Chronique du jour : Tendances
2016, youpi !
Youcef Merahi
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Cette
nouvelle année m’a donné un cafard, comme pas possible. Sérieux, je me
suis trouvé dans la situation d’une cervelle qui reçoit des coups de
marteau sur une enclume d’un ferronnier en apnée. Vous voyez le tableau
! Puis, il y a des moments, comme ça, qui viennent tourner en bourrique
celui qui tente de dénouer l’écheveau des complaintes de 2016. J’en ai
conscience. Et ça me fout le bourdon ! Je n’avais qu’à ne pas m’en
faire, me dit l’autre. Oui, certainement ! Laisse béton, me souffle la
chanson de Renaud. J’ai essayé, en vain. Quand j’entends l’autre me
parler de ses bonnes résolutions pour 2016, j’ai juste envie, une envie
furieuse et incontrôlée, de le prendre par le collet et le bousculer
grave. De quelles bonnes résolutions il s’agit, ya kho ? Tu devrais, me
chuchote l’autre, avec son minois espiègle, l’air de ne pas s’en faire,
t’estimer heureux. Je le soupçonne d’avoir fait le change en euros, il
est à combien aujourd’hui, chez un cambiste illégal, mais ayant pignon
sur rue ; mieux encore, je le soupçonne de disposer d’un visa de cinq
ans et qu’il s’apprête à atterrir là-bas, ce là-bas hexagonal objet de
tous nos fantasmes, pour un bon bout de temps. Bye-bye l’Algérie !
J’aimerais bien me mettre dans un coin de sa valoche, être invisible aux
yeux des pafistes, d’ici et de là-bas, et me retrouver à traîner la
nostalgie de mon pays le long de la Seine ; ou les yeux crevant d’envie
devant l’opulence que je ne peux m’offrir. L’Algérie te manque déjà, me
répète l’autre. J’arrive à former un «oui» timide. Tu dribbles comme
celui qui n’a jamais joué au foot, dit-il en me narguant. Oui, j’ai la
nostalgie de l’Algérie ; mais de «mon» Algérie ! Là, je me paie une
mini-crise de patriotard, en vert blanc rouge, une étoile et un
croissant au centre. J’ai même failli gueuler, à pleins poumons, «one
two three, viva l’Algérie !» Sauf que j’ai pensé à notre langue
officielle, l’arabe, bien sûr ! Et je me suis ravisé, car, l’autre là,
ne cesse de m’épier de son œil de bourdon mal luné.
Un peu plus tard, je vous dirai qui c’est «cet autre». Donc, l’autre
pointe sur moi un index furibard et crie à me percer les tympans :
«Tamazight sera demain officiel. Ouyahia l’annoncera demain dans sa
conférence de presse. Puis, je tiens ça de source officielle.»
Tamazight, langue officielle ? Et ce sera à Ouyahia de l’annoncer. Il y
a dans mes oreilles comme un vacarme qui me donne le tournis. Je mets un
pied devant l’autre. Je titube, tombe, puis me relève. Au fait,
tamazight est-il national ? Bien sûr qu’il l’est, pauvre cloche ? Tu
dois vivre dans une planète de grincheux, finit-il par me dire, l’autre.
L’autre se met à esquisser des pas de danse, puis graduellement, il
augmente les mouvements fessiers, pour carrément se laisser aller à une
transe insoutenable. Il se met à hurler : «2016, youpi ! Tamazight,
tunsibt ! Tamazight officiel !» Je me mets à suivre bêtement ses
contorsions. Je devrais le suivre dans son euphorie. Qu’ai-je à chercher
la vérité dans mes entêtements ? C’est vrai qu’il y a une nouvelle
mouture de la Constitution. C’est une vieille histoire. On nous bassine
du matin au soir qu’elle est consensuelle, alors l’opposition n’a pas eu
droit au chapitre. On nous serine du matin au soir qu’elle va
révolutionner les mœurs politiques de notre pays. Puis, tamazight aura
son trône de l’officialité. Comme cela fait des années que j’ai enterré
ma dernière illusion, je ne demande qu’à voir. A soupeser. A étudier.
A confronter. Et à entériner s’il y a lieu. Décidément, cette nouvelle
année est une drôle de catin. Je devrais, comme beaucoup, ouvrir grand
mes bras et la serrer, je parle de la nouvelle année, contre mon cœur.
Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à entrevoir la moindre bonne chose.
Yakhi oiseau de mauvais augure, me dit l’autre, stoppant net son
balancement. Prends ta valise et tire-toi ! Tu vas nous coller ton
cafard. Et tu influes négativement sur les forces vives de la nation.
Fais-toi tout petit. Baisse le son. Ta chronique est un torchon. Tu sais
ce qu’on va en faire, tonne-t-il. Je chuchote en moi-même : «Et ma
liberté de pensée ? J’ai droit au respect. J’ai mon opinion, moi aussi.
Comme tout le monde, j’insiste là-dessus. Si j’ai envie de nager à
contre-courant, c’est mon droit. Et ma liberté de parole, qu’en fais-tu
?» De tes libertés, et autre khorti, j’en fais des confettis. Je te dis
que tout va bien.
La crise passera comme la rumeur ; le pétrole atteindra, de nouveau, les
sommets, on s’y emploie, peuple et gouvernement ; c’est juste quelques
augmentations qui n’auront aucune conséquence sur le portefeuille de
l’Algérien ; serrons la ceinture, que diable ; 2016 est une année
charnière ; les malheurs sont derrière nous ; la concorde et la
réconciliation font leur job ; Ali Benhadj a été accueilli comme un
frère en Kabylie ; de quoi te plains-tu ? L’autre est intarrissable, un
mouhafedh des années de plomb n’aurait pas mieux tourné son discours.
J’ai failli applaudir, c’est dire.
J’ai beau tourner le problème dans tous les sens, j’arrive au même
résultat. Cette année me fout le cafard.
Le bourdon. La kounta. Le weswas. Le boukhennaq. Le boukelaq. Tout ce
que vous voulez. Je ne la sens pas, cette année. Je n’ai pas de raisons
de m’en réjouir. Je ne suis pas loin de la corde de Nerval. Ceux qui ont
festoyé pour accueillir 2016, je leur dis «youpi !» Quant à l’autre qui
me tient par le bout de la langue, c’est juste le reflet de ma tronche
dans ce miroir dépoli. Voilà, c’est tout !
Y. M.
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