Chronique du jour : A fonds perdus
Les stéréotypes
Par Ammar Belhimer
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J’ai
beaucoup aimé le commentaire de l’éditorialiste du Quotidien d’Oran
samedi dernier après les descentes policières allemandes contre des
Algériens présumés membres de l’EI : «Que comprendre à travers cette
opération musclée ? Est-ce un message direct adressé aux seuls Algériens
pour leur faire comprendre qu'ils sont indésirables ? Les résultats
mêmes des perquisitions, certaines ciblant symboliquement des centres
d'accueil, n'ont rien donné trahissant par là l'aspect éminemment
politique de l'action policière. Cibler ainsi une communauté donnée
découle d'une discrimination criante voulant montrer du doigt des
Algériens générateurs d'une virtuelle menace terroriste validant ainsi
la décision de Merkel de les chasser hors de son territoire. Quelle sera
la réponse de la diplomatie algérienne ? Certainement aucune alors que
Sellal lui-même avait acquiescé à la demande de l'Allemagne de se
débarrasser définitivement d'une communauté qui, au final, n'est
acceptée nulle part.»
Auparavant, en Grande-Bretagne, le traitement médiatique des attentats
terroristes qui avaient secoué la France empruntait le même schéma, avec
des particularités qui méritent d’être rappelées. C’est ce qu’entreprend
Natalya Vince, universitaire britannique, dans une mise en contexte des
attaques du 13 novembre 2015 pour débusquer les «amalgames et raccourcis
historiques de la presse britannique» (*).
Deux images fortes ressortent de ce traitement : celle d’ennemi de
l’intérieur associée aux communautés musulmanes vivant en Europe, et
celle de «la vague de réfugiés syriens cherchant désespérément à entrer
en Europe dépeinte comme une cynique opération d’espionnage permettant
l’infiltration de terroristes islamistes.»
Les ravages de ces stéréotypes sur les politiques publiques d’accueil
sont immédiats dans l’espace anglo-saxon : pour plus de la moitié des
gouverneurs des États-Unis, les réfugiés syriens ne sont pas les
bienvenus dans leurs États ; alors que se multiplient les actes de
violence et d’hostilité envers les personnes qui «ont l’air musulman»,
et les saccages des mosquées.
La lecture qui est donnée par les médias britanniques «des causes à long
terme de la montée du terrorisme «d’origine intérieure» recense nombre
d’égarements qui remontent pour beaucoup jusqu’à la Guerre
d’Indépendance algérienne. Ainsi, le 16 novembre 2015, The Independent
n’hésitait pas à titrer : «La guerre non résolue de la France en Algérie
éclaire les attaques de Paris.»
A titre d’illustration, Robert Fisk, qui semble perdre la mémoire des
dates (il réduit la guerre de Libération nationale à 1956-1962), se base
sur l’origine algérienne de l’un des assaillants, Omar Ismail Mostefai,
pour écrire que «l’identité algéro-française de l’un des attaquants (…)
continue à infecter les atrocités d’aujourd’hui».
La grille de la «guerre inachevée» fait florès chez les experts
britanniques : «Ils viennent d’une communauté algérienne en France de
plus 5 millions de personnes, pour beaucoup desquels la guerre d’Algérie
n’a jamais pris fin, et qui vivent aujourd’hui dans les bidonvilles de
Saint-Denis et d’autres banlieues algériennes de Paris», écrit encore
Frisk. Entreprenant de reconstituer une « mémoire de la violence», il
estime pouvoir déceler dans le cas des frères Kouachi, la transmission
de la «guerre non résolue d’Algérie».
Le même argumentaire est développé dans les médias lourds, y compris du
service public. Ainsi, relève encore Natalya Vince, sur le programme de
radio phare de la BBC 4, The World This Weekend (à partir de 22.08
minutes), ce propos du professeur Andrew Hussey – expert attitré de la
BBC and du Guardian pour les affaires françaises et
arabes/algériennes/musulmanes : «Des mémoires ancestrales jouent à
Paris».
Pour Vince, «ces «mémoires ancestrales» sous-tendent une sorte de
transmission génétique, le simple fait d’avoir des parents algériens
faisant inévitablement de vous le porteur d’une mémoire de la violence
coloniale et de l’humiliation, qui à un moment donné rejaillit en une
vengeance sanglante. Réduire des peuples entiers à des caractéristiques
culturelles perçues qui restent figées à travers le temps relève d’un
essentialisme flagrant. C’est insultant et stigmatisant d’insinuer que
tous les Franco-Algériens portent avec eux le ressenti d’une histoire
inachevée, qui ne peut être apaisé qu’en se faisant exploser ou en
tirant sur des passants innocents.»Poursuivant sa critique des thèses
dominantes dans les médias britanniques, elle écrit encore : «Ce supposé
«contexte historique» des attaques du 13 novembre est non seulement
an-historique, c’est du déni de l’Histoire (…) Le résultat est une
fantaisie néo-orientaliste de vengeance du péché ancestral du
colonialisme, dans lequel «l’Algérien» demeure à jamais en dehors de
l’Histoire. Sous le vernis de la «compréhension» des «opprimés» et des
«étrangers», des attitudes profondément réactionnaires se dévoilent dans
ces généralisations radicales à propos des «Franco-Algériens» et les
juxtapositions insidieuses du passé et du présent», conclut Natalya
Vince.
Certes, les médias ont pour circonstance atténuante d’agir dans un temps
sans épaisseur historique, sans distance critique et absence de passion,
mais ils franchissent allègrement les frontières d’une approche
simpliste, voire populiste, avec ce qu’elle comporte comme risques de
dérapages racistes islamophobes, qui aboutissent à la diabolisation de
l’Autre : le «méchant» persécuteur (ici l’Algérien).
Commentant la réaction britannique à la crise des otages du site gazier
d’In Amenas, dans le Sahara algérien, Vince écrivait un an auparavant :
«Gommer de longues séquences de l’histoire contemporaine de l’Algérie,
la ratatiner pour la réduire à ses épisodes violents ne nous aide en
rien. Dans leurs formes les plus crues, de telles analyses reproduisent
le stéréotype orientaliste déjà existant concernant les Algériens -
notamment chez leurs voisins nord-africains : une bande de têtes brûlées
machos, pour lesquels la vie humaine a peu de valeur et l’honneur
beaucoup, traversant les terrains de football et les prises d’otages à
coups de boules » (**).
Ce prisme trahit le réchauffement de thèses carrément colonialistes et
racistes, avec à leur tête «l’école psychiatrique d’Alger » fondée par
Antoine Porot, l’auteur de la thèse de «l’impulsivité criminelle chez
les Algériens», qui sévit à partir de 1918 par ses «Notes de psychiatrie
musulmane», publiées dans les Annales médico- psychologiques en 1920,
puis en 1932, en collaboration avec C. Arrii, par «L’impulsivité
criminelle chez l’indigène algérien».
Les mêmes stéréotypes avaient également prévalu parmi les magistrats
italiens de la cour d’appel de Trieste qui en 2008 avaient consenti à
une réduction de peine substantielle au profit d’un prévenu algérien en
invoquant une «vulnérabilité génétique» qui le prédisposerait à une
réaction agressive contre sa victime colombienne. Pour ses juges, les
insultes proférées à son égard par son agresseur expliquaient en partie
la réaction disproportionnée de cet homme «d’origine algérienne et
musulman pratiquant ».
Il y a de la suite dans les idées dans le camp néolibéral…
L’Histoire contemporaine retiendra que les dérivés du wahhabisme (et non
du nationalisme algérien comme insinué plus haut) que sont l’intégrisme
et son expression armée sont le produit de ses laboratoires et que leurs
premières victimes, à une échelle continue et massive, sont les
musulmans eux-mêmes.
A. B.
(*) Natalya Vince, “Dangerous shortcuts: Paris attacks and the War of
Independence”, 22 novembre 2015
http://texturesdutemps.hypotheses.org/1754
Une traduction française de Malika Rahal est disponible sur le site
Maghreb Emergent.
(**) “In Amenas – a history of silence, not a history of violence”, 20
janvier 2013,
http://texturesdutemps.hypotheses.org/576
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