Corruptions : UN NOUVEAU CODE DES MARCHÉS PUBLICS
Trop de cas spécifiques et la part belle au gré à gré
Le décret présidentiel portant réglementation des
marchés publics et des délégations de service public est enfin paru : il
porte le n°15-247, il est daté du 16 septembre 2015 et a été publié au
Journal officiel n°50 du 20 septembre 2015.
Pour rappel, le Conseil des ministres, réuni le 22 juillet 2015, avait
adopté un nouveau code des marchés publics, projet qui n’avait pas été
annoncé auparavant (voir le Soir corruption du lundi 27 juillet 2015).
C’est la 6e fois, depuis 2002, que la réglementation relative à la
gestion de la commande publique subit de très larges modifications. Si
les fois précédentes, les demandes d’assouplissement de ce code
émanaient des walis (!), cette dernière mouture répond à de fortes
sollicitations du… patronat ! L’article 5 de ce nouveau code reprend une
définition
générale : «En vue d’assurer l’efficacité de la commande publique et la
bonne utilisation des fonds publics, les marchés publics doivent
respecter les principes de liberté d’accès à la commande publique,
d’égalité de traitement des candidats, et de transparence des
procédures, dans le respect des dispositions du présent décret.» Un vœu
pieux, car d’une part, cette philosophie est restée dans les tiroirs :
la preuve en est la corruption qui gangrène la commande publique à tous
les échelons des institutions de l’Etat, tant centrales que locales ; et
d’autre part, dans nombre d’articles plus loin apparaissent une série de
limites et de spécificités qui sur le terrain vont à l’encontre de la
transparence dans la gestion des marchés publics. A commencer par les
exemptions mentionnées par les articles 6 et 9.
L’article 6 stipule que «les dispositions du présent titre sont
applicables exclusivement aux marchés publics, objet des dépenses : de
l’Etat ; des collectivités territoriales ; des établissements publics à
caractère administratif ; des établissements publics soumis à la
législation régissant les activités commerciales, lorsque ceux-ci sont
chargés de la réalisation d’une opération financée, totalement ou
partiellement, sur concours temporaire ou définitif de l’Etat ou des
collectivités territoriales». Quant à l’article 9, c’est un cadeau
empoisonné aux dirigeants du secteur public économique : «Les
entreprises publiques économiques ne sont pas soumises au dispositif de
passation des marchés publics prévu par le présent titre. Toutefois,
elles sont tenues d’élaborer et de faire adopter, par leurs organes
sociaux, des procédures de passation de marchés, selon leurs
spécificités, fondées sur les principes de liberté d’accès à la
commande, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des
procédures.» Enfin une nouveauté contenue dans l’article 88 et qui
pourrait être intéressante si elle était réellement mise en place et
rapidement, ce qui sera peu probable : «Un code d’éthique et de
déontologie des agents publics intervenant dans le contrôle, la
passation et l’exécution des marchés publics et des délégations de
service public est élaboré par l’autorité de régulation des marchés
publics et des délégations de service public instituée par les
dispositions de l’article 213 du présent décret, et approuvé par le
ministre chargé des Finances. Les agents publics précités prennent acte
du contenu du code et s’engagent à le respecter par une déclaration. Ils
doivent également signer une déclaration d’absence de conflit d’intérêt.
Les modèles de ces déclarations sont joints au code.» Pourquoi attendre
l’installation de cette «Autorité» (elle n’existe pas encore) pour
élaborer ce code d’éthique et de déontologie ?
De la communication
par voie électronique
Autre nouveauté qui, là aussi, nous laisse sceptique quant à sa
faisabilité (voir article ci-dessous à propos du site web du ministère
des Finances, réputé «gestionnaire» du code des marchés) : l’article 203
annonce qu’«il est institué un portail électronique des marchés publics,
dont la gestion est assurée par le ministère chargé des finances et le
ministère chargé des technologies de l’information et de la
communication, chacun en ce qui le concerne. Les attributions en la
matière, de chaque département ministériel, sont fixées par un arrêté
conjoint du ministre chargé des finances et du ministre chargé des
technologies de l’information et de la communication. Le contenu et les
modalités de gestion du portail sont fixés par arrêté du ministre chargé
des finances». Pourquoi cette cogestion ? Trop de lourdeur en
perspective qui en compromettra la réalisation. Le nouveau code des
marchés est élargi aux délégations de service public, disposition qui
existe déjà dans le secteur de l’eau par exemple ou dans la gestion
d’infrastructures telles les aéroports ou certains transports publics,
d’ailleurs des délégations de service public, «offertes» très souvent
par voie de gré à gré à des entreprises étrangères ! Que dit à ce sujet
l’article 207? «La personne morale de droit public responsable d’un
service public peut, sauf disposition législative contraire, confier sa
gestion à un délégataire.
La rémunération du délégataire est assurée substantiellement par
l’exploitation du service public. L’autorité délégante, agissant pour le
compte de la personne morale de droit public, confie la gestion du
service public par convention», et l’article 209 de préciser que «les
conventions de délégation de service public sont régies, pour leur
passation par les principes prévus à l’article 5 du présent décret». Ah
! si ça pouvait être le cas dans les faits…
Au final, dans ce nouveau code, il y a beaucoup trop de procédures
spécifiques, de procédures adaptées, de procédures en cas d’urgence
impérieuse, de procédures nécessitant une promptitude de décision, de
gré à gré, d’appel d’offres restreint, de procédures de consultation
sélective, de sous-traitance.
Beaucoup de nouvelles structures à créer qui se surajouteront à celles
existantes qui ont failli dans leurs missions, notamment celle qui
consiste à prévenir la corruption dans les marchés publics...
Djilali HadjadjCréation d’une autorité de régulation des marchés
publics et des délégations de service public
Il est institué auprès du ministre chargé des
finances, une autorité de régulation des marchés publics et des
délégations de service public dotée de l’autonomie de gestion. Elle
comprend en son sein un observatoire de la commande publique et un
organe national de règlement des litiges. L’autorité a pour attributions
: élaborer et suivre la mise en œuvre de la réglementation des marchés
publics et des délégations de service public. Elle émet, à ce titre, des
avis destinés aux services contractants, organes de contrôle,
commissions des marchés, comités de règlement amiable des litiges et aux
opérateurs économiques. Ses prérogatives sont : d’informer, de diffuser
et de vulgariser tous documents et informations relatifs aux marchés
publics et aux délégations de service public ; d’initier les programmes
de formation et de promouvoir la formation en marchés publics et en
délégations de service public ; d’effectuer annuellement un recensement
économique de la commande publique ; d’analyser les données relatives
aux aspects économiques et techniques de la commande publique et faire
des recommandations au gouvernement ; de constituer un lieu de
concertation, dans le cadre de l’observatoire de la commande publique ;
d’auditer ou de faire auditer les procédures de passation des marchés
publics et des délégations de service public et leur exécution, à la
demande de toute autorité compétente ; de statuer sur les litiges nés de
l’exécution des marchés publics conclus avec des partenaires
cocontractants étrangers ; de gérer et d’exploiter le système
d’information des marchés publics ; d’entretenir des relations de
coopération avec les institutions étrangères et les institutions
internationales intervenant dans le domaine des marchés publics et des
délégations de service public.
L'organisation et les modalités de fonctionnement de l'autorité de
régulation des marchés publics et des délégations de service public sont
fixées par décret exécutif. Sur le papier, cette «autorité» a de
l’allure : c’est la copie exacte de celle déjà existante en France. Mais
les pouvoirs publics nous ont habitués ces dernières années à créer des
structures qui ne voient jamais le jour, ou qui sont inefficaces ou ont
les mains liées, sans aucune marge de manœuvre. Un triste exemple : cela
fait déjà plusieurs années que la création d’un observatoire de la
commande publique existe dans le code des marchés, observatoire qui n’a
jamais… vu le jour !
D. H. Le ministère des finances et les marchés publics sur
le web
En retard de plusieurs guerres
Sur le site web du ministère des Finances (site d’une
indigence effrayante) — ministère pourtant «gestionnaire» du code des
marchés publics —, figure toujours la réglementation de 2013 : celle qui
vient de paraître n’y est pas encore enregistrée.
Qu’est-ce qu’on y trouve concernant les marchés publics ? Presque rien !
Une sous-rubrique intitulée «Présentation de la DMP» où on apprend que
la division des marches publics est chargée : «De participer à la
programmation et à l'orientation des commandes publiques, conformément à
la politique définie par le gouvernement ; de participer à l'élaboration
de la réglementation des marchés publics ; de veiller à l'établissement
et à la mise en œuvre des dispositions législatives et réglementaires
pour une meilleure utilisation des deniers publics ; d'assurer le
secrétariat de la Commission nationale des marchés, en matière de
contrôle de la régularité des procédures de passation et d'attribution
des marchés relevant de la compétence de cette commission ; de mettre en
œuvre les instruments d'analyse et de contrôle de la dépense publique en
relation avec les marchés publics ; d'œuvrer à la modernisation des
procédures de passation, d'exécution et de gestion des marchés publics.»
Cette DMP est composée de deux directions : la direction des marchés
publics et la direction du contrôle de la régularité des marchés
publics. Figure aussi sur le portail électronique du ministère des
Finances une autre sous-rubrique intitulée «site web des marchés
publics», coquille vide, avec la seule mention : «En construction !»
(ndlr/ le «!» de «En construction» est inscrit pour de vrai sur le
site). Quelle crédibilité accordée à ce ministère parmi les plus
importants du gouvernement, surtout dans un contexte économique aussi
difficile, et qui n’est même pas capable de disposer d’un site web à la
hauteur des enjeux actuels ? Peut-on alors prendre au sérieux cette
notion de «communication par voie électronique» introduite dans le
nouveau code des marchés ?
D. H.
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