Culture : Cinéma chkoupi de Bahia Allouache
L’humour comme tremplin à la réflexion
La première question qui nous vient à l’esprit en
sortant de Cinéma chkoupi de Bahia Allouache est de savoir si le public
algérien pourra un jour le voir en salle. Rien n’est moins sûr car ce
long-métrage satyrique risque de ne pas plaire aux distributeurs des
visas d’exploitation. et pour cause…
En compétition officielle dans la section «Première œuvre» aux 26es
Journées cinématographiques de Carthage, Cinéma chkoupi de Bahia
Allouache n’a pas eu les faveurs du jury présidé par Lyès Salem et
pourtant, il a apporté une bonne dose de fraîcheur et d’insolence à une
sélection plutôt indolente. C’est le premier long-métrage de la
réalisatrice qui n’est autre que la fille de Merzak Allouache dont on
décèlera d’ailleurs une certaine empreinte. Comme dans Normal signé par
le paternel en 2011, Cinéma chkoupi est une poupée russe filmique où
l’acteur principal n’est autre que Nadjib Oulebsir qui campe le rôle de
Djamel, un réalisateur frondeur et marginalisé. Nous sommes en 2013 et
le président Bouteflika vient d’être transporté en urgence à Paris suite
à un AVC. Il y demeurera quatre-vingt jours et les rumeurs empliront les
rues d’Alger et stimuleront l’imagination du jeune cinéaste qui demande
alors à Yasmine, sa femme (Amina Bendjoudi), avec laquelle il est en
instance de divorce, de préparer un scénario sur l’après-Bouteflika avec
l’ambition d’immerger sa caméra et ses comédiens dans le décor réel des
funérailles. C’est une idée fixe, voire une obsession, et c’est à la
scénariste de broder autour un film politiquement incorrect. Or, la
jeune femme s’amusera à élaborer un script délirant qui lui sert
davantage à régler ses comptes avec son mari infidèle.
En parallèle, les «services» du ministère de la Culture ont eu vent du
projet de Djamel et comptent tout faire pour empêcher le tournage du
film : d’abord, un journaliste corrompu et agent occasionnel du système
se déguise en femme pour infiltrer l’équipe mais suite à ses échecs, une
cadre du ministère tente de soudoyer le réalisateur en lui proposant une
méga-production d’un film historique sur le budget duquel il se
sucrerait au passage. A cette écriture acidulée qui n’est pas sans
rappeler quelques «leitmotive» de la littérature allouachienne (presse
culturelle véreuse, ministère composé d’incultes et de corrupteurs),
vient se superposer l’univers kafkaïen de Yasmine où une histoire de
pension alimentaire non payée vient se mêler à des situations politiques
ubuesques et une réflexion profonde sur la réalité du cinéma en Algérie,
le tout dans une confusion entretenue par Bahia Allouache qui brouille
ainsi les limites entre son propre film et l’imaginaire de son
personnage féminin. Cette structure dramaturgique permet à Cinéma
chkoupi d’accéder à une grande souplesse et de proposer un rythme dont
la fluidité n’a d’égal que l’intelligence. En effet, malgré la lourde
charge politique du film et la volonté claire d’émettre une série de
critiques directes à l’encontre du régime en place, la réalisatrice fait
souvent preuve de subtilité sans pour autant édulcorer son propos. Son
arme : l’humour au vitriol. Bahia Allouache, également auteure du
scénario, a un indéniable talent en la matière et l’utilisation du rire
relève chez elle de l’art de la subversion, lequel se manifeste dans
toute sa splendeur à la fin du film lorsque la radio énumère une série
de résolutions «utopiques» du président Bouteflika dès son retour de
France… Cinéma chkoupi dure 100 minutes mais il aurait pu s’étaler
au-delà tant est palpable la capacité de la cinéaste de maintenir le
souffle du récit sans jamais verser dans la redondance ou la banalité.
Sarah Haider
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