Contribution : Trafic d’objets archéologiques
Et malheureusement ça continue...
Par Abdelhamid Benzerari(*)
«Il faut être fier d’avoir hérité de tout ce que le passé avait de
meilleur et de plus noble. Il ne faut pas souiller son patrimoine en
multipliant les erreurs passées.»
(Ghandi)
Trois mille neuf cents pièces archéologiques (tableaux, statues, pièces
de monnaies, mosaïques et autres) ont été récupérées en 2015 dans une
quinzaine de wilayas de l’Est. (El Watan du 19 avril 2016). Notre
patrimoine culturel et archéologique national est menacé. Sa mutilation
ne cesse de se répéter. La presse nationale relate souvent des faits de
cambriolage.
Les services de sécurité ont arrêté, à Constantine, les auteurs du
trafic de vestiges anciens comprenant six statuettes, des pièces de
monnaie et un bracelet de la période numido-romaine. En 2006, toujours
dans la wilaya de Constantine, 49 interventions ont abouti à 444 saisies
dont 325 pièces de monnaie ancienne (Quotidien d’Oran du 18 mai 2008).
Les autres wilayas ne font pas exception à la règle, notamment
Souk-Ahras, la ville de Saint- Augustin, M’daourouch, la ville d’Apulée
de Madaure, où pilleurs algériens, contrebandiers, collectionneurs
européens vident notre patrimoine. C’est une véritable hémorragie. Le
bilan parle de lui-même : 1 282 pièces anciennes ont été récupérées en
2007 (Liberté du 29 octobre 2007). Un véritable crime contre l’identité
nationale et une sérieuse atteinte à l’égard de l’héritage culturel et
historique de l’Algérie.
Un crime qui dépasserait les frontières quand on sait que les pièces
volées, selon leur nature, profite à des réseaux organisés et à une
mafia qui n’a épargné aucun site historique ou culturel de l’Algérie
profonde. Les traces des neuf statues volées le 26 décembre 1996 au
musée de Skikda commencent à apparaître. Après avoir retrouvé et
restitué aux autorités algériennes le buste de Marc Aurèle lors d’une
vente aux enchères chez Christies à New York, Interpol est en train
d’enquêter sur une deuxième statue dont les traces viennent d’être
retrouvées en Allemagne.
A Tlemcen et à Tiaret, plus exactement à Ghazaouet et à Médrissa, ce
sont deux tableaux et un buste du célèbre peintre Picasso et un autre
buste de la reine égyptienne Néfertiti qui ont fait l’objet de vol et de
vente illégale, alors qu’à Batna on parle de plus de 100 objets dont 49
pièces archéologiques, une statue de femme et des fragments de colonnes
ainsi qu’une stèle représentant Saturne. A Aïn-Témouchent, 424 pièces de
fossiles et dents de requin ont fait l’objet de ventes hors la loi.
A Oum-El-Bouaghi, 155 pièces de l’époque numido-romaine et des bijoux
font l’objet d’une enquête enclenchée par les gendarmes.
A Illizi et Tindouf, ce sont des moulins préhistoriques, un sac
contenant des têtes de flèches et de lances en silex taillé, des
météorites, un mausolée funéraire préhistorique qui ont été victimes de
vente irrégulière.
A Skikda, 230 pièces archéologiques découvertes fortuitement et non
déclarées ont été saisies en temps réel par les gendarmes. Les douanes
d’Illizi totalisent depuis le début de la saison touristique 2008 un
record de 324 pièces saisies : pointes de flèches, haches polies,
perles… mais aussi les gravures rupestres découpées au marteau et au
burin (tentatives avortées à Youf Ahaket dans le Tassili et l’Ahaggar).
Tant que dans les endroits du Sahara, notre plus grand et plus beau
musée du monde à ciel ouvert, les pièces, objets préhistoriques et
peintures rupestres ne sont pas répertoriés, enregistrés et diffusés,
les efforts de récupération seront nuls. Il est souvent difficile de
recouvrer les biens volés d’un site non protégé, une fois localisés à
l’étranger, parce qu’il est exigé leur authenticité pour prouver leur
origine.
C’est dire l’ampleur que prend le pillage de notre patrimoine, legs de
notre héritage millénaire.
Le profil des trafiquants est considérable : il suffit d’aller voir la
partie émergée de l’iceberg sur internet où pullulent les sites de vente
d’articles d’art ancien et contemporain. Pillage du passé, vandalisme,
vol, partage du butin, exportation illicite : le marché de l’art est
proche de la foire d’empoigne.
Il est vrai que c’est un commerce dont le chiffre d’affaires dépasse
actuellement le milliard de dollars.
D’après un index publié par Sotheby (la plus importante salle de ventes
du monde), les prix des objets d’art ont été multipliés au moins en
moyenne par dix au cours des vingt dernières années. Les collectionneurs
ont les mains pleines, jouent et gagnent sur tous les tableaux. Ce
bruit, cette fureur spéculative, ces surenchères se font, on le devine,
souvent au détriment des œuvres mêmes et des cultures qui les ont vu
naître. A Paris, le 24 février 2009, la vente par Christie's de 2
statuettes en bronze (une tête de rat et une tête de lapin), volées du
palais d'été de Pékin lors de l'expédition franco-anglaise en Chine sous
Napoléon III, a ranimé la polémique franco-chinoise.
Les trésors archéologiques ou ethnographiques sont aujourd’hui dans la
grotte d’Ali-Baba dollar, loin des yeux, loin du peuple dont ils
exprimaient l’essence. L’art est à la banque et les coffres-forts sont
bien gardés. L’Unesco a toujours affirmé la nécessité de préserver le
patrimoine culturel de chaque nation, a dénoncé l’impudent trafic des
objets d’art, qui vide les peuples de leurs chefs-d’œuvre comme un corps
peut l’être de son sang. Elle a tiré, somme toute, la morale d’une fable
amère, où l’on voit que l’art se vend d’autant plus qu’il n’a pas de
prix et où l’on découvre que, s’il n’a pas de frontières, il ne manque
pas pour autant de contrebandiers.
Chefs-d’œuvre en fuite
«Aucune culture, aucune œuvre d’art, aucune civilisation n’est à l’abri
de la destruction.»
Qu’y a-t-il de commun entre un Raphaël, un siège africain et des bijoux
en or provenant de Turquie ? Tous ont été soustraits au patrimoine
culturel d’un pays contre sa volonté. Un portrait de Raphaël avait été
acquis par le Musée des beaux-arts de Boston en 1967 ; mais il fut
restitué à l’Italie après que les autorités de ce pays eurent fourni la
preuve des conditions illégales de son exportation. Peu après, le
directeur du musée démissionnait. A son tour l’Italie a rendu à
l’Ethiopie dernièrement l’obélisque d’Aksem subtilisé du temps de
Mussolini.
La sépulture de Ramsès I, qui a atterri en Amérique vers le début du
XIXe siècle au musée de Niagara Falls, a été rendue à l’Egypte par ses
derniers acquéreurs qui ont payé une somme colossale au musée. Ces
restitutions doivent être un exemple pour d’autres civilisations mises à
mal par la loi du plus fort. Elles ne sont, hélas, qu’une part infime de
ce qui devrait être entrepris dans le cadre d’un vaste retour de mémoire
aux peuples.
Le siège plaqué or, principal symbole de la nation Ashanti au Ghana,
avait été saisi par les troupes britanniques en 1874. L’actuel chef des
Ashanti demande son retour au British Museum. La Grèce réclame sans
cesse la frise orientale du Parthénon d’Athènes exposée, elle aussi,
dans ce même musée qui refuse de s’en séparer malgré une intense
campagne grecque.
Cette frise, en marbre sculpté, unique au monde, avait été ramenée en
Angleterre au début du XIXe siècle par lord Elgin, ambassadeur
britannique auprès de l’Empire ottoman, et ce, avec l’aval des autorités
turques qui occupaient la Grèce.
Pour débattre et négocier la restitution des œuvres anciennes et pièces
archéologiques, un comité intergouvernemental formé de représentants de
22 Etats a été créé en 1978. En mars 2008, sous l’égide de l’Unesco,
s’est tenue à Athènes une conférence internationale, regroupant
juristes, archéologues et conservateurs de musées pour le retour dans
leur pays d’origine d’œuvres d’art pillées ou déplacées le plus souvent
dans des conditions d’occupation ou de colonisation.
Les bijoux découverts à Usak, en Anatolie, font partie d’un trésor
hydien du VIe siècle avant Jésus-Christ. Le gouvernement turc qui tente
de les récupérer accuse le Metropolitain Museum of Art de New York de
les détenir dans ses réserves depuis 1966.
Un commerce à sens unique
«Tout homme qui acquiert une œuvre d’art cherche à prolonger sa durée
biologique, à se rattacher au passéet à se projeter dans l’avenir»
(Robert Musil)
Ces exemples, notamment ceux de Raphaël et des bijoux hydiens,
illustrent un phénomène troublant : la fuite des objets de valeur
artistique vers les pays riches. Ainsi les pays d’Amérique latine, où
ont fleuri les cultures précolombiennes, sont radicalement dépouillés de
leurs monuments anciens.
L’Ile de Pâques s’est trouvée dégarnie de quelques «Moaï», ces statues
géantes sculptées dans des monolithes granitiques. Leur acquisition par
les musées américains, anglais, français est confirmée. On va jusqu’à
mettre à sac des sites anciens dans la jungle, au moyen d’hélicoptères
pirates qui emportent les monolithes sculptés des bas reliefs. Ce moyen
de transport est utilisé en Papouasie-Nouvelle-Guinée pour enlever des
objets ethnographiques. Il en est de même en Afrique, comme le signale
le directeur de l’administration des musées nigérians. C’est ainsi que
les objets de valeur sont dirigés vers les marchés lucratifs du monde
occidental.
La Turquie, pays à multiples endroits historiques, n’est pas épargné du
détournement des antiquités. L’un des responsables du département des
musées déclarait, lors des réunions d’experts organisés sous l’égide de
l’Unesco que le trafic était aussi bien organisé que celui de la drogue.
«Un objet déterré peut être vendu ou écoulé dans les vingt-quatre
heures. Il est convaincu que le trésor d’Usak, évalué à près d’un
million de dollars, a été embarqué pour New York par le port
méditerranéen turc d’Izmir où opérait un spécialiste du trafic des
antiquités, connu sous le sobriquet d’Ali-Baba. L’exportation illégale
des objets d’art continue au Moyen-Orient, riche en art «primitif». Les
musées d’Europe et d’Amérique sont propriétaires de fonds océaniens,
africains ou asiatiques qui attestent que des pans de mémoire ont été,
de part en part, spoliés.
En novembre 2007, les responsables irakiens du patrimoine sont allés au
siège de l’Unesco à Paris clamer leur désespoir. Depuis le saccage et le
cambriolage du prestigieux musée de Bagdad lors de l’invasion
américaine, des réseaux puissants, parfaitement renseignés, perpétuent
leur razzia. Les trésors de toute la Mésopotamie, région plusieurs fois
millénaire, l’un des plus brillants foyers de civilisation antique,
n’ont pas été épargnés. Mme Amira Ida, directrice irakienne des
antiquités, a dénoncé l’impunité des responsables de cette triste
situation et reste impuissante devant la mise en vente des pièces de
grande valeur sur internet.
L’Union africaine et l’Union européenne ont, lors du sommet de Lisbonne
en 2007, débattu sur les produits et l’héritage culturels qui sont
souvent l’objet de vols ou de détournements qui profitent aux
collectionneurs privés. Certains pays africains ne protègent pas encore
suffisamment leur patrimonie et demandent la collaboration de l’Unesco
pour la formation de leur cadre et la protection de leur richesse
archéologique. En fait, le pillage s’exerce dans les pays qui n’assurent
pas une protection suffisante des sites ou objets d’art, par manque de
fonds, ou à cause de difficultés d’accès, de la corruption ou de la
complicité officielle. Ce «commerce d’exportation» ne se limite
d’ailleurs pas au tiers-monde : l’Italie en est une des plus grandes
victimes.
Trois ans après l’affaire du portrait de Raphaël en 1972, le
Metropolitan Meseum of Art annonçait l’acquisition pour environ un
million de dollars d’un superbe vase grec : le cratère d’Euphronios. La
police italienne spécialisée est convaincue qu’après des fouilles
illégales pratiquées dans une tombe étrusque, le cratère a été
clandestinement sorti du pays.
Le musée fait valoir pour sa part que le vase a été acheté légalement à
un collectionneur libanais. Son directeur a cependant proposé de
restituer le cratère aux Italiens si ceux-ci remboursaient la somme
versée pour son acquisition. C’était une proposition très judicieuse, a
estimé un peu cyniquement un de ses collègues, car il était fort
improbable que le gouvernement italien trouve la somme nécessaire.
Même aux Etat-Unis, première nation du monde importatrice d’objets
d’art, on commence à se préoccuper du contrôle sur l’exportation des
objets artistiques et historiques.
L’administration du Musée des beaux-arts de Détroit estime que son pays
devrait restreindre la liberté d’exportation en ce domaine. S’il y avait
eu des lois dans ce sens, il est peu vraisemblable que l’ex-roi Farouk
aurait pu acquérir l’épée de George Washington.
Culture menacée
«L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est
l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire
comprendre»
(Auguste Rodin)
Le pillage des sites archéologiques et ethnographiques entraîne souvent
leur détérioration ou leur destruction, et nuit, par conséquent, aux
recherches des savants. D’après le président de l’Organisation des
antiquités égyptiennes, il y a quelques années encore des tombes
anciennes étaient profanées par des voleurs qui emportaient une ou deux
pièces pour les vendre à l’étranger. Afin de décourager ce trafic,
l’exportation des antiquités à partir d’Egypte a été totalement
interdite. Le professeur Ezzat Negahban de l’université de Téhéran a
fait remarquer que les pillages des sites préhistoriques entraînaient
une détérioration du charbon des os et des cendres qui permettent la
datation au carbon 14, effacent les traces du plan des villages et font
disparaître les premières manifestations de l’architecture, privant
ainsi les archéologues d’informations précieuses.
L’exportation des objets d’art prive un peuple de la possibilité de
comprendre pleinement sa culture. Les populations des îles du Pacifique
Sud se trouvent dépossédées de leur culture en raison de l’exploitation
qui est faite de leur art et de leurs artistes.
L’exportation massive d’objets ethnographiques entraîne de fâcheuses
conséquences. «La jeune génération vivant actuellement en Océanie n’a
jamais eu l’occasion de voir un objet artisanal de qualité fabriqué par
ses ancêtres au siècle dernier ou auparavant», selon le directeur du
musée de Canterbury en Nouvelle-Zélande.
L’exportation illicite de pièces ethnographiques authentiques se
poursuit en Papouasie-Nouvelle-Guinée, tout comme en Nouvelle-Zélande
malgré une loi de 1962, interdisant leur sortie.
Une célèbre galerie d’art de Paris a organisé une exposition d’art
primitif provenant de Papouasie-Nouvelle-Guinée et un certain nombre de
pièces des Nouvelles-Hébrides.Parmi celles-ci, de grands masques
saisissants, de superbes sculptures en bois et de gigantesques statues
rituelles en fougère recouverte d’argile. Le directeur du Musée de
Nouvelle-Zélande, de passage à Paris, s’était déclaré profondément
choqué. Si ces pièces sont sorties d’Océanie au cours des dix dernières
années, c’est qu’elles ont dû être exportées sans autorisation ; en
effet, elles sont d’une qualité telle qu’aucun gouvernement digne de ce
nom n’aurait permis leur départ et la Papouasie-Nouvelle-Guinée a des
lois très strictes concernant l’exportation d’objets d’art…
Marchands et collectionneurs
«L’art est de nature hypnotique»
(Le Corbusier)
Les musées portent d’ailleurs eux-mêmes une part de responsabilité. Un
conservateur qui se refuse à acheter une peinture volée et dénonce le
vol ne se tracasse surtout pas pour des pièces archéologiques ou
ethnographiques de provenance douteuse. Une chose est claire, conclut le
directeur des Musées nationaux de France, un coup d’arrêt serait donné
au marché illégal des œuvres d’art si les cinquante plus grands musées
du monde décidaient d’agir d’une manière plus scrupuleuse. Pour aider
les conservateurs, le Conseil international des musées, affilié à
l’Unesco, a publié récemment un manuel intitulé «La Protection du
patrimoine culturel» qui contient les textes législatifs régissant les
transactions d’œuvres d’art dans différents pays. D’autres accusés ont
été mis en cause lors de la réunion de Bruxelles et notamment les
diplomates qui abusent de leurs privilèges. Michael N’kanta, directeur
de l’administration des musées du Nigeria, affirma que bon nombre
d’ambassades utilisaient la valise diplomatique pour exporter des œuvres
d’art dont le départ n’aurait jamais été autorisé autrement.
A l’autre bout de l’échelle sociale, on déplore également des
malversations : dans certains pays, par exemple, et d’une manière quasi
institutionnalisée des douaniers mal payés se font quelque argent
supplémentaire en fermant les yeux sur le trafic organisé par des
«experts» plus que douteux. Une autre sorte d’escroquerie mineure est
pratiquée par des personnes bien moins désargentées qui donnent des
certificats d’honorabilité à des objets volés ou passés en fraude, en
affirmant qu’ils appartenaient à une collection de «leur famille».
Enfin, il y a des collectionneurs privés qui, tout comme certains
musées, ne se préoccupent pas outre mesure de l’origine des pièces
qu’ils acquièrent.
C’est ainsi qu’un des plus grands collectionneurs privés contemporains,
un multimillionnaire californien, n’hésite pas à avouer qu’il a acheté
des objets volés. En 1972, il a acquis une statue indienne en bronze du
Xe siècle. Cette œuvre, dérobée dans un temple de Sivapuram (Etat de
Madras) en 1957, était sortie de l’Inde vers les années 1960. A la
question de savoir s’il était prêt à restituer le bronze, il répliqua :
«S’il y avait pour cela des raisons valables et s’il était possible de
faire cesser la fraude, je le ferais…» Mais souvent ce sont les pays
eux-mêmes qui encouragent la fraude. Cela leur rapporte beaucoup. Ils
ont l’habitude de pousser les hauts cris mais laissent le pillage se
poursuivre. «Ils devraient commencer par renforcer leur législation.»
Prenant au mot le collectionneur, le gouvernement indien a engagé des
poursuites contre lui aux Etats-Unis mêmes.
Les efforts du gouvernement indien sont un exemple précis de la lutte
qui doit être menée pour protéger le patrimoine. Mais comme le confiait
un spécialiste du marché de l’art, tous les gouvernements ne sont pas
aussi attentifs : «Ils savent ce qui se passe et choisissent de ne rien
faire. Dans de tels cas, la question du trafic devient un problème de
“politique nationale”.» Tant que les œuvres artistiques et
ethnographiques pourront être achetées ou vendues librement, «elles
finiront toujours par traverser les océans».
Des mesures de protection
«Il est de la responsabilité de tous de veiller à ce que les nouveaux
moyens de diffusion de l’information se traduisent par un enrichissement
et non un appauvrissement du patrimoine culturel mondial.»
En novembre 1973, le professeur de l’université de Téhéran, Ezzat
Negahban, a présenté au cours de la réunion d’experts organisée par
l’Unesco à Bruxelles un programme de lutte contre le vol et la fraude
d’objets de valeur artistique, historique ou culturelle :
- organisation dans les musées du monde entier d’expositions itinérantes
qui, en apportant un complément aux collections de chaque pays,
contribueraient à ralentir la course aux acquisitions menée par les
conservateurs ;
- délivrance d’une licence de fouilles pour toute expédition
archéologique afin d’assurer une juste répartition des découvertes entre
les missions des fouilles et les pays d’accueil ;
- création d’unités spéciales de la police nationale pour combattre les
délits ayant trait à l’art et aux antiquités ;
- recensement par tous les pays de leurs sites archéologiques et de
toutes les œuvres importantes de leur patrimoine culturel.
- interdiction absolue d’attribuer une valeur commerciale aux
découvertes archéologiques.
Nombre de ces mesures sont déjà plus ou moins appliquées par divers
pays. La directrice du département du patrimoine culturel à l’Unesco a
rappelé que l’organisation encourageait activement l’échange
d’expositions entre musées de différents pays. D’autre part,
l’obligation pour les expéditions archéologiques d’obtenir une licence
de fouilles est maintenant très répandue ; enfin, des unités spéciales
de police existent déjà et ont aidé à retrouver des œuvres volées en
Angleterre, en Allemagne, en France et en Italie. Dans tout plan contre
le vol et le trafic, le recensement des richesses culturelles est
essentiel : il permet en effet une identification sûre des œuvres.
Un précurseur en ce domaine est le Japon où un inventaire, entrepris
voilà plus de soixante-dix ans, est régulièrement tenu à jour et
complété. D’autres pays, comme la Belgique, se préoccupent activement de
dresser des inventaires analogues. L’épiscopat italien, pour sa part, a
décidé récemment de mettre sur pied un vaste fichier photographique
inventoriant paroisse par paroisse, toutes les églises présentant une
valeur artistique. Le gouvernement turc, de son côté, fait établir un
répertoire des richesses artistiques contenues dans les édifices
religieux de la Turquie. L’Unesco ne demeure pas en reste, puisqu’elle
apporte son assistance pour l’établissement d’inventaires dans
différentes parties du monde. La Confédération internationale des
négociants en œuvres d’art (Cinoa) qui groupe dix pays européens, plus
les Etats-Unis, avait vivement recommandé à ses membres d’être
scrupuleux sur la provenance des objets mis en vente, et proposa les
services de cette association pour aider gouvernements et musées à
couper l’herbe sous le pied des traficants. Elle suggéra que les œuvres
existant à plus d’un exemplaire dans les collections nationales soient
vendues à l’étranger.
L’ancien président de l’Organisation des antiquités égyptiennes, Gamal
Mokhtar, a fait connaître que son pays offrait chaque année trente à
quarante spécimens exceptionnels de son patrimoine archéologique à des
hommes d’Etat en visite qui les remettaient par la suite à des musées.
L’Egypte a même fait don de temples entiers : cinq d’entre eux ont été
offerts à différents pays en connaissance de leur contribution à la
campagne sur la sauvegarde des monuments de Nubie.
Un autre moyen d’aider les conservateurs à enrichir leurs collections
incomplètes est de leur proposer des reproductions ou des copies
d’œuvres originales.
«L’art pour l’art peut être beau, mais l’art pour le progrès est plus
beau encore.»
(Victor Hugo)
La seule solution
«La jeunesse doit non seulement assimiler tout ce qu’a créé la vieille
culture, mais élever la culture à une hauteur nouvelle, inaccessible aux
gens de la vieille société.»
(Constantin Stanislavski)
Afin de favoriser une appréciation plus désintéressée des œuvres d’art,
les experts ont invité instamment l’Unesco à propager, par le biais de
ses activités éducatives, le respect du patrimoine culturel de chaque
nation. Plus important, l’organisation est priée de redoubler d’efforts
pour faire adopter par un plus grand nombre de pays la convention de
1970 visant à empêcher le commerce illégal des trésors culturels.
Chez nous, un travail de sensibilisation par la presse, la radio et la
télévision, par des expositions, visites de musées et lieux de
réminiscence, rencontres avec les scolaires, les universitaires, les
éducateurs, reste à entreprendre pour combattre la marginalisation du
domaine archéologique, l’ignorance et la négligence de la préservation.
Certaines de nos villes ne possèdent pas leur musée. L’agrandissement de
certains devient nécessaire. Constantine, ville millénaire, ville de
vestiges, son unique musée est à l’étroit. Ces greniers de l’histoire,
ces temples de la mémoire, doivent servir de points de repère à nos
jeunes qui y glaneront les joyaux du passé et du présent pour la
formation de l’esprit et de la sensibilité.
La sensibilité se forme comme l’esprit et est également nécessaire : «Un
bon esprit cultivé est, pour ainsi dire, composé de tous les esprits des
siècles précédents. Ce n’est qu’un même esprit qui s’est cultivé pendant
tout ce temps-là.» Notre effort aura atteint son but, si l’enfant
algérien est devenu sensible à cette beauté partout présente dans les
œuvres de l’homme et permis le déclic de se déclencher pour la
préservation des trésors antiques et l’archéologie.
L’éveil à l’archéologie est cet acte pédagogique qui consiste à faire
sentir aux élèves que l’analyse du monde est une nécessité. Il doit être
non pas un apport de savoir, mais l’outillage mental et le vocabulaire
qui permettront à nos potaches d’apprendre et comprendre leur temps.
L’acquisition du sens historique chez l’enfant
«Par la confrontation avec le réel du passé dans le milieu connu, la
connaissance historique devient une connaissance véritable qui possède
son assise naturelle, cette localisation dans l’espace, d’autant plus
nécessaire que les élèves sont plus jeunes.»
Evoquer ses ancêtres sur les lieux où ils ont vécu n’est-ce pas la seule
manière de présenter l’histoire comme une résurrection ? Les vieilles
pierres parlent à l’imagination de qui les contemple. Elles l’émeuvent
plus que des récits ou des gravures vite oubliées. Rappelant ses longues
visites au musée, Michelet s’écriait : «C’est là et nulle autre part que
j’ai ressenti la vive intuition de l’histoire !» Du point de vue
émotionnel, le sens historique correspond à une certaine façon, dont
l’enfant doit prendre connaissance des choses du passé et surtout des
vestiges authentiquement historiques. Faire prendre contact avec la
réalité des réalisations d'autrefois (monuments, vestiges, ruines,
musées…) est une activité capitale et éminemment éducative. Cela permet
de dispenser une formation esthétique en même temps qu'une formation
historique reposant sur des bases concrètes. C'est un gage d'efficacité.
Le sens historique, dans le domaine des émotions et des sentiments, est
la faculté de s’émouvoir devant les témoignages du passé, devant les
efforts des hommes à travers les siècles. Du point de vue intellectuel,
le sens historique est la conscience d’un certain devenir dans le temps.
Son acquisition chez l’enfant dépend alors de l’intensité de l’émotion
qu’on est capable de faire naître chez lui.
Nos élèves comprendront ainsi notre solidarité avec les peuples
d’autrefois, et sans doute sentiront-ils le devoir que cette solidarité
nous impose : ajouter notre effort à ceux de nos ancêtres pour
transmettre à nos descendants les trésors de civilisation, enrichis et
embellis, que nous à légués le passé.
A. B.
Source : informations-Unesco
(*) Ancien membre de l’association des amis du musée Cirta, Constantine.
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