Contribution : De l’importance des lectures publiques
Par Abdelhamid Benzerari(*)
«Les livres sont la lumière qui guide la civilisation»
(Franklin Roosevelt)
Le gouvernement algérien a décidé de doter chaque commune du pays d’une
bibliothèque. C’est un méga-projet ambitieux et nécessaire. Et il est
regrettable de constater tout de même que notre pays continue à marquer
un fâcheux retard dans l’expansion de la culture à travers ces «temples
du savoir».
Nos populations, et plus particulièrement les jeunes, assoiffées de
connaissances dans tous les domaines, de nouveautés, de modernité,
attendent leur ouverture avec impatience. C’est un accès au savoir
universel, à l’éducation, à la lutte contre l’analphabétisme et
l’illettrisme. Quand on peut faciliter le rêve et la curiosité, on peut
aider les gens à acquérir la culture.
«A chaque livre, son lecteur»
Les bibliothèques ne sont pas seulement un instrument de travail. Elles
sont le conservatoire du patrimoine intellectuel de l’humanité. Elles
doivent offrir leurs services à tous les lecteurs virtuels : chercheurs,
érudits, membres du corps enseignant, citadins ou ruraux, adultes ou
enfants désireux de se distraire, de s’informer ou de s’instruire, sans
oublier les isolés, les itinérants, les malades, voire les délinquants
et les prisonniers de droit commun.
Aujourd’hui, grâce aux facilités d’entrée de plus en plus grandes dans
les bibliothèques publiques, grâce aux prêts interbibliothèques, grâce
aux nouveaux procédés de reproduction, n’importe quel citoyen pourra
obtenir soit la communication soit la reproduction de n’importe quel
livre. Il n’est pas jusqu’aux moyens audiovisuels, que des esprits
chagrins considéraient comme les adversaires du livre, qui ne deviennent
les auxiliaires des bibliothèques. Même si l’on se place du point de vue
de leur utilisation, le chercheur en tirera un moindre profit s’il ne
connaît, au moins dans ses grandes lignes, leur histoire et s’il ne sait
comment s’est constitué le prodigieux héritage que leur ont légué des
générations d’érudits, de collectionneurs et de bibliothécaires.
L’héritage du passé, c’est encore la grande tradition d’un accès libéral
aux bibliothèques qui remonte à l’Antiquité.
Les bibliothèques de la période antique
«Souvent, j’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot
dans les abîmes du passé, comme l’insecte qui flotte au gré d’un fleuve
sur quelque brin d’herbe.»
(Honoré de Balzac)
Le mot bibliothèque est apparu en Grèce. Mais avant l’antiquité grecque,
il y avait déjà en Mésopotamie et en Égypte de véritables bibliothèques
renfermant les unes des tablettes d’argile, les autres des rouleaux de
papyrus.
Sur le fronton de la bibliothèque de Thèbes étaient gravés les mots
«Médecine de l’Ame». Le plus noble idéal était donc déjà proposé, voici
plus de 2000 ans, à la cité des livres.
En Mésopotamie où l’on a retrouvé du matériel de bibliothèque qui
remonte au IIIe millénaire avant J.-C., les Sumériens et les Assyriens
traçaient les caractères cunéiformes dans l’argile encore molle, avant
de la sécher au soleil ou de la faire cuire dans un four, comme une
brique.
Les temples de Babylone et de Ninive l’assyrienne avaient leurs ateliers
de copistes qui alimentaient les bibliothèques. La plus importante
d’entre elles que l’on ait exhumée est celle du palais de Ninive qui
remonte au VIIe siècle avant J.-C. Vingt mille tablettes, ou fragments,
découverts par les archéologues anglais sont conservés au British Museum.
Leur traduction parlait d’astronomie, des sciences, de mathématiques et
de médecine.
Les Egyptiens en substituant aux tablettes babyloniennes lourdes et
encombrantes des rouleaux de papyrus ont réalisé un immense progrès dont
devaient bénéficier les Grecs et les Romains.
Parmi les bibliothèques égyptiennes, on peut citer celle de Karnak et du
temple de Denderah, de Thèbes.
Celle d’Edfou est la mieux conservée, et sur l’un de ses murs figure le
catalogue des livres sacrés, comme celle de la tombe 33, nécropole près
du site funéraire de Deir El Bakari sur la rive gauche du Nil.
La première bibliothèque publique d’Athènes datait de 330 avant J.-C.
Elle renfermait les œuvres de Sophocle et d’Euripide. Le rayonnement de
la Grèce dans le domaine des lectures publiques s’exerce en Egypte, en
Asie mineure et surtout à Rome.
La bibliothèque d’Alexandrie est fondée par le roi Ptolémée I en 247-285
avant J.-C., succédant à Alexandre le Grand, avec la collaboration
d’Aristote. Agrandie par son fils Ptolémée II, elle rassemble le plus
grand fonds du monde antique.
Pour toutes ces tâches colossales, Egyptiens, Grecs, hébreux, Perses,
les plus grands esprits du monde y étaient réunis : Eratosthène, qui
calcula le diamètre de la terre avec précision, Aristophane, auteur du
lexique, ancêtre de nos dictionnaires.
Trois incendies successifs entre 47 avant J.-C. et 640 de notre ère ont
été fatals à ses 700 000 volumes.
Les fouilles archéologiques à Rome dans les villes de l’empire comme
Ephèse et Timgad, d’innombrables références aux auteurs classiques
permettent de reconstituer l’aspect extérieur et la vie de ces
bibliothèques qui, au IIe siècle de notre ère, relevaient d’un directeur
général, le procureur des bibliothèques, et constituaient «un service
public géré par un personnel d’Etat». Elles étaient alimentées par des
ateliers de copistes dirigés par des libraires éditeurs.
Elles se composaient de magasins à livres et d’une salle de lecture.
Avant la fin de l’Antiquité, le papyrus est concurrencé par une matière
nouvelle, le parchemin (peau d’animal préparée pour l’écriture) qui doit
son nom (pergamineum) à la ville de Pergame de Mysie, colonie grecque
située au nord-ouest de la Turquie. Cette ville fut un centre actif de
fabrication. Sa bibliothèque de 200 000 volumes était célèbre.
La substitution du cahier au rouleau a sans doute pour origine
l’imitation du diptyque grec, formé de deux tablettes de bois
recouvertes de cire. Son emploi constitue un progrès important, car il
est beaucoup plus facile de feuilleter un livre que de dérouler un
volumen, et l’on peut écrire sur les deux faces de la feuille de
parchemin beaucoup moins fragile et plus durable que le papyrus.
C’est à partir du IVe siècle que l’usage du codex de parchemin se
généralise au détriment du papyrus.
Il coïncide avec la disparition des grandes bibliothèques antiques,
victimes des guerres et du fanatisme des IVe et Ve siècles.
La lecture publique urbaine
«Il faut, à certaines heures, que l’homme soucieux, anxieux,
tourmenté, se retire dans la solitude et qu’il ouvre un livre pour y
chercher un principe d’intérêt, un thème de divertissement, une raison
de réconfort et d’oubli.»
(Georges Duhamel)
La bibliothèque nationale a pour fonction traditionnelle de recueillir
et de communiquer la totalité de la production nationale imprimée
généralement acquise soit par la voie du dépôt obligatoire, soit grâce à
la contribution volontaire des imprimeurs. Elle possède en outre, dans
la plupart des cas, de précieuses collections de manuscrits et
d’ouvrages rares et anciens. Enfin, les moyens officiels puissants dont
elle dispose lui donnent, d’une part, la possibilité d’acquérir
l’essentiel de la production étrangère, d’autre part, de gérer certains
services d’intérêt commun au bénéfice de l’ensemble des bibliothèques.
Les bibliothèques publiques, organismes polyvalents, ne peuvent, certes,
limiter leur activité au service de l’érudition et de la culture. La
période contemporaine a vu se développer autour de la bibliothèque
centrale de véritables «réseaux».
Elle dirige un réseau de bibliobus urbains qui dessert les quartiers et
banlieues. On peut à peu près consulter quotidiens, annuaires, livres de
cuisines ou journaux de mode et à laquelle on téléphone sans hésitation
pour recueillir les renseignements.
La bibliothèque comporte également une section musicale très développée
avec discothèque, cabines d’écoute et studio de travail, un auditorium,
une section enfantine qui est séparée par une cloison vitrée du monde
des adultes, une autre annexe, consacrée aux aveugles, qui possède des
ouvrages et de périodiques en braille, sans oublier les «livres
parlants». La plus grande bibliothèque du monde, celle de New York, a
fourni de bonne heure le modèle de ces établissements qui s’installèrent
au cœur même de la vie quotidienne de citadins privilégiés avec leur
«référence division» (salle de consultation et d’information) et leur «lending
division» (service de prêt), offrant au savant aussi bien qu’au lecteur
en quête de distraction des ressources quasi inépuisables.
Londres possède de florissantes bibliothèques. Par exemple la Centrale
de Westminster qui constitue également le nœud d’un réseau dont les
éléments sont, d’une part, un théâtre, une salle de spectacle, de
conférences, de cinéma, de concert ou d’exposition, et d’autre part, les
autobus aménagés en bibliothèques. Service social au plein sens du
terme, elle dessert intra ou extra muros les hôpitaux et les prisons
aussi bien que les quartiers résidentiels.
La Russie compte environ 400 000 bibliothèques, soit une bibliothèque
pour 3 100 habitants. Le fonds global était dans les années 80 de 3,3
milliards de volumes.
En France, la Bibliothèque nationale, successivement royale, impériale
et nationale, l’une des plus grandes au monde, conserve le patrimoine
français, riche de fonds anciens précieux pour la culture universelle
qu’on trouve aussi dans les autres bibliothèques de réputation
internationale telles que la bibliothèque de l’Arsenal, la bibliothèque
Mazarine, la bibliothèque historique de la ville de Paris, de
Versailles, la bibliothèque du conservatoire des arts et métiers, la
bibliothèque publique d’information du Centre national d’art et de
culture Georges-Pompidou à Beaubourg…
La nouvelle bibliothèque d’Alexandrie
«La lecture de tous les bons livres est comme une conversation
avec les plus honnêtes gens de siècles derniers. »
(Descartes)
En 1989, l’Etat égyptien lance le projet d’une nouvelle bibliothèque,
réalisation pharaonique édifiée sur l’emplacement même de l’ancienne
cité de lecture de Ptolémée. Financée avec les soutiens du Programme des
Nations unies pour le développement (PNUD), de l’Unesco et de plusieurs
pays arabes et européens, la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie est
inaugurée en octobre 2002. Avec 240 000 ouvrages trilingues (arabe,
anglais, français), elle devrait à terme en accueillir 10 millions.
Avec sa salle de lecture de dimensions gigantesques, elle se veut avant
tout au service des Egyptiens. Plusieurs musées et centres d’exposition
y sont intégrés dont un musée des sciences, un musée des antiquités, un
planétarium, un centre de connexion internet, une salle de conférences
de 3 000 places.
La lecture publique rurale
«Les livres nous charment jusqu’à la moelle, nous parlent, nous
donnent des conseils et sont unis à nous par une sorte de familiarité
vivante et harmonieuse.»
(Pétrarque)
«10 bibliothèques à réaliser» (Quotidien d’Oran du 3/06/2007). El
Khroubs, O. Rahmoun, H. Bouziane, Didouche Mourad, Zighoud Youcef,
Beni-H’midène, Ibn Ziad, Boudjeriou, Ben Badis. Celle de Aïn Smara vient
d’être achevée. Il reste les agglomérations excentrées, éparpillées dans
l’arrière-pays. Une classe d’école peut y être transformée en salle de
bibliothèque après la sortie des élèves.
L’instituteur en sera le bibliothécaire et l’animateur. Elle est ouverte
aux élèves, aux anciens élèves, à leurs parents et aux membres des
associations scolaires. Cette salle serait en même temps un musée adapté
aux besoins de la région.
Les parois seraient ornées par des gravures des photographies, des
tableaux de propagande pour un principe d’hygiène (slogans de
sensibilisation), de préservation de la faune et de la flore, de
reboisement, de lutte anti-drogue anti-tabac, anti-incendie, de
prévention contre les accidents….
Les livres sont prêtés sur place. Ainsi le manuel passant de main en
main fournira de précieuses occasions d’échange d’idées entre le maître
et les lecteurs.
La bibliothèque est placée sous sa surveillance. Elle est administrée
par un conseil composé du président d’APC ou de son adjoint, de
l’enseignant (secrétaire-trésorier) et de trois membres.
Le comité rédige le règlement de la bibliothèque (journées et heures de
réception et de prêt), organise la fête de fin d’année scolaire
(distribution des prix, chants, chorales, théâtre…), approuve le budget
et le compte de gestion, dresse la liste des ouvrages à acquérir. La
commune doit fournir les registres et l’armoire-bibliothèque.
Des subventions et des concessions de livres sont accordées par l’Etat
sur listes de propositions dressées par les directeurs d’éducation. La
bibliothèque centrale au chef-lieu de wilaya peut participer par des
prêts en y affrétant des bibliobus, ces bibliothèques circulantes qui
viendront déposer à l’école livres et albums pour enfants.
«Que nous sert de lire ? Sinon de ne plus nous ennuyer.»
(Ronsard)
Rôle de l’instituteur
«Le gain de notre lecture, c’est en être devenu meilleur et plus
sage.»
(Montaigne)
Ainsi, la vocation du pédagogue dépasse singulièrement la tâche de
«maître d’école». Par-delà les murs de sa classe, il lui appartient
d’être le guide intellectuel, moral et social de la collectivité qui
l’entoure. Et cela lui confère une dignité, une autorité et des devoirs
qu’il ne saurait méconnaître. L’isolement de l’instituteur dans sa
classe est la première faute à éviter.
D’abord, se mêler aux jeunes, savoir rester jeune pour conquérir les
jeunes.
«L’éducateur est l’homme», c'est-à-dire le modèle. Il doit être le
guide, l’animateur de la jeunesse, dans tous les domaines, et, pour y
réussir, il lui faudra participer intimement aux diverses activités des
enfants et des adolescents, activités physiques aussi bien qu’activités
intellectuelles, les suivre dans leurs jeux, dans l’organisation de
leurs loisirs comme dans leurs études, et leur donner sans cesse
l’exemple de la volonté et de la persévérance dans l’effort.
«La joie de l’âme est dans l’action.» Pour que l’école accomplisse
pleinement la mission sociale qui lui est dévolue, il faut que
l’instituteur se préoccupe sans cesse d’élargir son champ d’action
au-delà des murs de sa classe et qu’un souffle vivifiant de curiosité
intellectuelle l’entraîne vers des horizons plus vastes.
Ainsi l’école ouvrira toutes grandes ses fenêtres sur la vie,
l’instruction publique deviendra véritablement l’éducation nationale,
l’éducation populaire ; l’instituteur cessera d’être exclusivement «le
pédagogue» pour mériter davantage le beau titre d’«éducateur».
La lecture des enfants et des adolescents
«Quand une lecture vous élève l’esprit, et qu’elle vous inspire des
sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour
juger de l’ouvrage.»
(La Bruyère)
La bibliothèque pour enfants est un rouage important du système
préconisé par l’Unesco et elle joue dès maintenant un rôle capital dans
les pays en développement.
Au cours des années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, on a
donné une place de plus en plus intéressante à la lecture des enfants et
des jeunes.
Là encore, Américains et Anglais ont donné l’exemple. Dès le XIXe
siècle, les bibliothèques ont accueilli favorablement l’idée du «work
with children». Les books-mobiles sillonnent les routes d’Amérique,
déposant avec éclectisme à l’école ou chez l’épicier du village des
livres neufs ou des albums pour enfants. Le Danemark seul comptait, en
1957, 181 bibliothèques pour enfants. En Europe orientale, l’importance
de la bibliothèque pour enfants a été mise à si haut prix que l’on a vu,
en pleine guerre (1942), la Bibliothèque Lénine ouvrir une section pour
enfants : bibliothèque de détente et d’étude où la recherche
bibliographique, expositions, causeries et conférences mettent le jeune
lecteur en mesure d’exploiter pleinement les fonds dont il dispose.
Admis d’abord en Europe avec quelque réticence dans un «coin» de la
bibliothèque d’adultes, les petits lecteurs ont eu droit, quand les
circonstances étaient favorables, à une véritable «section» appelée à
devenir, non une succursale de la bibliothèque scolaire, mais le riche
et vivant trésor d’albums, de contes et de documentaires où ils ont le
loisir de mener un «jeu sérieux».
En France, la première véritable bibliothèque d’enfants fut offerte en
1924 à la ville de Paris par le Comité des bibliothèques pour enfants à
New York.
Depuis, les constructions de bibliothèques municipales réservent
désormais aux jeunes lecteurs des sections ingénieusement aménagées où,
en collaboration étroite avec les enseignants de la région, accueillent
les écoliers qui viennent se documenter ou se distraire.
Ce que nous souhaitons ici, chez nous : que dans chaque bibliothèque
édifiée à travers les communes du pays, la section pour les enfants et
l’autre pour les non-voyants ne seront pas de trop et que la formation
de bibliothécaires accompagnera ce grand projet.
Ainsi se fait, aux heures de loisir, l’apprentissage de la lecture, et
l’enfant, tout en s’initiant à l’utilisation des ressources de la
bibliothèque, se prépare à devenir le fidèle habitué des bibliothèques
d’adultes.
«Je me félicite toujours plus du hasard qui nous a portés à aimer la
lecture… C’est un magasin de bonheur toujours sûr et que les hommes ne
peuvent nous ravir.»
(Stendhal)
A. B.
Source : Les Bibliothèques d’André Masson et de Paule Salvon.
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