
Chronique du jour : LETTRE DE PROVINCE
«Nous» et le cours magistral de Hachemi Cherif
Par Boubakeur
Hamidechi
boubakeur.hamidechi@Yahoo.fr
Juste
une précision relative à ce «nous» qui fonctionne comme une apposition
dans l’énoncé de cette «lettre». D’abord, il n’a guère la prétention de
témoigner au nom du nombre ou plutôt de la multitude encore attachée au
souvenir de cette personnalité de grande qualité. car son usage ne s’est
imposé que pour souligner la modestie du propos qui allait suivre. Par
conséquent, ce «nous» ne se déclinera ici qu’à travers le sens réducteur
que lui donne parfois la discussion du «café du commerce», entre autres.
Aussi faut-il le comprendre dans l’acception particulière de l’humilité.
Par exemple «ce que c’est que de nous» pauvres Algériens ballottés
n’est-elle pas la formule qui souligne autrement l’impuissance
collective ? ou bien le très courant «nous autres» ponctuant les
échanges verbaux et qui rappellent implicitement l’insignifiance de
notre statut malgré le poids social de ceux qui s’expriment. ceci donc
précisé, ne sommes-nous pas, justement, au cœur du plus terrible des
désarrois qu’a eu à connaître l’Algérie depuis son indépendance ? c’est
qu’au moment où l’opportunité du calendrier nous fait obligation, en
quelques sortes, d’évoquer le militantisme du dernier secrétaire général
du MDs, nous nous retrouvons, hélas, dans l’inconfortable situation de
témoins impuissants face à la lente agonie de l’Etat. Depuis quelques
mois, en effet, nous assistons à la progressive décomposition de
l’ensemble des institutions illustrée récemment par les purges
inexpliquées au sein de l’armée et les règlements de comptes au sein du
gouvernement. Un spectacle de grande désolation qui donne froid au dos à
tous ces «nous», sujets de cette République ne sachant plus de quoi les
surlendemains seront faits. Au cœur de la plus criminelle des
incertitudes politiques planant au-dessus du pays, peut-on se contenter
seulement de réactiver le souvenir d’un patriote de grande probité alors
que la forfaiture a totalement gangréné l’establishment ? Pourquoi pas,
dans la mesure où le moindre travail de mémoire constitue, ne serait-ce
que pour un laps de temps, un antidote au contagieux désespoir ? car en
termes de réarmement moral de la société, l’exemplarité de certains
itinéraires y contribue, même si parfois la notoriété a manqué à
certaines vies. Hachemi cherif fut de ceux qui se sacrifièrent à leur
conviction sans pour autant nourrir dans la discrétion une quelconque
ambition personnelle. Propulsé à la tête du MDs en 1990, ce mouvement
héritier de la pépinière du PAGs s’est vite imposé par la singularité de
ses objectifs. courant atypique par rapport à ceux présents dans
l’espace politique, ne s’est-il pas justement détourné du faux
étalonnage des urnes truquées pour s’investir dans un travail de
sensibilisation et de pédagogique militante ? Bien qu’il fût dépositaire
de l’héritage du PAGs et d’une filiation lointaine du PcA, le MDs a par
contre su faire la mutation doctrinale qu’exigeait «l’air du temps». or,
le fait qu’un sG ait pu imprimer à ce point sa propre marque à un
courant politique, idéologiquement reconnaissable à la rigidité de ses
dogmes de référence, démontre bien que Hachemi cherif était un leader
irremplaçable de son vivant et que sa succession était improbable. Il
est vrai qu’il fut le seul à tirer les bonnes leçons des premières
élections locales de 1990 et de l’échec que connut le PAGs. c’est ainsi
qu’il parvint à s’imposer médiatiquement bien que le MDs ait décidé de
ne pas postuler aux fonctions électives qualifiant ces dernières de
carottes empoisonnées qu’agite en permanence le système pour corrompre
les partis. Il eut très tôt raison contre toute la classe politique.
Durant une longue période (15 ans), on le vit dans le rôle d’arpenteur
du champ des libertés publiques et le critique sans concession des
arrangements politiques auxquels d’autres partis se soumirent. c’est
ainsi d’ailleurs qu’il inspira le concept de la «double rupture»,
toujours d’actualité. celle qui prône la simultanéité de l’effondrement
du système rentier et corrupteur en même temps que l’éradication de
l’islamisme politique. Refusant de succomber devant l’illusion des
urnes, il sut rétorquer à la mauvaise foi des critiques en rappelant que
la parodie des scrutins ne mesure pas la popularité mais la
compromission et l’allégeance. Quant à la nécessité de militer pour
jeter des passerelles de convergence, pourquoi ne l’a-t-on pas écouté au
moment où l’attractivité des intérêts et la fausse respectabilité
politique ont fait converger plus d’un parti vers le pouvoir ? Pour ceux
parmi les sympathisants du MDs qui se souviennent, ce fut en février
2000 qu’il se démarqua clairement du courant «participationniste». Pour
lui, cela reviendrait à faire de la question de la participation une
priorité avant la conquête de la société… «La conquête de la société !»
: expression qui résumait sa pensée et avait permis au MDs d’intervenir
dans la politique autrement. A tous points de vue, on lui doit sûrement
cette capacité de sortir des sentiers battus de la politique. se
refusant à dissocier les causes de l’effondrement de la société et du
pourrissement de l’Etat lui-même, il apportera des réponses innovantes
et indiquera d’autres pistes que celle que recycle le système afin de
retarder les échéances historiques. c’était ce à quoi il s’est consacré
laissant, après son départ, des outils doctrinaux bien fourbis mais
également un vague sentiment d’inachèvement. Il s’était tu au milieu
d’un cours magistral.
B. H.
|