Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
Irak, reprise de Fallouja, attentat d’Istanbul, et après ?
Par Hassane Zerrouky
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Fondé
le 29 juin 2014, l’Etat islamique (EI), plus connu sous son acronyme
arabe de Daesh, a signé à sa manière le deuxième anniversaire de son
existence en fomentant un triple attentat-suicide à l’aéroport Atatürk
d’Istanbul (36 morts).
Cet Etat autoproclamé sur un territoire de plus de
200 000 km² à cheval sur l’Irak et la Syrie, avec pour capitale de
facto, Mossoul (2 millions d’habitants), ambitionnant d’étendre son
emprise sur tout le Proche-Orient et l’Afrique du Nord, s’est doté de
moyens militaires équivalents ou supérieurs à l’armée jordanienne: outre
des véhicules blindés dont 140 chars Abrams et plus d’un millier de 4x4
Hummer américains, il dispose de systèmes de défense antiaériens sol-air
(SATCP), de missiles guidés antichars. Et ce, sans compter une
incroyable maîtrise de l’outil informatique et des technologies de
l’information pour diffuser son idéologie et gérer son image sur les
réseaux sociaux, la production de vidéos et de blockbusters et un
magazine au graphisme soigné, Dabiq, en plusieurs langues.
La question qui vient à l’esprit et à laquelle il n’a pas été apporté de
réponse claire est celle de savoir comment un groupe djihadiste créé en
Irak en octobre 2006 en pleine occupation américaine, bien avant le
printemps arabe, a pu en si peu de temps se doter d’un Etat et d’une
telle force armée, et de savoir qui est derrière Daesh et qui tire les
ficelles. A ce propos, le général français Vincent Desportes,
aujourd’hui professeur de stratégie à HEC Paris, a apporté une première
réponse. En décembre 2014, lors d’une audition publique par la
Commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat français,
il a clairement pointé la responsabilité de Washington : «Quel est le
docteur Frankenstein qui a créé ce monstre ? Affirmons-le clairement,
parce que cela a des conséquences : ce sont les Etats-Unis». A sa suite,
devant la même commission, l’ex-chef de la diplomatie française, Hubert
Védrine, faisait cet incroyable aveu : «Si on casse Daesh en Syrie, on
consolide de facto le régime Assad car il n’y a pas de force
démocratique assez forte sur le terrain syrien.» Faut-il en rajouter ?
Deux ans donc après, le 26 juin, Fallouja a été libérée par les forces
irakiennes soutenues par les frappes américaines. C’est la troisième
ville irakienne reprise à l’EI, après Tikrit (avril 2015) et Ramadi
(décembre 2015). Prochain objectif, assurent les officiels irakiens :
Mossoul, déjà prise en étau au sud par les forces irakiennes et à l’est
par les forces kurdes, pour l’heure alliées mais ayant des vues
différentes sur l’avenir de cette région, une fois Daesh vaincu.
Sur l’autre front, en Syrie, l’EI est également en mauvaise posture.
Après la reprise de Palmyre, Raqqa, son fief, est désormais le principal
objectif des forces syriennes soutenues par les Russes et les Forces
démocratiques syriennes (FDS, organisation arabo-kurde) épaulées par les
Américains, qui sont entrées dans la ville de Minbej, coupant la route
de l’approvisionnement des djihadistes vers la Turquie. Et que dire de
la Libye où les Emirats arabes unis aident militairement le général
Haftar contre les milices islamistes de Fadjr Libya, soutenues par le
Qatar !
Mais si l’EI semble reculer sur tous les fronts, quelle sera la suite ?
Dans l’agenda de Washington et de ses alliés occidentaux et arabes – les
pétromonarchies n’ont lâché Daesh que la mort dans l’âme – la chute du
régime de Bachar figure toujours en ligne de mire. Autrement comment
expliquer l’aide fournie par Washington au Front Al-Nosra (branche
syrienne d’Al-Qaïda), pourtant classée terroriste par les Etats-Unis,
aide ayant permis aux djihadistes de bousculer l’armée syrienne autour
d’Alep (cf. ma chronique du 16 mai dernier) ?
Et le peuple syrien dans tout ça ? Il reste plus que jamais otage d’un
conflit qui le dépasse, et ce, après qu’on lui a fait miroiter que la
chute du régime de Bachar n’était qu’une question de mois (dixit Laurent
Fabius en 2012). Et ce qu’on lui a caché est autrement plus grave : la
destruction programmée de l’Etat national. Les embryons d’émirats mis en
place par le Front Al-Nosra et ses alliés d’Ahrar Sham et Jaysh Al-Islam
dans les «zones libérées» du Nord-syrien, complaisamment médiatisés en
Occident, s’inscrivent en droite ligne du démembrement de l’Etat
national syrien, prélude à un redécoupage de la carte moyen-orientale.
N’ayons pas peur de le dire : au point où en est la situation, demain la
carte du Moyen-Orient ne sera peut- être plus la même, les frontières
héritées des accords de Syke-Picot en 1920 vont bouger. L’agitation dont
font preuve les BHL et Kouchner auprès des Kurdes participent de la mise
en œuvre de cette stratégie. La guerre n’est pas finie et les identités
«heureuses» plutôt que «meurtrières» ne sont pas pour demain.
H. Z.
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