Le Soir Retraite : Retraite avant 60 ans
Chronique d’un été pas ordinaire
(1re partie)
Le système de retraite avant 60 ans — défini par
l’ordonnance du 97-13 du 31 mai 1997 — en est à sa vingtième et dernière
année : il ne sera plus en vigueur au-delà du 1er janvier 2017. Ainsi en
a décidé, sans surprise, le Conseil des ministres le 26 juillet dernier.
Ces dernières semaines le Premier ministre avait multiplié les
déclarations dans ce sens en direction du monde du travail.
Jeudi 23 juin 2016, en visite éclair dans la wilaya de Tiaret, le
Premier ministre faisait une déclaration à la presse, déclaration
visiblement programmée et qui en a surpris plus d’un en pareilles
circonstances (l’inauguration d’un périmètre agricole) : «...L’âge de
départ à la retraite est de 60 ans, comme entériné lors de la dernière
réunion de la tripartite» (NDLR : gouvernement-UGTA-patronat, le 5 juin
dernier), annonçant que «cette disposition peut être allégée pour les
métiers pénibles».
Il ira jusqu’à exagérer son propos, visiblement pour mieux convaincre
son auditoire, et au-delà, l’opinion publique : «L'idée de partir en
retraite à l'âge de 40 ans est inconcevable.» Alors qu’aucun salarié n’a
bénéficié des largesses du dispositif en vigueur pour en profiter aussi
tôt !
Un mois plus tard, le jeudi 21 juillet, Abdelmalek Sellal revient à la
charge, cette fois-ci en marge de la clôture de la session de printemps
du Parlement, en donnant plus de précisions sur les intentions du
gouvernement, notamment en matière de calendrier : «la loi fixant l'âge
de départ à la retraite à 60 ans entrera en vigueur l'année prochaine.»
Cette assurance du Premier ministre, teintée de fermeté, laissait
entrevoir que l’Exécutif allait légiférer par ordonnance, préférant, sur
un sujet aussi sensible et pour aller vite, contourner la représentation
nationale.
Le Premier ministre, lâchant un peu du lest, ira jusqu’à encourager
«ceux qui souhaitent bénéficier d'une retraite anticipée, (ils) peuvent
déposer leurs dossiers avant la fin de l'année», le gouvernement faisant
machine arrière.
Pour rappel, dès le lendemain de la Tripartite du 5 juin, constatant le
rush de milliers de salariés sur les agences de wilaya de la Caisse
nationale de retraite (CNR), le gouvernement, pris de panique, n’hésita
pas à prendre une décision qui piétine la législation en vigueur : une
instruction cosignée par le ministre du Travail et le directeur générale
de la Fonction publique était adressée aux responsables des institutions
et administrations publiques leur enjoignant de bloquer les dossiers de
départ à la retraite avant 60 ans.
Les femmes travailleuses épargnées
Par ailleurs, voulant faire croire qu’il avait été à l’écoute des
travailleurs et de leurs syndicats qui n’ont pas caché leur colère
contre ce projet d’abrogation de la retraite avant 60 ans, et qu’il
cédait à une partie de leurs revendications, le Premier ministre a
affirmé juste avant le Conseil des ministres du 26 juillet 2016 que «la
retraite anticipée est maintenue pour les femmes et les métiers
pénibles», mais sans plus de précisions à ce sujet.
Or, pour les femmes salariées, le départ à la retraite dès 55 ans (voire
même 52 ans pour celles qui ont au moins trois enfants, une année en
moins pour chaque enfant), était déjà inscrit déjà dans la loi relative
à la retraite de juillet 1983, donc bien avant l’ordonnance de 1997 sur
les retraites proportionnelle et sans condition d’âge. Quant au départ à
la retraite avant 60 ans pour ceux qui ont un métier pénible, le Premier
ministre s’est gardé de rappeler que la loi relative à la retraite de
juillet 1983 avait pris en compte, dans son article 7, le facteur
pénibilité, mais que le texte d’application prévu à cet effet est en
souffrance depuis 33 ans, n’étant pas paru à ce jour. Le Conseil des
ministres, réuni le mardi 26 juillet 2016, a finalement donné les
grandes lignes de l’avant-projet de loi modifiant et complétant la loi
relative à la retraite, alors que le gouvernement avait envisagé dans un
premier temps de légiférer par ordonnance comme le permet la
Constitution, mais pendant les «vacances» du Parlement et en cas
d’urgence.
A partir du moment où le gouvernement a fait montre de moins
d’empressement dans le calendrier d’application de l’abrogation de
l’ordonnance de 1997 — le 1er janvier 2017 ayant été retenu —, il a
largement le temps de déposer son avant-projet de loi sur les bureaux de
l’Assemblée nationale, et de le faire approuver, et ce, dès la prochaine
session parlementaire en septembre, fort d’une très large majorité dans
les deux chambres.
La retraite à 65 ans pour bientôt ?
Dans le communiqué final rendu public à l’issue de ses travaux, le
Conseil des ministres avance comme arguments la sauvegarde de «la Caisse
nationale des retraites qui fait face à une forte augmentation des
départs en retraite sans condition d'âge ou en retraite proportionnelle»
et la préservation de «l'avenir de la Caisse nationale des retraites»,
reconnaissant implicitement la gravité de la situation financière de la
CNR. Toujours dans le même communiqué, le gouvernement se garde
d’évoquer textuellement l’abrogation de l’ordonnance de 1997 : il lui
substitue la formule, «le rétablissement de l'obligation d'un âge
minimal de 60 ans», alors que cet âge légal est toujours en vigueur. Par
contre, inscrire dans l’avant-projet de loi, «la possibilité pour le
travailleur d'exercer cinq années supplémentaires avec l'accord de
l'employeur» peut laisser préfigurer dans un avenir pas très lointain de
l’adoption par le gouvernement d’un nouvel âge légal de départ à la
retraite à 65 ans : d’une part, l’Exécutif est persuadé que l’abrogation
du dispositif de départ avant 60 ans ne comblera qu’en partie
l’important déséquilibre financier de la CNR, et d’autre part, cela
pourrait être une réponse positive, mais différée dans le temps, à la
demande de son partenaire patronal, de voir l’âge légal de départ à la
retraite fixée à 65 ans, proposition avancée par le président du FCE la
veille de la Tripartite du 5 juin dernier.
La «haute pénibilité» pour en limiter les bénéficiaires
Pour les métiers difficiles et exposés à toutes sortes de nuisance, le
Conseil des ministres a fait le choix de mettre un garde fou en évoquant
«la possibilité pour les travailleurs en poste de haute pénibilité (qui
seront définis par voie réglementaire) de bénéficier d'une retraite
avant l'âge de 60 ans» : cette notion de «haute pénibilité» vise à
circonscrire et à limiter au maximum la liste de ces postes. Cette
dernière sera très certainement très contestée par les syndicats
autonomes — qui ont tenu une journée d’étude le 30 juillet —, et par
nombre de fédérations de l’UGTA. Mais le gouvernement aura le dernier
mot puisque la prise en compte de la «haute pénibilité» sera encadrée
par un décret exécutif du Premier ministre.
Enfin, le Conseil des ministres, toujours sur les questions de retraite,
a décidé de «faire un cadeau» à son «élite» en accordant «la possibilité
pour les travailleurs exerçant dans des métiers hautement qualifiés ou
déficitaires (qui seront définis par voie réglementaire) d'exercer
au-delà de l'âge de la retraite». Il s’agit là de privilégier deux
catégories de salariés : les professeurs d’université (de médecine plus
particulièrement) et les commis de la haute fonction publique. C’est là
un signe de désaveu pour Abdelmalek Sellal qui avait multiplié ces
dernières années les instructions en direction de ses ministres pour
faire appliquer à la lettre le départ à la retraite à l’âge légal de 60
ans, et sans dérogation aucune. Il est de coutume dans presque tous les
pays du monde que les réformes impopulaires, surtout en matière de
retraite, soient annoncées pendant la longue pause estivale.
Le gouvernement algérien n’a pas dérogé à la règle pour faire en sorte
qu’il y ait le moins de contestation possible de la part des syndicats.
Ces derniers ont annoncé plus d’une fois qu’ils envisageaient de lancer
des actions dès la prochaine rentrée sociale pour le maintien des
retraites proportionnelle et sans condition d’âge. L’Exécutif les a pris
de court.
Mais visiblement, le gouvernement — à défaut d’entamer un large débat
avec les partenaires sociaux sur les réformes en profondeur et
indispensables du système de retraite — a préféré agir à doses
homéopathiques pour faire sortir la CNR de son marasme financier actuel.
Le choix d’un sursis qui risque de ne pas faire long feu…..
Djilali Hadjadj
A nos lecteurs
La 2e partie (et fin) de cette «Chronique d’un été pas ordinaire» sera
publié le mardi 20 septembre prochain, le «Soir retraite» faisant une
pause
le 13 septembre, Le Soir d’Algérie ne paraissant pas lors des deux jours
fériés de l’Aïd El-Kebir.
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