Chronique du jour : Lettre de province
Syndicalisme et front social : les «autonomes» se concertent
Par Boubakeur Hamidechi
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S’achemine-t-on
vers une recomposition significative du syndicalisme algérien ? A en
croire les informations ayant trait à la récente réunion des principaux
dirigeants des syndicats autonomes et notamment aux commentaires étayant
ces assises, tout indique en effet qu’un consensus est en vue afin de
dépasser le corporatisme fractionnel qui les caractérisait(1).
Si au cours de la longue décennie (2005-2015), ayant vu leur nombre se
multiplier, le concept unitaire d’une «confédération» était perçu comme
une aliénation de substitution, ce refus se justifiait moins par la
nature libertaire de la contestation que l’on désirait imprimer que par
la crainte d’être à nouveau bridés au nom d’un néo-leadership s’imposant
uniquement par la taille de certaines branches d’activité.
L’épreuve du terrain ayant quelque peu souligné l’inefficacité de cet
«autonomisme» outrancier, fallait-il oui ou non revoir d’abord les
structures organiques de ce syndicalisme rénové ? Après de longues
réflexions et des saisons d’hésitation (2008 à ce jour), il semble bien
que l’on ait opté pour la cohérence du concept unitaire. Celle d’un
passage qualitatif vers un bloc soudé suffisamment dissuasif aussi bien
au cours de la contestation qu’autour de la table de la négociation.
Sans doute que l’esquisse d’une future refondation est devenue désormais
nécessaire en ce sens que l’ensemble des paramètres économiques du pays
indiquent bel et bien la fin d’un Etat social, s’imposant à travers des
mécanismes de régulation et capable d’imposer une politique de la
solidarité à l’égard des couches sociales menacées de précarité. Or dans
l’inévitable face-à-face qui ne manquera pas d’avoir lieu
alternativement avec la puissance publique et le patronat, quel profil
de syndicalisme est susceptible de se faire l’avocat du salariat et même
des couches sociales sans revenus ? En somme, cette question n’attend
pas une réponse en termes de casting. In fine elle n’est posée que pour
rappeler que l’UGTA ne peut en aucun cas être l’accoucheuse d’une
nouvelle génération de syndicalistes. En clair, cette «centrale
unitaire», vieille de 60 années (1956-2016), n’est plus en mesure
d’incarner les nouveaux défis qui attendent les classes sociales de ce
siècle. Implicitement, la naissance probable d’une autre «union»
contresigne définitivement le placardage d’un sigle devenu trop
compromettant pour ses usagers. De plus, la future «révolution»
syndicale instruira, en creux, le procès d’une génération de
pseudo-syndicalistes ayant sciemment confondu le louable recours à la
concertation et les douteux compromis. En effet, lâchée par des vagues
entières de syndiqués, l’actuelle direction n’a de véritable visibilité
que celle que lui concède charitablement le pouvoir. C’est ainsi
d’ailleurs que l’UGTA, version Sidi-Saïd, n’est plus en mesure d’édicter
la moindre règle relative au combat syndical dès l’instant où elle avait
accepté de se taire quand le pillage et les manipulations des lois
étaient des méfaits notoires. Manifestant sa solidarité avec le pouvoir
en toutes circonstances, qu’a-t-elle fait d’autre sinon apporter son
approbation aux plus infâmes des décisions politiques ?
De bipartite en tripartite, n’a-t-elle pas fait accroire qu’elle
défendait les acquis sociaux alors qu’elle participait passivement à
leur érosion ? Or cette posture de négociateurs dont se prévalaient
publiquement ses dirigeants n’était que de faux discours destinés à
masquer le contenu du véritable pacte passé, à la fois, avec le régime
politique et les faux capitaines d’industries prospérant grâce aux
marchés captifs de l’Etat. Face aux lobbies de la restructuration
néolibérale de la première décennie du XXIe siècle, l’on n’a pas le
souvenir d’une quelconque réaction de l’UGTA. Alors que le bradage
battait son plein et que la disparition des emplois industriels
s’accomplissait par charrettes entières, ce syndicat n’avait pas cru
«nécessaire» de s’y opposer en appelant aux grèves et aux black-out dans
les carrés de l’usine. Bien au contraire, il prétendit percevoir dans
cette mutation structurelle le signe d’une «conversion économique»
profitable au pays de la même façon qu’il apporta publiquement son
soutien à Chakib Khelil lors du débat relatif à la fameuse loi sur les
hydrocarbures ! Ainsi, au nom de ce dogme fondé sur la consultation et
les compromis, cet ersatz de syndicalisme s’en remettait docilement à
«l’intelligence économique» des politiques. N’est-ce pas là
l’illustration d’une aveuglante démission au plan éthique lorsqu’on
dénie aux classes sociales concernées le droit de recourir à
l’affrontement par le biais des grèves et les manifestations. Ainsi, le
déclin qui pointe à l’horizon de la maison des syndicats est imputable
pour l’essentiel à la culture syndicale du personnel qui la dirige
depuis pratiquement quatre mandats. Sur tous les choix, qu’ils soient
économiques ou sociaux, n’a-t-il pas, en effet, apporté sa caution au
palais ? Il fit même mieux en matière de zèle lorsqu’il lui arrivait de
«s’auto-démentir» de ses précédents soutiens. Girouette solidement
orientée sur les zéphyrs du palais, ce personnel n’éprouve guère de
problème de conscience pour peu qu’il demeure dans les bonnes grâces
politiques. A l’inverse, il n’eut de cesse de discréditer les courants
alternatifs au moment où ils commençaient à s’organiser en associations
syndicales. Dans sa férocité, il mit tant de constances haineuses à les
combattre qu’il oublia ce pourquoi l’UGTA, elle-même, a existé ! Ainsi,
pour ce personnel syndical notoirement inféodé, le confort de sa
proximité avec le pouvoir a définitivement oblitéré la vocation
militante initiale. Durant ces dernières années, combien de fois
d’ailleurs ne les a-t-on pas surpris à l’œuvre ? Celle de briser des
grèves tant sur le carreau des usines qu’aux portes des établissements
scolaires. En service commandé, l’UGTA en tant qu’institution a fini par
être assimilée à une officine supplétive du pouvoir, chargée de mater le
front social. Plus qu’un paradoxe, elle illustre auprès des petites gens
la compromission dans ce qu’elle a de plus infamant. Désormais, inapte à
désamorcer le moindre mouvement de contestation, l’UGTA de Sidi-Saïd
a-t-elle encore les faveurs d’un régime, lui-même en pleine perdition ?
Rien n’est moins sûr, notamment lorsque cette hypothèse est évaluée à
l’aune de la récente tripartie d’où il est apparu que Sidi-Saïd n’avait
même pas voix au chapitre concernant la révision de la loi sur la
retraite ! Reléguée au rôle de faire-valoir sans le moindre crédit, son
devenir apparaît de plus en plus hypothétique. Ainsi, vu du côté des
syndicats autonomes, il semblerait que la messe sera bientôt dite au
moment où, à leur tour, ils se confédéreront. Par contre, l’hypothèse la
plus probable sur laquelle planche le régime sera de faire du neuf avec
du vieux. C'est-à-dire garder le sigle mais nettoyer par le vide les
structures. Quel que soit le cas de figure qui prévalera lors de la
prochaine séquence politique, la seule certitude que l’on connaisse
déjà, est l’imminence d’un «grand remplacement» syndical.
B. H.
(1) Lire l’article paru dans El Watan du 3 août et intitulé «Front
social : la rentrée s’annonce houleuse».
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