Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Bruxelles, quand deux générations d’islamistes se croisent
Par Hassane Zerrouky
La
capitale belge a une histoire ancienne avec les islamistes. Dans les
années 1990, elle a été à la fois une base de repli, de planque, de
transit notamment pour les membres des réseaux du Groupe islamique armé
(GIA). Et sans doute pour d’autres activistes islamistes. C’est à
Bruxelles qu’Ali Touchent, tué en mai 1997 à Alger, s’était installé
pour préparer la vague d’attentats qui allait ensanglanter Paris durant
l’été 1995. C’est dans la capitale belge qu’il a rencontré le Français
d’origine algérienne Safé Bourada, chef du réseau du GIA de
Chasse-sur-Rhône, l’homme qui a assuré la logistique à Boualem Bensaïd
et Aït Belkacem, venus spécialement d’Alger via la Turquie et l’Italie
pour commettre les attentats de la station RER Saint-Michel à Paris(1).
C’est aussi à Bruxelles que se planquait l’un des organisateurs des
attentats du métro parisien, le Français d’origine algérienne Farid
Melouk avant son arrestation rocambolesque en mars 1998.
Dans la capitale belge toujours, la galaxie du GIA, avant de se
transformer en GSPC (Groupe salafiste pour le combat et la prédication),
comptait de nombreux «militants» d’origines diverses. Parmi eux, le
Tunisien Tarek Maaroufi, soupçonné d’avoir fourni les faux documents
ayant permis aux deux terroristes marocains Kacem Bakkali et Karim
Touzani de se rendre en Afghanistan et d’assassiner Shah Massoud le 9
septembre 2001, deux jours avant les attentats du World Trade Center.
Condamné en 1995 à trois ans de prison avec sursis pour appartenance au
GIA, avant d’être déchu de la nationalité belge, Tarek Maaroufi a
regagné la Tunisie en mars 2012 où il a vite repris du service. Lors de
ce procès de 1995, ont été condamnés deux Marocains, les frères Ali et
Youcef Al-Marja, mais aussi Ahmed Zaoui, membre de la direction de
l’ex-Front islamique du salut (FIS), suspecté d’être le chef du GIA en
Europe. Condamné à quatre ans de prison avec sursis, Zaoui s’est «enfui»
vers la Suisse avant d’atterrir en 2002 en Nouvelle-Zélande.
Quant à Farid Melouk, libéré en 2009, après avoir purgé une peine de
neuf ans de prison, il a repris du «service» selon l’ex-juge
antiterroriste Marc Trévidic et effectué plusieurs fois le voyage à
Bruxelles. Et ce, avant que les policiers français ne retrouvent sa
trace à la suite des attentats du 13 novembre dernier à Paris. En effet,
sur le téléphone portable de la Franco-Marocaine Hasna Aït Boulahcen
tuée à Saint-Denis (région parisienne), les policiers découvrent une
photo prise en Syrie. Publiée par le site Médiapart, elle le montre aux
côtés d’Abdelhamid Abaaoud, cousin de Hasna et chef du commando auteur
du carnage perpétré au Bataclan à Paris. Melouk figure également sur des
photos aux côtés de Djamel Beghal, un ancien du GIA aujourd’hui en
résidence surveillée en France, et de Cherif Kouachi, l’un des deux
frères auteurs du carnage de Charlie Hebdo.
Les exemples ci-dessus révèlent ainsi l’existence de filières islamistes
anciennes, que l’on croyait démantelées, où se croisent deux générations
de terroristes, celle des années 90 qui ne s’est pas repentie, et la
nouvelle, plus jeune, ayant grandi dans son ombre, aujourd’hui membre de
Daesh. Molenbeek, ce quartier de Bruxelles présenté comme une plaque
tournante des réseaux islamistes où, pas plus tard que mardi dernier,
onze recruteurs de Daesh ont été arrêtés, est certainement cet arbre qui
cache la forêt islamiste. Quand on sait, par exemple, que la Grande
Mosquée de Bruxelles a été financée par l’Arabie Saoudite, la gestion en
ayant été confiée aux Saoudiens pour 99 ans, et que le Centre islamique
et culturel de Belgique (CICB) également fondé par les Saoudiens et
présidé par l'ambassadeur d'Arabie Saoudite, est en fait le siège
européen de la Ligue islamique mondiale, ONG panislamiste basée à La
Mecque, créée en 1962 pour contrer les idées progressistes, il ne faut
pas s’étonner des progrès du salafisme wahabbite en Belgique et ailleurs
en Europe.
En effet, gravitent autour de ces deux institutions une série de
pseudo-centres «culturels», une université islamique et une nuée
d’organisations et de groupuscules islamistes radicaux comme le groupe
«Sharia4Belgium» qui a organisé des manifestations dans la capitale
belge appelant à transformer la Belgique en… Etat islamique !
Terminons sur un point. Après les tueries de Paris en janvier et
novembre 2015, puis les attentats de Bruxelles, avec en toile de fond,
les tueries au quotidien en Syrie, en Libye et les menaces pesant sur la
Tunisie et l’Algérie, les tenants du «qui-tue-qui ?» me semblent bien
silencieux. Que deviennent-ils ? On ne les entend plus, alors qu’on
s’attendait à ce qu’ils imputent cette vague d’attentats à une
manipulation fomentée par les services syriens, voire, pourquoi pas, par
le FSB russe. Les temps changent…
H. Z.
(1) Hassane Zerrouky. La Nébuleuse islamique. Editions-1 (Calmann-Levy).
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