
Chronique du jour : Lettre de province
La liberté d’expression et le revendeur de vieux gris-gris
Par Boubakeur Hamidechi
boubakeur.hamidechi@Yahoo.fr
Il
faudra dorénavant peser ses mots avant d’exprimer la moindre critique
politique même lorsque la déliquescence de l’Etat est vérifiable à tous
les instants. Et c’est à Ouyahia qu’est revenu le redoutable exercice
d’énoncer la mise en garde concernant les écrits et les discours de
tribune.
Presse et partis politiques sont, par conséquent, avisés de ce qu’il
leur en coûtera s’ils venaient à ne pas en tenir compte. Car, selon
l’argument de cette «grande conscience» de la république, il y a des
«lignes rouges qui sont infranchissables sous aucun prétexte». Or l’on
ne peut s’empêcher de demander lesquelles en dehors de celles qui sont
codifiées par la loi et clairement encadrées par la Constitution. Mais
la précision importait peu à ce procureur. Car loin de clarifier la
notion de transgression il s’était satisfait de quelques ridicules
euphémismes destinés à faire la promotion de l’autocensure.
Porteur d’eau d’une nébuleuse contrôlant l’essentiel des instruments du
pouvoir, Ouyahia ne semble guère mal à l’aise dans cet exercice. En sa
qualité de nouveau porte-parole de l’humeur du palais, il s’est, quand
même, souvenu qu’il pouvait gagner en visibilité en redevenant
impopulaire. Se vengeant de sa courte traversée du désert, le revoici
dans sa posture favorite qui consiste à étiqueter de «subversifs» tous
ceux qui lui sont désignés comme cibles par ses commanditaires. Toute sa
fable de vizir est d’ailleurs résumée dans sa capacité à produire de la
fausse monnaie politique.
Vieille connaissance de l’opinion, il était habituellement écouté mais
jamais cru sur parole. Un intérêt somme toute esthétique dans la mesure
où il n’excelle que par sa subtile rhétorique permettant de maquiller
les fautes du régime. Une roublardise longtemps éprouvée qui ne serait
pas étrangère à cette récente sollicitation au moment où il devait se
morfondre dans la luxueuse «invisibilité» de ministre d’Etat et chef de
cabinet du Président. Cet Ouyahia remis dans la lumière du débat public
ne saurait dire et faire autre chose que ce qu’il lui était ordonné par
les parrains. Contempteur de ceux qui ne seraient pas satisfaits du
pouvoir et des modalités de son fonctionnement, il vient d’agir en
«sniper» juché dans les meurtrières du palais. Il est vrai que la
camarilla éprouvée par les attaques ad hominem et les critiques acerbes
de la classe politique a de la peine à se défendre en l’absence d’un
antidote à opposer à la régularité des philippiques de Louisa Hanoune et
à la multiplication des analyses de personnalités de premier plan.
Battre le rappel d’un politique rompu à toutes les pirouettes oratoires
devait donc suppléer au déficit de communication d’un gouvernement
déboussolé.
Pour ce casting, Ouyahia était évidemment imbattable et surtout
«intellectuellement» disponible en ce sens qu’il porte la marque de
fabrique du solide carriériste vacciné contre les états d’âme, pour peu
qu’il dure et qu’il s’élève ! Sa seconde réhabilitation, après celle de
la récupération du RND, n’est, en vérité, pas surprenante dans la mesure
où le parrainage actuel est rassuré quant à sa docilité, voire son zèle
dans le contexte présent.
Tacitement chaque partie trouve son compte. Un marché qui se décline
ainsi : aux réseaux du pouvoir de lui garantir un statut dans le premier
cercle du système et à lui d’aller au charbon, comme il sait le faire,
jouant tantôt au procureur qui plaide les culpabilités, tantôt au flic
politique en diffusant des messages d’intimidation. Feuille de route et
missions multiples qu’il vient d’entamer d’une manière tapageuse tant le
sujet est sensible au plus haut point. Car depuis quand Ouyahia a-t-il
feint de ne s’exprimer qu’au nom du RND et à quelle occasion s’est-il
autorisé de disserter sur les libertés publiques ? Lui qui incarne, à
travers son itinéraire, le faux militant dans un parti politique et dans
le même ordre des choses l’opposant idéologique à la diversité
démocratique, comment peut-il discourir sur ces thèmes sans donner la
détestable impression qu’il ment par arrogance ? Car c’est à lui que la
sommation doit être retournée lorsqu’il exige de chacun qu’il «maîtrise
sa langue».
En effet, ne fallait-il pas qu’il se contraigne à son tour de ne pas
verser dans le délire et d’être mesuré dans le propos ? De plus, pour
qu’il prétende à l’exemplarité dans ce domaine, ne devait-il pas nous
initier à l’art de décrire la réalité d’un pays en pleine dérive tout en
censurant les épithètes pessimistes ! Dire donc d’Ouyahia, ce prétendant
au statut de «conscience patriotique», qu’il n’est en tout état de cause
qu’un tâcheron chargé de castrer la parole, c’est tout simplement lui
rappeler sa peu glorieuse trajectoire.
En définitive, il s’est révélé sous les traits pathétiques d’un mauvais
revendeur d’anciens sophismes de la pensée unique. Un charlatan exhumant
des gris-gris pour se faire valoir, c'est-à-dire se donner de
l’épaisseur en politique.
B. H.
|