboratoires US de la pensée unilatérale et le home sweet home, offert au pays de l’oncle Sam, aux sanguinaires qui avaient publiquement reconnu, avoir commandité l’attentat à la voiture piégée du boulevard Amirouche, le 30 janvier 2005, ciblant le siège de la sûreté de wilaya d’Alger, qui avait fait plus de 100 morts et des dizaines de blessés. Et si tout cela paraît être sans lien direct, il n’est pas exclu que des interconnections et des croisements existent entre des protagonistes, qui semblent a priori déconnectés les uns des autres. Ainsi, il arrive qu’un simple évènement informe, et en même temps questionne sur les bouleversements qu’a connus l’histoire d’un peuple à un temps précis, avec tout ce que ces désordres peuvent comporter comme crises sociétales profondes, et que l’élite agissante du temps présent, de ce même peuple tente avec adresse, lui semble-t-il, d’escamoter. C’est Ibn Khaldoun qui en créant cette science nouvelle qui deviendra la sociologie dans la Mouqadima, selon ce que rapporte le défunt sociologue Abdelkader Djeghloul, dans son livre : Trois études sur Ibn Khaldoun, éditions Enal, 1984, qui dit en page 22, ceci : «L’objet de l’histoire, c’est la société, ou plus exactement l’étude de l’évolution et des causes de l’évolution des sociétés.» Et de poursuivre : «L’histoire n’est, en apparence, que le récit des événements politiques des dynasties(douwal) et des circonstances du lointain passé, présenté avec élégance et relevé par des citations… Cependant, vue de l’intérieur, l’histoire a un autre sens. Elle consiste à méditer, à s’efforcer d’accéder à la vérité, à expliquer avec finesse les causes et les origines des faits, à connaître le pourquoi et le comment des évènements.» Donc ce simple évènement nous a été dévoilé ce 9 juillet 2015, avec le vote par Sénat de l’Etat de la Caroline du Sud, d’une loi portant le retrait du drapeau des Etats confédérés des jardins du Parlement local à Columbia, capitale de cet Etat. Et le 10 juillet l’étendard est descendu et ramené lors d’une cérémonie, soupe à la grimace. Jusque-là, l’acte en soi est un quasi non-évènement. Cependant la profondeur de ce geste est abyssale. Derrière cette bannière se cachent 300 ans de malheurs humains, qui ont ressurgi, lorsqu’un nazillon de 21 ans, Dylann Roof, abattit de sang-froid, le mercredi 17 juin 2015, 9 personnes de couleur dans une église à Charleston. Ce phalangiste négrier des temps modernes s’était fait prendre en photo avec ce pavillon de la honte, signifiant par là, être l’adepte de ce que véhicule ce gonfanon. Le fanion rouge barré d’une croix bleu marine parsemée d’étoiles est le symbole de toute l’histoire ségrégationniste des Etats-Unis. Oui, l’esclavage est institutionnalisé depuis 1640 dans les Etats du Sud et particulièrement en Caroline du Sud, qui sera en 1860, le premier Etat confédéré sécessionniste, alors que les premiers Noirs débarquaient sur les terres américaines de navires hollandais dès 1619. Pour maintenir ces hommes, ces femmes et leurs enfants dans leurs conditions de parias, on promulgua en 1834, les Black Codes, ou Black Law, le pendant américains des codes noirs français de 1665, que même la célèbre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne put abolir. Ces black codes confirment le statut d’infériorité des Noirs. Ils permettaient aux esclavagistes américains blancs de contrôler cette main- d’œuvre à bon marché et corvéable à merci. En substance ce code de la dégradation humaine prévoyait : l’interdiction de l'enseignement aux Noirs, mais surtout, il disposait qu'un esclave qui a réussi à fuir le Sud pour venir vivre dans le nord des Etats-Unis devait être remis à ses maîtres s'il est capturé. Toute personne qui accueillait un esclave enfui était passible de prison. C’est ainsi qu’en s’enfonçant de plus en plus dans le dédain de la personne humaine, la version amendée du code pénal US de 1866 —c'est-à-dire après la fin de la guerre civile américaine 1865 — prescrivait qu’étaient considérés comme noirs toute personne qui avait au moins 1/8e de sang africain dans les veines. Difficile de faire plus pernicieux. Et bien que le XIIIe amendement de la Constitution du 9 avril 1865 énonçait : «Ni esclavage ni servitude involontaire, si ce n'est en punition d'un crime dont le coupable aura été dûment condamné, n'existeront aux États-Unis ni dans aucun des lieux soumis à leur juridiction.» L’arsenal dit des lois de Jim Crow, en référence à une chanson de l’époque et d’une danse exécutées par un blanc grimé en noir fit durer cette situation d’indignité du genre humain de 1876 à 1965. Cette batterie de textes ignominieux présentait un nuancier des abominations où se déclinaient des horreurs, dont ces exemples glanés sur la Toile, donne un aperçu sommaire sur les cultures d’extraction des donneurs de leçons et des moralisateurs new wave, à travers des rapports annuels, qui bénéficient d’un gros budget pub et d’un immense réseau de zélateurs matériellement intéressés. Au début de ce siècle, en Floride où lors de l’élection à la présidentielle de 2000, il y avait eu fraude et il fallut procéder au recomptage manuel de milliers de bulletins, sur recours du candidat démocrate Al Gore, alors que le gouverneur de cet état siège de la piperie n’était autre que Jeb Bush, candidat républicain à la magistrature suprême des Etas-Unis, pour 2016, et frère cadet de George Walker Bush, candidat challenger du républicain de Gore.
Dans cet Etat, également confédéré esclavagiste et sécessionniste, était interdit tout mariage entre une personne blanche et une personne noire ou entre une personne blanche et une personne d'ascendance noire à la quatrième génération. Comme étaient punissables aussi, d'un emprisonnement ne pouvant dépasser 12 mois ou d'une amende maximale de 500 dollars, tout Noir et toute femme blanche, ou tout homme blanc et toute femme noire qui ne sont pas mariés et qui vivent habituellement ensemble ou occupent la même chambre la même nuit.
Par ailleurs, les écoles pour enfants blancs et pour enfants noirs étaient séparées. Dans l’Etat de l’Alabama, il était décrété qu’aucune personne ou société n'exigera de n'importe quelle infirmière féminine blanche de travailler dans les salles d'hôpitaux, publics ou privés, dans lesquels des Noirs sont placés.
Pour le transport dans les autobus, toutes les stations de cet Etat, quelle que soit la compagnie de transport, devaient avoir des salles d'attente et des guichets séparés pour les Blancs et pour les personnes de couleur. Pour les plus jeunes des lecteurs de cette chronique, l’histoire de Rosa Parks, qui ébranla cette ségrégation est consultable sur la Toile. Dans cet Etat, il était prescrit que les conducteurs de train de voyageurs devaient assigner à chaque passager le wagon ou le compartiment qui lui est destiné selon sa couleur. Et si par malheur on s’aventurait à manger dans un restaurant, il fallait observer cette règle : tout restaurant ou tout autre endroit où est servi de la nourriture sera illégal s'il ne prévoit pas des salles distinctes pour les personnes blanches et de couleur, à moins que celles-ci ne soient efficacement séparées par une cloison pleine s'étendant du plancher vers le haut à une distance minimale de sept pieds et à moins qu'une entrée séparée soit prévue. Je conclurai cet avilissant inventaire, par ce qu’édictait la législation de l’Etat du Mississipi. Il était dit que toute personne qui sera reconnue coupable de l'impression, de l'édition ou de la circulation de tracts ou pétitions recommandant ou présentant au public des informations, des arguments ou des suggestions en faveur de l'égalité sociale ou en faveur du mariage entre Blancs et Noirs sera coupable d'un délit et risquera jusqu'à cinq cents dollars d'amende ou six mois de prison. Et pas seulement. Dans les hôpitaux, il était maintenu par les autorités de chaque établissement et par l'Etat, pour le traitement des Blancs et des patients de couleur, des entrées séparées pour les Blancs et pour les patients, et les visiteurs de couleur, et de telles entrées étaient employées seulement par la race par laquelle elles devaient être employées.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, last but no least, comme disent les Américains, dans les prisons, le surveillant veillait à ce que les condamnés blancs aient des lieux séparés de ceux des condamnés noirs, pour dormir et pour manger. Et sans faire une quelconque fixation pour me dédouaner, mais à fait historique précis ne peut correspondre qu’un autre fait historique détaillé. Si mon pays l’Algérie est amazighe, phénicienne, romaine, vandale, subsaharienne, puis byzantine, arabe, turque et méditerranéenne, il n’aura échappé à personne, et surtout pas aux faits historiques certains, que les Etats-Unis d’Amérique se sont construits sur un génocide. Oui, celui des Indiens d’Amérique. Et le dernier martyre infligé à ce peuple est qualifié de massacre par le général Nelson Appleton Miles, qui avait, lui-même, participé, presque, à toutes les guerres contre les Indiens. Dans une lettre à sa femme, juste deux jours après le massacre de Sioux, connu sous le nom de Wounded Knee, dans le Dakota du Sud, il lui disait que ce fait d’armes, s’il en est, était «la bavure militaire criminelle la plus abominable et un horrible massacre des femmes et des enfants.» Cela s’était passé le 29 décembre 1890, quand des soldats de la cavalerie s’étaient présentés pour déporter dans une autre réserve de l’Etat du Nebraska, environ 200 indiens de la tribu Lakota. En voulant désarmer les hommes de cette tribu une fusillade éclata, et les tuniques bleues du 7e régiment de la cavalerie ouvrirent le feu à l’aide de quatre mitrailleuses Hotchkiss. 200 indiens furent tués dont 62 femmes et enfants. Et de chaque fait historique on n’en sort pas indemne. Même s’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas, oui mais… Le combat des Noirs pour les droits civiques au XXe siècle, c'est-à-dire hier, procède aussi de cette persistance culturelle, même à l’ombre de la statue de la Liberté éclairant le monde, qui fête en cette année 2015 son 130e anniversaire.
L’une des sectes les plus sanguinaire de toutes ces cruautés racistes fut et demeure sans conteste le Ku Klux Klan, cette organisation qui brûle, tue, prône et promeut l’affirmation de la suprématie blanche, depuis sa création en 1865 et a pour emblème, également, le drapeau des fédérés, et ainsi la boucle est bouclée, en terre américaine. On nous rétorquera que tout cela est de l’histoire ancienne et qu’il n’y a pas lieu de recreuser le sillon. Soit, mais les faits historiques sont là, têtus. L’histoire contemporaine n’est pas indemne de pareilles monstruosités fabriquées au pays de l’oncle Sam. Dernièrement une chaîne française retraçait dans un documentaire les expériences de manipulations mentales engagées par l’Intelligence service américain.
La problématique à résoudre était ainsi formulée par les cerveaux de la CIA : «Nous est-il possible de contrôler une personne au point où celle-ci fera ce que nous lui demandons, même contre sa propre volonté, et y compris contre les lois fondamentales de la nature, comme celle de l'auto-préservation ?» Pour cela ils avaient monté des programmes sur la période allant de 1951 à 1963, baptisés : Bleubird, puis Artichoke et enfin MK-Ultra. Il y eut même suspicion de mort d’homme lors de ces expériences, mais aussi l’attestation de séquelles physiques et psychologiques dont souffrirent leur vie durant, plusieurs personnes cobayes.
A ce sujet l’article 7 du Statut de Rome, qui définit le fonctionnement élémentaire de la Cour pénale internationale classe la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population et les actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale, sur la liste des crimes contre l’humanité qui sont imprescriptibles. Alors que chacun se replace par rapport à son histoire domestique.
Quant à l’international, il suffit de voir ce qui se passe en Afghanistan depuis 2001, où la guerre contre ceux que les Etats-Unis avaient armés, pour combattre les Soviétiques, leur livrent une guerre qui éternisent charriant, pour les Afghans, chaque jour, son lot de morts. Par ailleurs sous le fallacieux prétexte que l’Irak de Saddam Hussein détenait des armes de destruction massive, l’invasion du pays par les troupes US a installé la guerre pour longtemps et surtout arrimé l’inévitable partition du pays, mais aussi comme conséquence directe de cette stratégie belliciste, la naissance d’un Etat terroriste appelé Daech. Ce n’est pas une fatalité, que ce succédané d’Etat chevauche territorialement sur la Syrie et l’Irak, et que sa nocivité guerrière n’ait pas de frontière.
D’un autre côté, il n’y a qu’à voir ce qui se déroule comme violence contre des personnes qui ne demandent qu’à vivre en Libye, en Tunisie et dans les pays d’Afrique subsaharienne. Avant cela, l’US Army s’était embourbée dans ses guerres du Sud-Est asiatique. Et là me revient l’image d’une petite fille vietnamienne, de 9 ans, Kim Phuc, courant en cette journée du 8 juin 1972, et hurlant de douleur, après avoir été lourdement brûlée dans le dos suite à une attaque au napalm par l’aviation américaine.
Au Vietnam l’armée américaine avait utilisé du napalm contre les personnes et un gaz défoliant nommé Agent Orange, contre les hommes mais surtout contre la nature. En plus des dégâts écologiques causés par cet agent de la mort, il y a au Vietnam, selon des sources fiables, au moins 80 000 enfants qui sont nés depuis 1975 avec de multiples malformations lourdement handicapantes, tant au plan mental que physique.
Enfin, et ce n’est un secret pour personne l’économie étasunienne carbure à la théorie de la guerre permanente. Que les guerres cessent à travers le monde et on verra qu’elles sont les économies qui seront en crise. Sauf qu’il y a aussi ceux qui ne veulent pas voir ce qui se passe autour d’eux. S’ils y prêtaient attention, ils verraient que le centre du monde est en train de glisser pour s’installer pour quelques siècles en Asie et ce n’est pas le fait du hasard. Il y a un temps pour tout. Les principales décisions concernant l’économie, l’écologie, les finances, le politique, le social, le militaire et le culturel pour certains aspects, pour les temps à venir, se prendront en Asie.
D’ailleurs, la Chine nous donne un avant-goût de ce qu’il en sera, en lançant la création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. C’est déjà un début de réponse à l’appel de millions d’êtres humains éreintés et de maints pays déstructurés économiquement, pour la refonte et la réforme des institutions financières nées des accords de Bretton Woods, en 1944, le FMI et la Banque mondiale.
Dans cette nouvelle démarche, la République de Chine a réussi à intéresser au projet, même les amis les plus fidèles des Etats-Unis, comme le Royaume-Uni, la Corée du Sud et aussi l’Australie. Mais les locomotives de cette entreprise sont la Chine qui contribuera à hauteur de 30 milliards de dollars sur les 100 qui constitueront le capital initial de cette banque. Suivront ensuite l’Inde avec 8 milliards de dollars et la Russie. Cela est un dossier et une affaire à suivre. Ainsi et après ce très bref florilège des indignités humaines, quand le département d’Etat nous sert du réchauffé comme leçon en matière de droits de l’Homme, c’est un peu fort de café. De surcroît, quand le document est bourré d’erreurs et de contrevérités c’est encore plus indigeste. N’est pas seigneurs qui veut, mais saigneurs…C’est l’Emir Abdelkader qui disait que «les puissants doivent savoir être justes». A méditer en toute amitié, pour tous nos amis, bien sûr et même pour ceux qui ne le sont pas.
A. L.



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