Culture : Thème d'une conférence de Maâmar Farah, Au festival
Raconte-Arts
La pratique journalistique en Algérie de 62 à nos jours
«28 ans de presse sous le parti unique et 25 ans de
presse indépendante» est le thème de la conférence animée par Maâmar
Farah, à l’invitation des organisateurs du festival culturel
Raconte-Arts qui se tient depuis samedi dernier à Iguersafene, village
de la commune d’Idjeur, à une quarantaine de kilomètres de Tizi-Ouzou.
Journaliste au long cours et membre fondateur du Soir d’Algérie, Maâmar
Farah s’est livré à une lecture prospective et comparée de plusieurs
décennies de pratiques journalistiques en Algérie. Le propos s’appuie
tout autant sur l’expérience personnelle en tant que journaliste immergé
dans les deux époques et de l’observation analytique de celui qui a
quasiment accompagné les mutations connues par la presse algérienne. Il
aura été tour à tour journaliste et responsable dans plusieurs organes
du secteur public sous l’ère du parti unique et membre fondateur du
premier journal de statut privé, après l’ouverture politique consécutive
aux événements d’octobre 1988.
Rentrant d’emblée dans le vif du sujet, M. Farah annonce sous forme
d’aveu qui a pu déconcerter d’aucuns. «En vérité, de 1965 à 1979, il n’y
a pas de mainmise d’un parti unique telle qu’on peut l’imaginer»,
dira-t-il, voulant tordre le cou à ce qu’il nomme «les théories qui
n’ont rien à avoir avec la réalité» et «les schématisations et les
normes établies dans les bureaux des facultés.» Le FLN qui, à suivre le
conférencier, n’avait pas encore atteint, à cette époque-là la stature
de parti Etat, de l’œil du maître omniscient qui a la maîtrise
idéologique et organique de toutes les instructions, a été confiné dans
une tâche administrative par le pouvoir «qui avait son idée sur le
développement économique et social du pays, ne voulait pas s’encombrer
d’une machine idéologique qui aurait tout au plus alourdi le processus
et retardé les échéances. Le parti (le FLN) avait sa presse mais les
quotidiens les plus lus@ et les plus influents ne relevaient pas du
parti mais du ministère de l’Information», précisera l’invité de
Raconte-Arts qui a étayé son propos par une anecdote d’un papier paru
sur les colonnes du quotidien An Nasr qui a provoqué le courroux du
commissaire du FLN à Annaba à qui M. Farah en tant que chef du bureau
d’An Nasr de cette ville fera remarquer que le journal n’était pas sous
la tutelle du parti. Le conférencier précisera que même si la plupart
des journaux étaient sous la tutelle du ministère de l’Information,
celui-ci n’interférait pas dans les choix éditoriaux des rédactions et
des journalistes. «Peut-on parler de censure ?», s’interroge M. Farah
pour qui les journalistes disposaient toujours d’une grande marge de
manœuvre. «Celle-ci (la censure) ne se fait jamais de manière
automatique, méprisante», témoignera-t-il, ajoutant qu’une issue est
toujours possible lorsqu’il y a conflit entre un journaliste et le
responsable du journal qui arrivait à un consensus autour des points qui
auraient pu être litigieux. Quid du respect de la ligne éditoriale ?
«Nous n’avons pas besoin d’orientations du parti ou de conclaves
idéologiques pour en définir les traits. C’était pour nous tous les
options de la révolution armée ; les valeurs de la justice sociale,
d’égalité et de solidarité héritée de la longue lutte de notre peuple
pour son émancipation (…). Notre génération, les choses étaient on ne
peut plus claires ; on n’avait même pas à choisir. Nos prédécesseurs qui
avaient la plume dans une main et la mitraillette dans l’autre avaient
tracé la voie », témoigera M. Farah. «Nous étions conscients que nous
étions militants mais le terme ne nous faisait pas peur. Nous nous
sentions comme les soldats d’un front qui allaient combattre le
dénuement, la maladie, l’injustice, l’arriération sociale»,
précisera-t-il encore. Et de s’exclamer, comme pour se défendre d’être
aux ordres d’un pouvoir dictatorial, l’auteur de la chronique de Une du
Soir d’Algérie «Bonjour l’Algérie» dira : «Nous avons vécu une époque
qui avait tiré les Algériens vers la modernité» Cela étant, l’auteur de
cette profession de foi qui n’exclut pas l’existence de serviteurs zélés
et les laudateurs du système, ses fidèles serviteurs, les vendus pour un
voyage ou un appartement qui existent aujourd’hui comme hier, selon M.
Farah qui se plaint de la difficulté, aujourd’hui, à se revendiquer, à
défendre, «ses anciens ancrages». Autre période, autre mœurs, les années
1980. Et puis, il y a cette phrase lâchée par le conférencier et qui
permet de mesurer son dépit quant à la pratique du métier de journaliste
à l’époque marquée par la censure, les injonctions, les idées
rétrogrades, l’exclusion linguistique avaient pignon sur rue… «La presse
était muselée et tout était sévèrement puni. J’avais quitté la rubrique
politique en 1977, depuis le jour où le ministre de l’Information avait
censuré mon édito sur la révolution agraire.» Puis vint l’après-1988 «la
parenthèse un peu folle», selon celui qui figure parmi les membres
fondateurs du Soir d’Algérie qui énumère le meilleur et le pire pour la
société algérienne, consécutivement à l’ouverture politique et son
corollaire, l’ouverture du champ médiatique post-octobre 1988. Le
conférencier qui relatera son expérience de «l’aventure intellectuelle»
proposée par Hamrouche, le chef du gouvernement de l’époque aux
journalistes.
L’expérience qui a abouti à la création de plusieurs journaux privés a
apporté un nouveau souffle dans la presse algérienne. «Ce fut une belle
aventure, vraiment intellectuelle. Mais très vite, le pouvoir comprenant
qu’une liberté de la presse authentique allait le gêner dans sa
politique, mit une terrible pression sur les journaux», dira l’invité d’Iguersafene
qui reviendra sur les procès en cascades, le ciblage et l’assassinat des
journalistes par les bras armés du FIS. «La presse indépendante fut
confrontée à une situation inédite.
Elle se met à jouer un rôle qui n’était pas le sien, en jouant
pratiquement celui de partis politiques», témoignera le conférencier qui
a fait part des appréhensions qu’il a eues en 1999. «Une élection
démocratique avec un seul candidat qui amena A. Bouteflika au pouvoir.»
Regrettant les temps bénis de l'engagement des journalistes pour l'idéal
de justice, Maâmar Farah aura un jugement implacable sur la situation
actuelle d'une presse qui, sous des dehors faussement pluralistes, est
en perte de repères et d'idéal et de son «âme altérée et dénaturée par
les forces de l'argent. «Quand on crée des dizaines de quotidiens sans
lecteurs juste pour recevoir une publicité généreusement octroyée, que
reste-t-il de l'idéal des journalistes moudjahidine et que diraient
aujourd’hui Frantz Fanon et les autres?», terminera avec dépit le
conférencier.
S.A.M.
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