Chronique du jour : Tendances
En attendant Ramadhan


Youcef Merahi
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Je n’ai rien décelé de particulier dans la visite de notre Premier ministre à Tizi-Ouzou. Sortie sur le terrain. Visite. Inspection. Bains de foule. C’est bien, je n’en disconviens pas. Il y a un peu de tout cela. C’est aussi le programme du président de la République. C’est surtout son programme ! Quand j’ai vu les balais sortis du placard et que j’ai vu l’importance du dispositif policier, j’ai compris de suite qu’il allait y avoir une visite officielle. Encore mieux, celle du Premier ministre ! Qu’y a-t-il de nouveau dans la démarche ou dans le discours ? Rien de nouveau, il me semble. Sinon que l’Algérie résiste mieux que d’autres pays à la chute drastique des prix du pétrole. Sauf que maints projets ont été mis au placard de la décision. Le CHU, par exemple ! A telle enseigne que notre Premier ministre a inauguré un hôpital privé, en la matière. Je n’ai rien contre l’investissement privé. Cet hôpital est le bienvenu, en l’occurrence.
Ah, autre chose qui m’a fait marrer ; sérieusement, je me suis dilaté la rate. J’ai entendu notre Premier ministre demander l’exportation de l’huile d’olive «d’ici 2019». Zit zitoun, ya kho ! L’espace d’une seconde, j’ai vu notre Kabylie occuper les pipes et déverser de l’huile vers l’Europe, la Russie et, même, aux états-Unis. Soyons sérieux ! A peine si on arrive à subvenir aux besoins de la région en huile ; et voilà qu’on se met à rêver d’exporter notre huile. A moins que ce soit une boutade ! Si c’est cela, je l’accepte bien volontiers, d’autant que j’ai ri à satiété. Qu’on ne vienne pas me parler d’agriculture de montagne en Kabylie ! Un mouchoir de poche, pardi ! Qu’on ne vienne pas me parler de cerises en Kabylie ! Je n’en vois pas. J’ai cru comprendre qu’on allait organiser la fête des cerises. Avec quelles cerises ? Il n’y en a plus. Puis, ce n’est pas avec la pépinière de Tadmaït que nous développerons la région.
Par contre, il n’y a pas été question de tourisme, du tout. La Kabylie est une région touristique, par excellence. Comme l’est le Sud. Pourvu qu’on y mette les moyens. Il faut savoir vendre les atouts touristiques de notre pays. On ne le fait pas. Ou on ne le fait pas assez. Je me demande du reste à quoi peut bien servir un ministère du Tourisme, s’il ne ramène pas des touristes. D’ici et d’ailleurs. Deux pour cent du PIB : voilà ce que représente la part du tourisme dans notre pays. C’est dérisoire, au regard des potentialités touristiques. Rien qu’en Kabylie, on peut faire beaucoup, en ce sens. Mais il n’y a pas d’hôtels. Ni de gîtes. Ni d’office de tourisme. Ni de guides. Ni de balises. Exemple : allez voir le célèbre (!) village d’Aït-El-Kaïd. Une ruine repoussante, n’eût été la beauté captivante du coin. On me dit que ce village est classé au patrimoine national. Si c’est le cas, qu’a-t-on fait pour le réhabiliter ? Je tire chapeau aux quelques familles qui y vivent encore. Et ce n’est pas Omar et Samir, ces deux braves collégiens, qui m’ont tenu la main, dernièrement, quand j’ai revisité ce qui aurait pu être un pôle touristique d’excellence. Pensez-vous, il n’y a même pas de plaques indiquant la route. Heureusement que la population, là-bas, est hospitalière.
Je persiste à dire que la visite de notre Premier ministre n’a rien donné de nouveau. Aucun projet structurant ni aucune perspective. Sauf celle de l’exportation de l’huile. Elle est marrante, celle-là ! Il est venu. Puis, il est reparti. Zyarra maqboula, nchallah ! Je vois d’ici certains esprits, amateurs de mondanités officielles, me rétorquer : il a fleuri la tombe de Dda Lmulud ! Oui, j’applaudis le geste. Et alors ? Je me dois de dire que Mouloud Mammeri dort du «sommeil du juste» sur les hauteurs d’une «colline oubliée», tentant «la traversée», pour le Beau et l’Humanité. Quid de l’amazighité, Monsieur le Premier ministre ? ça y est ! Elle a été officialisée. On n’en parle plus. C’est ici qu’il aurait fallu que vous en parliez, le plus. Dans le détail. Sans langue de bois.
Au fond, vous le savez bien. L’agriculture de montagne. La valeur travail. La crise. Le patriotisme. La situation dans le monde. Tout ça, nous le savons, Monsieur le Premier ministre. Les Algériens le savent. Le vivent, au quotidien. Le ressentent. Et l’appréhendent. Personnellement, j’avais espoir de sortir de ma zone de turbulences. Votre visite l’augurait. Du moins, je me suis accroché au plus petit esquif.
J’ai eu raison de ne pas avoir répondu à votre invitation. Je n’ai rien trouvé de nouveau, ni dans la démarche, ni dans la présentation de la situation. La société civile, c’est quoi en Algérie ? Et ce n’est pas la tripartite qui va changer la donne. Ni la nouvelle configuration économique. Ni les quatre années de sursis de notre bas de laine. Puis, il n’y aura plus rien. Le syndrome de la Grèce n’est pas loin de nous.
Le gaz dans les villages d’Aït Yenni ? Quoi de plus normal dans un pays producteur et exportateur de gaz ! Le chef de daïra aurait pu faire l’inauguration, en présence du maire. Puis, c’est tout ! ça ne mérite pas les youyous, la zorna, les salamalecs et autres «tahyate». En tout état de cause, rien de nouveau en Kabylie !
En attendant Sidna Ramadhan, je vais faire le plein de bouquins, de recueils de mots croisés et de revues, pour éviter de déprimer face à la cohue quotidienne des marchés, de «l’herbe à la chorba» jusqu’au «qelbellouz», sans amandes.
Sans oublier la sempiternelle bouteille de gazouze «Hamoud Boualem», la blanche, pour se brûler un gosier avide. Je raserai les murs, pour éviter des regards querelleurs. Je mettrai au garage mon tacot. Et, en soirée, je bloquerai ma rétine sur un documentaire animalier d’une lointaine Afrique, jusqu’au s’hour.
Y. M.



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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2016/06/01/article.php?sid=197150&cid=8