Chronique du jour : Ici mieux que là-bas
Complot ourdi comme d’hab…
Par Arezki Metref
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Un
nouveau traumatisme, une trentaine de morts et quelques pensums plus
tard, Ghardaïa, c’est déjà du passé ? Ça se pourrait… Bof, quelques
ecchymoses, mais l’habitude…
Dans ce pays remarquablement amnésique, le sang, comme l’encre et la
salive, sont vite absorbés par la grande éponge du néant. Tout passe, et
tout casse… Et reste l’oubli. Et domine l’impunité. Et le laxisme
fleurit !... Fais un régime avec ça !
Et puis, ça recommence. Et puis ça recommencera ! Culture de l’asthénie.
Du secret. De la manipulation. Des manœuvres de sérail débordant dans la
rue…
Pourtant, ne faut-il pas encore et encore interroger cet énième épisode
d’une tragédie commencée il y a fort longtemps ? Essayer de comprendre ?
L’innocent «Je suis mozabite» poussé ici la semaine dernière ne m’a pas
valu que des messages amicaux. On imagine ! Mais tant pis ! Il y a des
inimitiés qui sont des compliments ! Des insultes qui sont des louanges.
Des diatribes qui sont des éloges !
Au contraire, j’ai la funeste impression d’avoir posé le pied sur un nid
de frelons. J’ai beau expliquer que le dire comme ça, c’est prendre le
parti de la victime, et incidemment dénoncer le bourreau, mais c’est
justement là que le bât blesse. Victimes, les Mozabites ? Tu n’as rien
compris !
Les sectateurs du «complot ourdi», les affidés de l’unité nationale
soudés au jacobinisme non dénué de favoritisme régionaliste des
oligarques du FLN voient dans une telle affirmation l’attisement de
tensions intercommunautaires télécommandées comme d’habitude par
l’impérialisme pour porter atteinte à notre idyllique nation.
Du vrai là-dedans ? Peut-être ! Mais pas là où on voudrait nous le faire
croire. Un complot ? Plus que probable. Mais un complot ourdi par les
Mozabites eux-mêmes ? Allons donc ! Un peu léger. Inconsistant ! Faut
voir du côté de Daesh plutôt. Et des commanditaires wahhabites, et de
leurs complices des bureaux sombres des officines occidentales. Ce sont
eux qui savent fabriquer ce type de Frankenstein, salafiste et mafieux !
J’avoue que j’ai la flemme de reprendre tous les arguments éculés,
surannés, redondants et parfois risibles, mille fois entendus pour
montrer cette remarquable continuité dans l’usage d’une langue taillée
dans le bois le plus vulgaire. De la vulgate nationalo-machin tout droit
sortie des laboratoires où sont usinés les copeaux.
J’ai l’impression de lire cette rhétorique convenue, dopée aux hormones,
que le FLN effarouché a jadis développée pour dénigrer le Printemps
berbère de 1980. On devrait se souvenir qu’à l’époque, pris de court et
désemparé, le pouvoir n’a pas trouvé mieux que d’incriminer la fameuse
«main de l’étranger». Pour autant, il n’est jamais parvenu à délégitimer
les profondes revendications du Printemps berbère : la démocratie et
l’amazighité…
On ne devrait pas non plus oublier la supercherie de l’affaire de Cap
Sigli de 1978, un largage d’armes censé ressouder l’unité nationale
présumée tellement fragile qu’elle pouvait partir en miettes à la mort
de Boumediène. Bien entendu, c’était aussi l’occasion de dénigrer les
militants berbères et de suggérer une sujétion aux services secrets
étrangers. On pourrait croire que l’Algérie d’aujourd’hui est une nation
harmonieuse, paisible, un ciel sans nuages, une mer étale, que les
tensions de Ghardaïa, dues évidemment aux Mozabites, viennent perturber.
La thèse la plus simpliste étant la plus efficace, gardons celle-ci. Une
nation de rêve, irréprochable, que l’impérialisme ou ses suppôts
régionaux déstabilisent en agitant le particularisme mozabite. Et le
tour est joué ! Un peu court, quand même !
Ce qui n’a pas marché avec les Kabyles a toutes les chances de passer
avec les Mozabites ? Et on nous raconte pour parachever cette délicate
aquarelle, que les Mozabite berbères et les Chaâmbas arabes ont toujours
cohabité dans la concorde et l’harmonie.
Deux remarques qui valent ce qu’elles valent.
La première porte sur ce raccourci adopté par la presse française qui
caricature tout conflit au Sud, et en particulier en Afrique, en
tensions communautaires, voire tribales. L’inconvénient avec ce type
d’approches, c’est qu’il privilégie une vision de différend basé sur des
grégarités plutôt que sur les réels objets de tensions que sont les
questions géopolitiques de territoire et de pouvoir rattaché aux
intérêts économiques. Abderrahmane Hadj Naceur, dans une contribution
publiée par Tout sur l’Algérie (TSA), montre l’imbrication de ces
intérêts – notamment les intérêts mafieux – dans l’explosion de la
poudrière de Ghardaïa. Cependant, et comme on devrait le voir, la
vulnérabilité de la communauté mozabite, historiquement persécutée et
depuis l’indépendance ostracisée, la désigne comme victime
propitiatoire.
Deuxième remarque : dans une contribution publiée sur sa page Facebook,
le chercheur Ahmed Benamoum avance que les Chambaâs ne sont pas ces
descendants d’Arabes de la tribu de Banu Hillal comme on le soupçonne,
mais bien des Berbères zénètes arabisés. Quelle que soit la valeur de
cette affirmation, elle ne change rien au fait que les Chambaâs ont de
longue date une hostilité des Mozabites et c’est chez eux que semblent
avoir été recrutés les salafistes acquis à l’épuration, relayant les
appels contre les ibadites lancés à partir de La Mecque. Contrairement à
ce que claironnent les hérauts du nationalisme version kasma du coin,
incantatoire et irascible, le conflit au MZab est une plaie ouverte
depuis deux ans sous l’œil grand ouvert d’un pouvoir qui a préféré
regarder ailleurs. C’est facile après de venir dédouaner l’incurie des
gouvernants en criant au complot. Si complot il y a, ce qui semble
vraisemblable, ne fallait-il pas anticiper, prévenir ?
A. M.
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