Chronique du jour : Kiosque arabe
Circulez, il n'y a rien à voir !
Par Ahmed Halli
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Depuis
quelques années, chaînes satellites et sites pornographiques ou
alléchants s'ingénient à «arabiser» leurs messages, pour mieux attirer
une clientèle supposée constituer un vivier pour l'avenir. Certains
sites de rencontres, virtuelles ou réelles, recourent même à des
astuces, du genre «beurettes» ou «asiatiques», avec des noms de villes
idoines, propres à laisser croire que le bonheur est tout près. Ces
fenêtres intempestives, devant lesquelles les pare-feux restent le plus
souvent impuissants, vous assaillent désormais jusque sur des sites
d'info qu'on ne peut soupçonner de complicité de racolage. Bref,
l'industrie du porno à portée de clic, indubitablement née en Occident,
est en train de se développer et de s'épanouir, jusque dans les
sanctuaires réputés inviolables de l'Islam. En parlant de sanctuaire, le
quotidien saoudien El-Watan nous en apprend des vertes et des pas mûres
sur les pays arabes et musulmans, principaux fournisseurs de visiteurs.
Il est connu que la très conservatrice Arabie Saoudite déploie de grands
efforts pour empêcher ses citoyens d'accéder à des ersatz de plaisirs
interdits. Ceci, bien entendu, au nom du principe de «faites ce que je
vous dis, mais ne faites pas ce que je fais», que les contradicteurs du
royaume résument par la formule lapidaire : «Ce qui nous est interdit
leur est permis.»
Le quotidien rapporte que l'Arabie Saoudite occupe la 11e place dans le
monde en matière de fréquentation de sites destinés à attiser ou à
calmer les «fitnas» physiologiques qui s'emparent des croyants, aux
heures de grande solitude. Or, selon El-Watan, le pays entretient une
véritable armée d'électroniciens compétents qui sont voués au blocage
des sites considérés comme pornographiques, au regard des critères
locaux. Ces censeurs vigilants qui travaillent vingt-quatre heures sur
vingt-quatre parviennent statistiquement, toutes les trois minutes et
demie, à verrouiller l'entrée d'un site indésirable, si l'expression est
de mise. De ce point de vue, et en matière de censure, le royaume
wahhabite, gardien autoritaire et vigilant des Lieux-Saints de l'Islam,
occupe la première place. Mais alors se pose, pour le journal saoudien,
la question de savoir non pas pourquoi l'Arabie Saoudite occupe la 11e
place, mais quel serait son classement s'il n'y avait pas ces barrages ?
Question encore plus délicate et pleine de lourds sous-entendus : ce
sont dix pays musulmans qui figurent en tête de ce classement singulier,
à savoir l'Iran, les Emirats, l'Égypte, le Bahreïn, le Koweït, le Qatar,
l'Arabie Saoudite, le Soudan, la Palestine et l'Indonésie.
«Où se situe la faille morale dans l'éducation, l'enseignement et les
programmes, qui nous a conduits à figurer dans ce palmarès du scandale ?
Quelle est cette éducation qui nous a menés à occuper ce rang, alors que
toutes les données et toutes les conditions plaident pour le contraire ?
s'interroge El-Watan. Ceci en dépit du fait que nous sommes les fidèles
d'une religion moralisatrice, venue parachever l'œuvre de purification
spirituelle et promouvoir en l'homme les idéaux les plus nobles. Il est
donc permis de supposer que si nous ne disposions pas de cette armada de
censeurs, nous serions aussi à la première place, mais en termes de
fréquentation des sites. Et pour enfoncer le clou, sachez que le
Saoudien clique sur près d'un million de liens par an, et qu'il a la
surprise de tomber sur ce message “Site inaccessible”, à chaque
tentative», conclut le quotidien saoudien. A noter que le journal s'est
référé uniquement à des statistiques fournies par le Guide européen
annuel de la fréquentation des sites pornos ou assimilés. Une autre
étude réalisée cette année par la plateforme Similarweb, en partenariat
avec le magazine en ligne américain TNW, donne d'autres indications.
Ainsi, ce sont deux pays arabes, l'Irak et l'Égypte, qui sont en tête du
«Top ten», le classement des dix pays plus gros consommateurs de «sites
pour adultes», expression qui se substitue parfois à «Sites X» dans un
souci de pudeur.
L'Irak est ainsi tête de liste mondiale avec plus de 10% du trafic
généré directement sur les sites pornos, révèle cette étude. L'Égypte
occupe la deuxième place mondiale avec 8% du trafic, alors que le Maroc,
qui a une réputation surfaite là-dessus, n'est classé qu'au 13e rang
avec près de 4,40%, la moyenne mondiale. Pour ce qui est du temps passé
par les internautes arabes sur ces «pages interdites», on retrouve
l'étonnant Koweït, dont les internautes restent rivés à l'écran torride
durant 4 heures et 19 minutes. Les vertueux citoyens de la prude Arabie
Saoudite passent un peu moins de temps devant les images diaboliques,
avec 3 heures et 36 minutes, et ils sont talonnés par les concitoyens du
cheikh qatari, Karadhaoui. Autre donnée qui peut paraître
contradictoire, mais qui ne l'est pas, et pour cause, l’Arabie Saoudite,
le Qatar, les Émirats arabes unis et le Koweït sont les pays où les
«sites pour adultes» sont les moins consultés. La faute en incombe
essentiellement aux «Firewall» que ces pays opposent aux sites X, comme
l'a fait remarquer El-Watan, au sujet du royaume wahhabite. Les sites
interdits ont peu de place dans le trafic de ces quatre pays, mais ceux
qui s'y connectent y passent beaucoup de temps, comme pour en profiter
au maximum, avant le fatidique «circulez, il n'y a rien à voir !», note
Similarweb.
Curieusement, il y a des internautes arabes qui quittent les sites
pornos dès les premières pages, comme ceux de l'Égypte, du Qatar, de
l’Arabie Saoudite et du Maroc, qui quittent dès l'ouverture. L'étude
l'explique par la possibilité de clics accidentels sur ces liens, suivis
d'un départ précipité à la vue des premières pages, mais il doit sans
doute y avoir d'autres explications. Et puis, il n'est pas dit que ceux
qui entrent par accident sur ces sites ne sont pas les mêmes qui y
reviennent et qui s'y vautrent le plus longuement. Quant à savoir où en
est l'Algérie dans tout ça, c'est simple : vous avez l'injonction
«circulez, il n'y a rien à voir !» avant même de pouvoir cliquer sur un
lien de votre choix.
A. H.
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