Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Et si l’état islamique devenait respectable ?
Hassan Zerrouky.
Evoquée
par le très sérieux magazine américain bimestriel Foreign policy (cité
par le Courrier international de juin dernier), l’hypothèse que l’Etat
islamique puisse un jour être reconnu paraît incroyable. «L’heure est
venue d’envisager une possibilité dérangeante : que faire en cas de
victoire de l’organisation Etat islamique (EI)», se demande Stephen
Walt, auteur de l’article «Le jour où le califat deviendra respectable»
et professeur en relations internationales à la Kennedy School of
Government de Harvard ? Lequel a interrogé plusieurs spécialistes
américains sur la question. «L’idée peut paraître ridicule, mais combien
de fois la communauté internationale a-t-elle tenté d’ostraciser des
mouvements révolutionnaires avant de les reconnaître à contrecœur après
que ceux-ci eurent démontré leurs capacités à rester au pouvoir»
poursuit-il. «Tous les Etats radicaux finissent par se “socialiser dans
le système” (…) le nouvel Etat se conforme progressivement aux normes et
pratiques dominantes dans le monde et le paria devient partenaire,
surtout quand ses intérêts commencent à converger avec ceux d’autres
Etats. Si l’Etat islamique survit et se renforce, c’est le scénario qui
me paraît le plus probable» ajoute-t-il en guise d’argumentaire.
Le fait que Washington n’ait rien entrepris de sérieux comme il s’y
était engagé, pour détruire l’EI, plaide en faveur de l’hypothèse émise
par Stephen Walt qui explique que l’EI «a déjà commencé à créer des
structures administratives étatiques : collecte de l’impôt, surveillance
des frontières , constitution d’une force armée, etc. Certains de ses
voisins acceptent déjà tacitement cette réalité en fermant les yeux sur
les trafics qui lui permettent de fonctionner. Si cela devait perdurer,
combien de temps faudrait-il encore avant que d’autres pays
reconnaissent l’Etat islamique comme gouvernement légitime»,
s’interroge-t-il.
Un an et plus après sa création et son établissement sur un territoire à
cheval sur l’Irak et la Syrie, l’EI a gagné du terrain. Après avoir
conquis Ramadi en Irak, il s’est emparé de Palmyre, deux villes situées
de part et d’autre de la frontière syro-irakienne et distantes de
plusieurs centaines de kilomètres de Mossoul, le fief d’El-Baghdadi. Les
djihadistes de l’EI ont ainsi parcouru des centaines de kilomètres en
terrain plat dans une zone où rien n’échappe aux satellites américains
qui la scrutent de manière continue ! Washington, qui pouvait arrêter
les colonnes djihadistes se rendant à Palmyre, a laissé faire, parce
qu’à ses yeux tout ce qui affaiblit le régime de Bachar et concourt à sa
prochaine chute, importe plus. Son allié Ankara, pour qui les Kurdes
sont la cible prioritaire, est sur la même longueur d’ondes : la presse
turque ne cesse de dénoncer la clémence dont jouissent les djihadistes
qui ont transformé le sud de la Turquie en base arrière ! Et ce, sans
compter ces pays du Golfe qui font mine de bombarder les bases de l’EI
mais dont la préoccupation majeure est d’en finir avec le régime de
Bachar. Tout comme la France d’ailleurs qui ne cesse de faire les yeux
doux à l’Arabie Saoudite. Tout près de l’Algérie, en Libye, on assiste
au même scénario : l’EI, implanté à Syrte, commence à étendre ses
tentacules vers d’autres régions, à Derna et même à Benghazi. Et menace
la Tunisie.
Interrogé par Maghreb Emergent du 22 août, le politologue tunisien Riadh
Sidaoui se demande comment les Etats-Unis qui «avaient carbonisé»
l’armée de Saddam Hussein «en quelques semaines en 2003», tout en
précisant qu’avec «cette même facilité et rapidité furent carbonisés les
militaires libyens de Tripoli à Benghazi» ne «peuvent mettre fin à Daesh
en quelques jours» ? Selon lui, dans le cas libyen, les puissances
occidentales, qui ne souhaitent ni vainqueur ni vaincu, veulent imploser
la Libye en trois micro-Etats indépendants : la Cyrénaïque, la
Tripolitaine et le Fezzan (sud libyen).
Est-ce à dire que c’est la même vision qui prévaut pour le cas
syro-irakien, voire pour toute la région du Moyen-Orient ? Sous
l’administration de George Bush, les néoconservateurs américains avaient
envisagé un scénario de dépeçage des pays arabes et la formation de
nouveaux Etats ethnico-confessionnels homogènes, un scénario que
l’administration Obama n’a nullement enterré.
D’ailleurs, on observera que les termes «unité de la Syrie ou de l’Irak»
sont rarement évoqués par le discours politique de la Maison Blanche.
Tout cela est loin de l’Algérie, diront certains… pas sûr.
H. Z.
|