Chronique du jour : Kiosque arabe
Dénuder une Copte, c'est halal !
Par Ahmed Halli
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Les
Égyptiens sont presque aussi paranoïaques que nous : ils voient la main
sournoise de l’étranger partout, et ils la voient même, tout comme nous,
au pluriel en comptant ses doigts de droite à gauche. Il y a quelques
semaines, le département d’Etat américain a publié son rapport sur les
libertés religieuses, et épinglé cinq pays arabes, l’Irak, la Syrie,
l’Arabie Saoudite, l’Égypte, et le Soudan. Si l’état de guerre en Irak
et en Syrie peut expliquer les atteintes aux libertés religieuses, la
situation des trois autres pays n’incite pas à l’indulgence. Ainsi, la
commission des libertés religieuses au sein du Département d’Etat
américain critique-t-elle les poursuites à l’encontre des opposants pour
des prétextes politiques, religieux, voire pour pratique de la
sorcellerie. Dans ce contexte, le rapport a dénoncé la répression
exercée contre la minorité chiite, et notamment l’exécution du chef
religieux Nimr Al-Namr, au début de cette année. Dans le cas du Soudan,
le rapport du Département d’Etat accuse les autorités de réprimer les «Coranistes»(1)
soudanais dont 25 membres ont été accusés d’apostasie. Le régime a
également renforcé le dispositif de répression légal, et alourdi les
peines contre l’impiété et l’apostasie. De même qu’il a proféré des
accusations infondées contre des religieux chrétiens, et qu’il œuvre à
marginaliser la minorité chrétienne du pays. Quant à l’Égypte, et en
dépit des progrès en matière de libertés religieuses, le rapport relève
que les agressions commises contre les Coptes ne sont généralement pas
jugées. Ce qui a renforcé l’idée que l’impunité est toujours de rigueur,
en ce qui concerne ce type d’agression. La commission du département
d’Etat note également la persistance de dispositions liberticides que ce
soit en matière religieuse, ou dans les manifestations d’opinions
politiques jugées non conformes. Moins d’un mois après la publication de
ce rapport, les évènements de Minieh en Haute-Égypte ont confirmé le
bien-fondé des accusations portées par le rapport américain(2). Vendredi
dernier, dans le village d’Al-Karam, des dizaines de «pieux» musulmans,
émules de Daesh, ont saccagé et brûlé plusieurs maisons de leurs
concitoyens coptes. Puis, en dignes élèves du califat de Mossoul, ils se
sont emparés d’une dame de 70 ans, l’ont entièrement dévêtue et l’ont
exhibée toute nue, à travers le village. Le prétexte est quasiment
toujours le même : le fils de la dame bafouée et humiliée publiquement
aurait eu une liaison avec une femme musulmane. C’est du moins la
théorie propagée par la rumeur, car selon la presse égyptienne, il
s’agirait d’une rumeur propagée par le mari de l’infidèle présumée,
désireux de s’en délester à bon compte.
Réagissant à cet acte abject, l’universitaire copte Teery Botros relève
que le mari en question a fait circuler cette rumeur pour s’exonérer de
ses engagements vis-à-vis de son épouse et de ses enfants. Il pouvait
ainsi la faire expulser du domicile conjugal sous l’accusation
d’adultère, et s’emparer ainsi de sa maison, comme il l’avait fait déjà
avec une épouse précédente. D’ailleurs, l’épouse concernée a démenti
l’existence de cette relation adultère et déposé une plainte contre
celui, ou ceux qui ont lancé cette fausse accusation attentatoire à sa
réputation. «Et puis, même si la relation amoureuse était avérée,
pourquoi la femme musulmane serait-elle plus sacrée qu’une autre et
n’aurait-elle le droit de n’aimer qu’un musulman ? Ceci alors que nous
avons chaque jour des centaines d’exemples qui battent en brèche ce
principe inadéquat et injuste et le contredisent dans les faits.
Evidemment, l’histoire passe mieux lorsque c’est un musulman qui enlève
une femme copte, même mineure, la viole puis la convertit à l’islam.
Puis Al-Azhar, qui vient d’affirmer que l’une des causes du terrorisme
est la marginalisation des musulmans en Europe, valide cette conversion.
Le plus étrange est que des affiches ont été placardées avant le passage
à l’acte et ont été portées à la connaissance de la police qui n’a pas
réagi sur le coup», note encore Terry Botros. D’autres journaux du Caire
ont aussi relevé cette passivité de la police qui tend à devenir
habituelle en pareils cas. L’éditorialiste du quotidien Al Misri Al-Youm
estime que le mufti d’Al-Azhar devrait s’excuser auprès de la dame
victime de ce comportement inqualifiable. «Tous les responsables à la
tête de l’Etat, à tous les niveaux, du président de la République au
cheikh d’Al-Azhar, du mufti de la République aux membres du Haut Conseil
des affaires islamiques, et aux prédicateurs des chaînes satellitaires.
Tout ce monde-là devrait ressentir de la honte devant ce qui est arrivé
à cette vieille dame d’Al-Karam. Nous devons tous ressentir de la honte,
et ne pas relever la tête pour revendiquer liberté, dignité, et égalité,
alors que le plus humble de nos citoyens peut écraser son voisin copte
sous sa chaussure. Il peut mépriser sa religion, porter atteinte à ce
qu’il a de plus sacré, puis s’ériger en juge et en bourreau pour châtier
une vieille femme sans défense. Nous prétendons tous que les relations
entre les éléments constitutifs de la nation, musulmans et coptes, sont
exemplaires, alors que dans la réalité, ils vivent isolés les uns des
autres, ajoute l’éditorialiste. Tous les enseignants apprennent à leurs
élèves que les Coptes ne sont pas sur la voie droite. Les imams des
mosquées insistent sur le fait que le paradis est pour les musulmans, et
que l’enfer est le domaine réservé des Coptes.» C'est ainsi que le fait
de dénuder une femme copte et de l'exhiber comme un trophée relève de
l'acte halal et méritoire aux yeux de «l'ouma» des ignorants. Dire,
comme le fait Ala Aswani que la démocratie est la solution ne suffit
plus, la solution des problèmes de citoyenneté passe par la laïcité, et
le mouvement tunisien Nahdha en semble désormais convaincu. Peut-être
qu'on devrait, enfin, commencer à suivre le bon exemple.
A. H.
1) Le mouvement «coraniste» préconise de s'en tenir au seul Coran comme
référence religieuse, et d'abandonner les hadiths, trop souvent
fabriqués de toutes pièces, et donc suspects. Les Égyptiens Ahmed Osmane
et Djamal Al-Bana sont considérés comme les figures de proue de ce
mouvement.
2) Dans son rapport 2015, la même commission avait épinglé l'Algérie,
notamment pour la répression des non-jeûneurs pendant le Ramadhan, que
je vous souhaite aussi serein et agréable que possible.
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