Chronique du jour : Ici mieux que là-bas
Un noir vendredi 13


Par Arezki Metref
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Comme tous les vendredis, le 13 novembre, j’étais laborieusement en train de plancher sur la chronique que je devais envoyer le lendemain matin, samedi, au Soir d’Algérie. Routine. Du moins, jusqu’à un certain moment.
Après avoir vasouillé pas mal dans des tas de questions, j’ai fini par m’arrêter sur un sujet banal et ingrat : commenter une interview !
Oui, faute de mieux, je ne regrettais pas d’avoir suivi l’interview accordée par Hassan Rohani, Président iranien élu le 4 août 2013, qui s’apprêtait à effectuer une visite à Paris, à France 2 et Europe 1, le 11 novembre. Ça fait un sujet ! Et ça apporte même un point de vue autre !
Pour tout dire, et je m’en rendais compte, l’entretien n’apprenait rien sur les positions de celui qui est considéré comme un modéré, voire un réformateur par le camp occidental. On les connaissait déjà, ces positions ! L’interview est plutôt édifiante sur l’infatuation des deux journalistes préposés à ce boulot.
Qu’en dire ? Pfft !... Parce que le successeur d’Ahmadinedjad avait accepté de discuter un accord sur le nucléaire avec l’Occident, l’incarnation de la Doxa médiatique, autrement dit les deux journalistes télé, l’œil rivé sur le scoop, auraient voulu que Rohani abandonne en live, là en face d’eux, et au mépris des rapports de force internes, tous les dogmes de la République islamique et toutes les alliances stratégiques de l’Iran, pour endosser une image acceptable à leurs yeux, et selon le schéma de pensée qu’ils contribuent à fabriquer.
C’est à cet exercice de frivolité doublé d’une sorte de suffisance confinant à un paternalisme pathétique, que les téléspectateurs avaient été conviés.
Et soir-là donc, je relisais le paragraphe ci-après, que je trouvais trop direct et peut-être même un chouia injuste à propos des deux protagonistes.
David Pujadas, pape du 20h sur France 2, un habitué des interviews post Garden Party du 14 juillet à l’Elysée, est connu pour sa patiente bienveillance devant l’autorité politique. La répétition quotidienne de son apparition à l’écran, depuis plusieurs années, a fini par lui conférer l’aura du fait accompli. Puisqu’il y est, c’est qu’il devait y être. Il est néanmoins identifié à ce journalisme fait d’écume, destiné à en mettre plein les yeux aux téléspectateurs lambda. Ces grands-messes répétitives, dénoncées par Pierre Bourdieu[1], l’instituent en officiant d’un rite quasi religieux. Mais son aura ne résiste pas aux égarements ex cathedra. Hors de son cadre, il est un peu comme un saint qui aurait perdu son auréole, c’est-à-dire un mortel un brin piteux.
L’autre, Jean-Pierre Elkabbach, est un vieux routier de ce journalisme qui tire davantage son autorité de l’accumulation, c’est-à-dire de l’expérience, que de sa pertinence. Cependant, cette expérience, palpable dans ses émissions littéraires, et dans certains de ses commentaires politiques, semblait totalement absente face à Rohani.
Résultat, deux représentants du journalisme français qui paraissaient flotter dans un costume de vanité devant le Président d’un pays puissant dont les positions contribuent à déterminer la configuration géostratégique du monde. On se serait cru en présence de deux journalistes d’une superpuissance dont les médias façonnent l’opinion internationale, condescendants par leur lumineux questionnement à gratifier un obscur chef de tribu d’une république bananière.
Après ça, je me suis dit : bon, ça suffit pour aujourd’hui, je verrai les derniers détails demain matin. Mais avant de raccrocher pour la nuit, j’ai voulu regarder à quel sujet était consacré le débat de «Ce soir ou jamais» d’Antenne 2, la seule véritable émission de débat de la télévision française. L’émission était diffusée normalement, mais le sujet ne m’intéressant pas outre mesure, j’ai éteint le poste. Bon !
Sur les coups de minuit, j’ai décidé de faire un petit dernier tour sur Facebook avant de dormir, lorsque j’ai vu ce post à l’allure peu anodine : «Attaques terroristes à Paris, au moins 30 morts.»
Franchement, je n’étais pas loin de penser à un canular. Après tout, un vendredi 13, ça n’était pas un peu comme un 1er avril ? Je rallume la télé et me branche sur les chaînes d’information continue, BFMTV et itélé. Et là, c’est l’horreur absolue. Intégrale. En direct !
Plus tard, TF1 et Antenne 2 interrompirent leur programme pour envoyer des équipes sur place.
Et voilà comment une nuit de cauchemar commençait !
Au début, on avait du mal à comprendre. Les journalistes sur place étaient tenus loin de la scène et il était certainement compliqué même pour les forces de sécurité de décrypter ce qui était en train de se passer. On mesurera l’étendue de l’horreur au fur et à mesure que des survivants se sont mis à témoigner. Des terroristes ont mitraillé des restaurants et des cafés. Ils ont tiré sur des civils. Quelques-uns d’entre eux sont entrés dans le Bataclan, une salle de spectacles où 1 500 spectateurs écoutaient un groupe de metal californien. Ils ont tiré là aussi dans le tas et ont pris des otages. Des kamikazes se sont fait exploser au Stade de France. 120 morts, et plus de 200 blessés, dit un bilan appelé malheureusement à s’alourdir.
Et puis, la sidération, la tristesse, et la colère ! Immense. ! Que veulent donc ces mutants qui tuent des civils, des innocents ? Quel Dieu, quelle idéologie, quels intérêts peuvent justifier le mitraillage d’êtres humains qui paisiblement dînent dans un restaurant, boivent un verre à une terrasse de café, assistent à un concert de musique ou à un match de football ? La tristesse est infinie. Et la colère aussi. La compassion également, surtout pour nous autres Algériens qui sommes passés par cela. Et par pire encore.
Du coup, l’interview du Président iranien par les deux journalistes français paraît décalée. Rien à voir…. Rohani a annoncé l’annulation de son voyage à Paris…
A. M.
[1] «Sur la télévision»




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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2015/11/15/article.php?sid=187129&cid=8