Chronique du jour : LES CHOSES DE LA VIE
Comment sortir de l’intégrisme mortel ?
Par Maâmar Farah
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Quand
on entend le discours des islamistes en ce mois de mars 2016 et quand on
voit les programmes de certaines télévisions privées, on se demande si
l’on n’est pas retourné à la période trouble où la République algérienne
démocratique et populaire était menacée sérieusement par les adeptes de
l’émirat théocratique ! Paradoxalement, cette pensée extrémiste, portée
par un courant politique à mille lieues des enjeux du siècle, a commencé
à produire ses effets au moment où, incrédules, nous croyions que le
soulèvement populaire du 5 Octobre 1988 allait apporter démocratie,
progrès et modernité.
Ebranlé dans ses assises, le système laissera faire et si les barrières
juridiques sont dressées à temps pour empêcher l’exploitation de la
culture ou de la religion dans la vie politique (Constitution de 1989),
rien ne sera fait concrètement pour prévenir les dérives.
Car, dans le climat politique de l’époque, marqué par des institutions
fragilisées par le mouvement du 5 Octobre, empêcher un courant de
s’exprimer pouvait être interprété comme une censure et une volonté de
restaurer la pensée unique. Aussi, avons-nous peut-être manqué de
vigilance vis-à-vis de la question de l’islamisme, surestimant
certainement le poids réel des formations modernistes dans les joutes à
venir. Finalement, le bipolarisme s’installera et deux forces domineront
la scène : le vieux parti unique et le FIS, large front accumulant
toutes les déceptions, les désillusions et les amertumes, brassage de
tendances diverses unies par la même vision rétrograde. Encore une fois,
nous étions devant un dilemme insoluble : choisir entre la peste et le
choléra. La lutte contre l’islamisme politique ou armé ne pouvait
aboutir que si la société était impliquée. Elle l’a été, et très
fortement, durant la décennie écoulée : sans la mobilisation et le
sacrifice des élites éclairées du peuple algérien, la République
n’aurait pas fait long feu. Mais, à voir l’état des lieux, en cette
année 2016, on serait tenté de s’écrier «tout ça pour ça !».
En réalité, nous ne sommes même pas revenus à la case départ, comme
l’admettent les plus optimistes d’entre nous. Nous nous trouvons dans
une situation bien pire que celle du début des années 1990 : la société,
pourtant musulmane depuis des siècles, n’a pas su résister à l’islamisme
comme mode de vie et de pensée totalement étranger à l’esprit de la
religion et aux traditions et mœurs maghrébines. Quelqu’un se
souvient-il des avertissements du général Lamari dans sa célèbre
conférence de presse télévisée : «Il ne sert à rien de combattre
militairement le terrorisme islamiste, si l’école et la mosquée
continuent à former des islamistes purs et durs» (ce n’est pas du
mot-à-mot, mais l’esprit y est) ? Cette démobilisation n’est pas le fait
du hasard.
Préparé par des tendances politiques qui avaient clairement exprimé
leurs ambitions (relire nos papiers de 1999/2000 sur Bouteflika), aidé
par la démission ou le recul d’autres forces, facilité par le silence
des « savants » de la foi, cet enlisement progressif donne les résultats
que l’on voit : l’Algérie est aujourd’hui un pays qui s’éloigne de la
modernité et dont de larges pans de la société succombent aux pratiques
moyenâgeuses ! Même ces télévisions privées, tant attendues, font partie
des gros moyens utilisés par l’islamisme pour se propager au sein de la
société ! Le problème fondamental auquel nous faisons face est qu’il ne
s’agit pas, cette fois-ci, d’une tendance d’un parti ou d’un groupe
dominant, ni d’une mode passagère, mais du «choix» de beaucoup de
citoyens de ce pays qui, en vérité, n’avaient aucune autre alternative !
Lorsque nous parlons de pratiques moyenâgeuses et que nous insistons sur
l’extraordinaire recul de toute une société, nous ne faisons pas de la
simple rhétorique ; il s’agit d’une question éminemment politique. Il y
a une forte interaction entre les petites choses de la vie quotidienne
et les choix politiques fondamentaux. Un constat implacable : la société
qui nous entoure est, déjà, avec ou sans le FIS, fortement islamisée.
N’est-ce pas la preuve vivante que le plan n’est pas à son début, comme
on pourrait le croire, mais touche à sa fin ? Lorsqu’on observe la
société, on ne manquera pas de relever une foultitude de faits qui,
revus sous l’angle politique, nous renseignent sur l’avancée réelle de
l’islamisme, seule option occupant le terrain après le naufrage des
valeurs héritées des décennies précédentes. Ne nous y trompons pas : la
façade est moderne, mais lorsque le bazar domine le commerce, lorsque le
souk devient la référence, lorsque l’impôt n’est pas payé, lorsque le «
hallal » couvre tout ce qui est contraire aux lois et couvre même la
corruption, lorsque l’exploitation des ouvriers et le travail des
enfants deviennent «licites», lorsque le système bancaire moderne est
fustigé, lorsque les charlatans remplacent les véritables savants de
l’islam, lorsque les interdits médiévaux refont surface au moment où
disparaît, presque totalement, la culture moderne ; lorsque les salles
de cinéma restent fermées, que les théâtres ne servent plus à rien, que
les auteurs de BD sont obligés d’émigrer, que les scientifiques, les
élites s’en vont, que les guérisseurs remplacent les médecins, que
reste-t-il ? Il reste la mosquée. Elle est, certes, irremplaçable en
tant que centre de rayonnement spirituel et elle peut, parfois,
accomplir un rôle social ; mais, il nous faut aussi des temples de la
culture moderne, des espaces où nous pouvons vivre, apprendre et
échanger comme le font nos semblables sur le reste de la planète. La
société algérienne a été poussée sur le mauvais chemin et elle n’est pas
prête à faire demi-tour. Pourtant, le siècle nous appelle. Le siècle,
ses lumières, ses connaissances, sa technologie, ses conquêtes aussi :
sociales, politiques, qui vont de pair avec le reste. Nos gouvernants
veulent nous convaincre que l’importation des outils technologiques est
un acte de modernité. Faux. Il s’agit d’une simple consommation de
technologie, sans aucun apport positif sur les comportements et les
modes de pensée. La bagnole ou le téléphone mobile ne sont pas des
vecteurs de modernité, même s’ils facilitent la communication.
L’Etat a une très grande responsabilité dans la diffusion des
connaissances et de la culture modernes, afin de placer les générations
montantes dans leur siècle. Ces jeunes qui pensent comme nos aïeuls sont
les victimes d’une formidable manipulation : seule la culture moderne
peut les sauver du désespoir et leur donner le goût de la vie et
l’espoir dans leur patrie. Restaurer toutes les salles de cinéma ne
coûterait pas l’équivalent de quelques kilomètres d’autoroute ! Redonner
vie au théâtre n’est pas plus difficile. Relancer le festival d’arts
plastiques de Souk-Ahras ou celui de la bande dessinée de Bordj-El-Kiffan
ne boufferait pas le 1/10e des sommes colossales que l’on réserve aux
festivals de prestige estivaux ! Animer nos villes et nos villages,
redessiner le sourire et réinstaller la joie de vivre dans les cœurs de
nos concitoyens désespérés est une œuvre à notre portée.
L’islamisme, nous y sommes et, visiblement, le seul moyen de s’en sortir
est de multiplier les résistances civiles, les luttes syndicales et
citoyennes ; en bref, donner corps à la vie civile. Cela risque d’être
long et pénible ; mais nous ne voyons pas d’autres issues.
Notre génération a perdu jusqu’à ses rêves ! Peut-être que celle qui se
forge à la réalité de cette société paralysée par l’obscurantisme, mais
aussi à Facebook et aux nouvelles technologies, comprendra qu’il y a
autre chose à faire dans ce pays que de… rêver au départ !
M. F.
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