
Chronique du jour : Lettre de province
Une «tripartite» substitut d’un Parlement disqualifié ?
Par Boubakeur Hamidechi
boubakeur.hamidechi@Yahoo.fr
En
conviant à la messe traditionnelle un patronat, revigoré par les réseaux
d’initiés qui le soutiennent à partir de l’appareil de l’Etat et un
syndicat moribond, voué à toutes les besognes relatives aux
ratifications sans négociation, le gouvernement n’a fait rien d’autre
que de la «com». Et de celle qu’il est difficile d’apprécier tant elle
est maladroite et sûrement mensongère. En effet, par une sorte de dérive
de sa pratique, le pouvoir se retrouve en train de transférer la
prérogative des débats, impartie au Parlement, vers cette structure
technique, qu’est une triangulaire de la négociation. En somme, il
compte sur une boîte à outils pour élaborer le cap de son action. C’est
ainsi qu’à la suite de la détérioration de la plupart des institutions
de l’Etat, le gouvernement en est aujourd’hui réduit à réactiver un
simple instrument de concertation pour en faire un cadre majeur de la
stratégie nationale. Autrement dit, la faillite du pouvoir est désormais
perceptible à travers les recours à de semblables bricolages faute d’un
Parlement délibérant et légiférant sur l’ensemble de l’activité du
gouvernement.
L’impression d’inutilité qualifiant son existence dans l’architecture de
l’Etat suffit effectivement pour expliquer les pratiques néfastes des
régimes autoritaires qu’insupporte un parlementarisme vivant, critique
et pourquoi pas censeur. Faute justement d’éthique démocratique,
nécessaire à la validation de leur mandat, nos députés et sénateurs
finirent par succomber à une corruptibilité du même tonneau que celle
des hauts fonctionnaires. D’ailleurs ne sommes-nous pas à la veille
d’une campagne de renouvellement d’un tiers de sièges au Sénat pour
laquelle les Ammar Saâdani et les Ahmed Ouyahia se sont mobilisés ce
week-end ?
FLN et RND partent donc en première ligne d’où la perspective de faire
de ce challenge une affaire conforme au désidératas du palais. C’est que
les futurs candidats, délégués des vastes terres du pays profond, sont
pour la plupart des vassaux blanchis sous le harnais de leurs appareils.
Issus des baronnies politiques locales, ils arriveront ainsi à
l’hémicycle précédés par quelques réputations peu engageantes. De celles
qui les décrivent par leur peu de compétence et pour leur
«approximative» probité. Bref, ce Sénat que l’on dit républicain est en
fait une institution qui perpétue le vieil ordre monarchique de la
fameuse «liste civile».
Cette pratique distributive des faveurs matérielles aux courtisans. L’on
doit par conséquent à la Constitution de 1996 ce bicamérisme suspect qui
n’a finalement pas contribué à l’amélioration de la valeur de nos urnes.
Bien au contraire, il a alimenté, plus que de mesure, l’abstentionnisme
de l’électorat. D’ici à penser que le parlementarisme algérien est
essentiellement victime de la nature autoritaire des régimes et de la
culture anti-démocratique des dirigeants paraît tout de même excessif.
Car la plupart des spécialistes en sont venus à l’admettre seulement
comme une «donnée» parmi d’autres.
En effet, selon que la question est posée à partir de la désaffection
électorale ou, au contraire, depuis les lectures juridiques des textes,
les réponses diffèrent. C’est ainsi qu’ils feront remarquer que la
représentativité territoriale sur laquelle se fonde la nécessité d’une
seconde Chambre est tout à fait biaisée en Algérie dès l’instant où la
totalité de nos scrutins sont estampillés par la fraude. Effectivement,
à travers sa praxis, le système politique n’a finalement retenu que les
aspects formels avec de surcroît l’amputation d’un tiers du Sénat de la
légitimité apparente des urnes. Un assujettissement «partiel» qui
disqualifie de fait la totalité des délibérations de cette Chambre. En
termes de comparaisons, autant considérer donc l’APN comme l’unique pôle
du parlementarisme dont il faudra prendre en considération les critiques
même si ces dernières se concluent par l’approbation des thèses du
pouvoir. Ce qui n’est pas le cas du Sénat qui concentrait, dès son acte
de naissance, les tares moyens-orientales de ces assemblées de «chouyoukhs».
Là où siège la courtisanerie cooptée par le suzerain afin de lui servir
de claque et de ratification des édits.
De cette similitude, insupportable pour l’électeur, les votes et toutes
les autres médiations des urnes connurent un déclin. D’où la nécessité
de rompre avec de tels simulacres en faisant de la refonte de la loi
fondamentale la clé du changement. Mais pour qu’une telle chirurgie
constitutionnelle soit efficace encore faut-il qu’elle devienne l’œuvre
d’une Assemblée constituante. En d’autres termes, seul le contexte d’une
Assemblée de transition est à même de s’attaquer à l’esprit et à la
lettre de ce bicamérisme vieux de 20 ans.
Ainsi sera-t-il alors possible à la volonté populaire de débattre – par
délégués interposés – de toutes les propositions émanant de l’exécutif.
A l’exemple du court-circuitage provoqué par le Premier ministre qui a
préféré recourir à des ersatz de comités ad hoc dont les technicités
valent toujours moins que le bon sens et la vigilance irriguant les
débats d’un Parlement.
Comme quoi, une tripartite d’expert n’est au mieux qu’un bon acte de
gestion mais jamais une mise en perspective d’une solution pour sortir
de la crise. Or le fait que ce gouvernement ait préféré ignorer un
Parlement, fût-il toujours croupion, donne une idée peu réconfortante de
la perte d’estime qui lui est consacrée.
En censurant d’une certaine façon une institution acquise au
gouvernement, Sellal se tire finalement une balle dans le pied. Car
mettre en scène un pacte social à partir d’une commission ne suffit pas
à donner de l’épaisseur à la résolution.
Au mieux, elle finira par être qualifiée de ridicule enfumage de
l’opinion et, au pire, elle révélera, sitôt appliquée, qu’elle n’est
avantageuse que pour les inspirateurs de première main. Nous avons cité
le patronat !
B. H.
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