
Culture : Regretter l’absence de l’astre de Nawel Louerrad
Minimalisme graphique et quintessence du verbe
L’une des parutions les plus remarquées du 8e
Festival international de la bande dessinée d’Alger qui a pris fin
samedi dernier est le nouvel ouvrage de Nawel Louerrad Regretter
l’absence de l’astre (Editions Dalimen, 2015). Un travail exigeant et
complexe tant sur le plan graphique que narratif.
En 2013, l’artiste s’est révélé avec fracas lors de la parution de son
album Les vêpres algériennes, une œuvre qui introduisait une sémantique
méconnue dans le monde de la bande dessinée algérienne tant Nawel
Louerrad s’offrait toutes les libertés pour créer une cartographie
introspective et décalée de l’histoire de son pays. Ce dépouillement,
ces traits vaporeux et cette transgression des codes établis, on les
retrouve dans son nouvel ouvrage Regretter l’absence de l’astre avec
néanmoins des tonalités philosophique, voire métaphysiques, plus
marquées.
On entame ces planches selon un rythme astucieusement mis en place par
l’auteure qui nous fait transhumer d’un univers muet et sombre vers les
sphères du verbe et de la métaphore. Comme une musique sournoise, les
formes et les mots de Nawel Louerrad naissent dans l’ambiguïté et le
mystère avant de s’entremêler brutalement dans une danse complexe et
criarde où le questionnement est aussi abyssal que sa représentation
graphique. Malgré la pureté des traits et le minimalisme de la démarche,
l’iconographie de l’artiste s’avère extrêmement dense tant elle porte à
son paroxysme une littérature et une plastique angoissantes, solitaires
et obscures.
Contrairement à son précédent album, Regretter l’absence de l’astre
semble se détacher complètement du contexte algérien et s’envole vers
des sphères apatrides où seuls comptent une quête effrénée du sens et le
désespoir indicible qu’engendre l’impossibilité de le trouver. Et cette
tourmente est ici exprimée par la répétition obsédante qui instaure dans
les premières planches un échange d’échos et de murmures préparant la
deuxième phase du livre : une explosion de dialogues lancinants et une
architecture plus concrète même si elle ne se départit jamais de ce halo
d’éther qui confère à l’ensemble un goût mystique. L’ouvrage qu’on
pourrait qualifier de roman graphique dévoile alors sa substance
narrative : il s’agit d’un long poème en prose qui explore la solitude
de l’être, l’infini désertique qui encercle la vie humaine et le désir
dément de liberté.
La chronologie du récit se situe dans un futur indéfini où Boualem, un
ancien astronaute qui a traversé une rude dépression, vit dans un monde
où les astres ont disparu et décide de se transformer en chardonneret.
Ce chapitre est marqué par une puissante esthétique littéraire dont la
préoccupation première est de sublimer ce sentiment de perdition et
d’abandon à travers des fulgurances et des assertions improbables qui se
distinguent autant par leur style que par leur contenu. Avec Regretter
l’absence de l’astre, Nawel Louerrad confirme son double talent
littéraire et artistique et se place indéniablement parmi les auteurs
les plus originaux et les plus audacieux de sa génération.
Sarah Haidar
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