Corruptions : «Panama Papers» : suite des révélations
Les documents en accès public à partir d’aujourd’hui


Le cabinet panaméen d’avocats Mossack Fonseca, au cœur du vaste scandale d’évasion fiscale révélé par les «Panama Papers», a menacé d’actions en justice si ces documents sont mis en accès public, comme prévu, à partir d’aujourd’hui, lundi 9 mai 2016.
Lundi 9 mai, à 19 heures, heure algérienne, «le Consortium international des journalistes d’investigation» (ICIJ) va en effet mettre en ligne sur son site une partie des données liées au scandale des «Panama Papers». Il ne s’agit toutefois pas de l’intégralité des 11,5 millions de fichiers provenant des archives de Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore : l’ICIJ et ses partenaires ne souhaitent pas les publier pour des raisons de respect de la vie privée, car elles contiennent des numéros de téléphone, des correspondances privées, des transactions financières et des passeports. Sera seulement divulgué le registre interne des 214 000 structures offshore administrées par Mossack Fonseca entre 1977 et 2015 et les métadonnées associées à chacune d’entre elles.

Les citoyens vont prendre le relais des journalistes
Dans un courrier adressé jeudi 5 mai au consortium ICIJ, Mossack Fonseca lui demande néanmoins de «renoncer», soulignant qu’il s’agit d’«un vol d’informations et une violation du traité de confidentialité entre client et avocat, que nous devons protéger». Et de poursuivre : «Nous espérons que la polémique ne nous mènera pas à de futures actions légales.» Depuis début avril, les révélations des «Panama Papers» ont provoqué l’ouverture de nombreuses enquêtes dans le monde et conduit le Premier ministre islandais et un ministre espagnol à la démission.
Les 11,5 millions de documents du cabinet Mossack Fonseca, dévoilés par une centaine de médias, ont révélé l’utilisation à grande échelle de sociétés offshore permettant de placer des actifs dans des territoires opaques et à très faible fiscalité. Après la publication de ces documents, nombre de pays ont placé à nouveau Panama dans la liste des paradis fiscaux, tandis que le G20 a appelé à s’attaquer aux sociétés offshore.
Le ministre algérien de l’Industrie et des Mines, Abdeslam Bouchouareb, est cité parmi les personnalités politiques possédant une société offshore gérée par Mossack Fonseca. Tout en reconnaissant les faits, il a déclaré publiquement qu’il remettrait un rapport à ce sujet au chef de l’Etat. Pour le cabinet panaméen, les médias «se sont alimentés d’informations volées de notre système pour diffuser des nouvelles, sorties de leur contexte, et affecter notre réputation comme entreprise sérieuse».
Il a assuré «opérer dans toutes les juridictions dans le strict respect des réglementations». Les autorités panaméennes ont perquisitionné à plusieurs reprises les bureaux de Mossack Fonseca pour y saisir des documents, mais pour l’instant aucun de ses dirigeants n’est ni poursuivi ni détenu.
A partir de la diffusion publique de ces documents, il faut s’attendre à de nouvelles révélations, des milliers de citoyens de par le monde se lanceront dans une exploitation encore plus fouillée de cette gigantesque mine d’informations.
Synthèse agences de presse par Djilali Hadjadj

Celui qui a révélé le scandale sort de l’ombre
Le lanceur d’alerte anonyme des «Panama Papers», qui utilise le pseudonyme «John Doe», a transmis il y a quelques jours au journal allemand Süddeutsche Zeitung un manifeste écrit en anglais pour expliquer pourquoi il a remis à la presse les 11,5 millions de fichiers des archives de Mossack Fonseca. Nous en publions ci-dessous de larges extraits.
«…L’inégalité des revenus est un des marqueurs de notre époque. Elle nous affecte tous, partout dans le monde. Le débat sur son accélération soudaine fait rage depuis des années, les politiques, les universitaires et les activistes étant incapables d’interrompre sa progression malgré d’innombrables discours et analyses statistiques, quelques faibles contestations et d’occasionnels reportages. Pourtant, des questions restent en suspens : pourquoi ? Et pourquoi maintenant ?...»

«Une corruption massive et généralisée»
Pour «John Doe», «les ‘’Panama Papers’’ fournissent une réponse convaincante à ces questions : une corruption massive et généralisée. Et ce n’est pas une coïncidence si cette réponse nous vient d’un cabinet d’avocats. Plus qu’un simple rouage dans la machine de la ‘‘gestion de fortune’’, Mossack Fonseca a usé de son influence pour écrire et tordre les lois partout dans le monde en faveur d’intérêts criminels pendant plusieurs décennies…» Et notre lanceur d’alerte d’expliquer pourquoi il a agi ainsi : «…Les sociétés-écrans sont souvent utilisées pour de l’évasion fiscale, mais les ‘’Panama Papers’’ montrent sans l’ombre d’un doute que, bien qu’elles ne soient pas par définition illégales, ces structures sont associées à une large palette de crimes qui vont au-delà de l’évasion fiscale. J’ai décidé de dénoncer Mossack Fonseca parce que j’ai pensé que ses fondateurs, employés et clients, avaient à répondre de leur rôle dans ces crimes, dont seuls quelques-uns ont été révélés jusqu’à maintenant. Il faudra des années, peut-être des décennies, pour que l’ampleur réelle des actes ignobles de ce cabinet soit dévoilée…»

«…J’ai quelques réflexions à partager»
«John Doe» ne s’est pas limité à livrer à la presse des documents. Il explique aussi pourquoi il l’a fait, et propose quelques pistes pour que ce genre de scandales ne se reproduise plus. «A cet égard, j’ai quelques réflexions à partager. Des milliers de poursuites pourraient découler des “Panama Papers”.» Et d’abord de préciser : «Que ce soit clair : je ne travaille ni n’ai jamais travaillé pour un gouvernement ou un service de renseignement, ni directement ni en tant que consultant. Mon point de vue est personnel, tout autant que ma décision de partager les documents avec la Süddeutsche Zeitung et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), non pas dans un dessein politique, mais simplement parce que j’ai suffisamment compris leur teneur pour me rendre compte de l’ampleur des injustices qu’ils dépeignaient.» Le discours médiatique dominant s’est, jusqu’à présent, focalisé sur ce qui est légal et autorisé dans ce système. Ce qui est autorisé est effectivement scandaleux et doit être changé. Mais il ne faut pas perdre de vue un autre aspect important : le cabinet d’avocats, ses fondateurs et ses employés ont violé une infinité de lois, en toute connaissance de cause et de manière répétée. Publiquement, ils plaident l’ignorance, mais les documents signalent une connaissance approfondie et une transgression délibérée. En fin de compte, des milliers de poursuites pourraient découler des «Panama papers», si seulement les autorités judiciaires pouvaient accéder aux documents et les évaluer. L’ICIJ et ses partenaires ont à juste titre déclaré qu’ils ne pouvaient les fournir aux administrations compétentes. Cependant, je serais prêt à coopérer avec les autorités dans la mesure de mes moyens.»

«Les lanceurs d’alerte méritent l’immunité»
«…J’ai observé les uns après les autres les lanceurs d’alerte et les activistes voir leur vie détruite après avoir contribué à mettre en lumière d’évidentes malversations, aux Etats-Unis comme en Europe... Les lanceurs d’alerte légitimes qui mettent au jour d’incontestables malversations, qu’ils agissent de l’intérieur ou de l’extérieur du système, méritent l’immunité contre les représailles gouvernementales, un point c’est tout. Tant que les gouvernements n’auront pas mis en place des protections juridiques pour les lanceurs d’alerte, les autorités dépendront de leurs propres ressources ou du travail des médias pour accéder aux documents.»

«Imposer la transparence en fixant des standards»
«En attendant, j’appelle la Commission européenne, le Parlement britannique, le Congrès américain et toutes les nations à adopter les mesures qui s’imposent non seulement pour protéger les lanceurs d’alerte, mais aussi pour mettre un terme aux abus mondialisés des registres du commerce.
Au sein de l’Union européenne, le registre du commerce de chaque Etat-membre devrait être librement accessible et comporter des données détaillées sur les bénéficiaires économiques finaux des sociétés. Le Royaume-Uni a un rôle crucial à jouer en mettant fin au secret financier sur ses territoires insulaires [comme les îles Vierges britanniques, Jersey ou Guernesey], qui sont incontestablement la pierre angulaire de la corruption institutionnelle à travers le monde. Les Etats-Unis ne peuvent plus faire confiance à leurs 50 Etats pour prendre des décisions éclairées sur les données de leurs entreprises. Il est plus que temps pour le Congrès américain d’entrer en jeu et d’imposer la transparence en fixant des standards pour la divulgation et l’accès public à ces informations.»

«Les banques, les régulateurs financiers et les autorités fiscales ont échoué»
«Mais le problème est enfin sur la table, et il n’est pas étonnant que le changement prenne du temps. Pendant 50 ans, les branches exécutive, législative et judiciaire du pouvoir à travers le monde ont totalement échoué à soigner les métastases des paradis fiscaux surgissant à la surface de la terre. Les banques, les régulateurs financiers et les autorités fiscales ont échoué. Les décisions qui ont été prises ont ciblé les citoyens aux revenus bas et moyens, en épargnant les plus riches. Des tribunaux désespérément obsolètes et inefficaces ont échoué. Les juges ont trop souvent cédé aux arguments des riches, dont les avocats – et pas seulement chez Mossack Fonseca – sont parfaitement rodés à respecter la lettre de la loi, mais en mettant tout en œuvre pour en pervertir l’esprit.»

«Les médias aussi ont échoué»
Pour «John Doe», «les médias ont échoué. De nombreux groupes d’information sont devenus des caricatures de ce qu’ils étaient, des particuliers milliardaires semblent voir dans la propriété d’un journal un simple hobby, limitant la couverture des sujets graves concernant les plus riches, et le journalisme d’investigation sérieux manque de financements. La conséquence est réelle : en plus de la Süddeutsche Zeitung et de l’ICIJ, les rédacteurs en chef de plusieurs titres de presse majeurs ont pu consulter des documents issus des ‘’Panama Papers’’ —même s’ils ont assuré le contraire. Ils ont choisi de ne pas les exploiter. La triste vérité est qu’aucun des médias les plus importants et compétents du monde n’a montré de l’intérêt pour cette histoire…».

«La déontologie juridique inexistante»
«John Doe» considère «qu’avant tout c’est la profession juridique qui a échoué. La gouvernance démocratique repose sur des individus responsables partout dans le système qui comprennent et respectent la loi, plutôt que de la comprendre pour l’exploiter. Les avocats ont globalement atteint un tel niveau de corruption qu’il est impératif que des changements majeurs interviennent dans la profession, bien au-delà des timides propositions qui sont actuellement proposées… Mossack Fonseca ne travaillait pas seul : malgré des amendes répétées et des violations de régulations étayées, il a trouvé dans presque chaque pays du monde des alliés et des clients auprès de cabinets d’avocats de premier plan».

«L’heure est venue d’une action véritable»
Constat accablant que dresse «John Doe» : «La conséquence collective de ces échecs est l’érosion totale des standards déontologiques, menant en fin de compte à un nouveau système que nous appelons toujours capitalisme, mais qui se rapproche davantage d’un esclavage économique. L’ampleur terrifiante du tort que cela cause au monde devrait tous nous faire ouvrir les yeux. Mais qu’il faille attendre qu’un lanceur d’alerte tire la sonnette d’alarme est encore plus inquiétant. Cela montre que les contrôles démocratiques ont échoué, que l’effondrement est systémique, et qu’une violente instabilité nous guette au coin de la rue. L’heure est donc venue d’une action véritable, et cela commence par des questions…».



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/05/09/article.php?sid=195941&cid=11