Chronique du jour : CE MONDE QUI BOUGE
L’Algérie vaccinée contre Daesh ? Tunisie, ça craint…
Hassane Zerrouky
[email protected]
«L’Algérie
a-t-elle pris un vaccin anti-Daesh ?» s’interroge Jenny Gustaffson de l’IRIN
(Integrated Regional Information Networks, organisme de l’ONU), auteure
d’une analyse documentée sur la faiblesse de la présence d’Algériens au
sein de l’organisation de l’Etat islamique (Daesh). L’Algérie
ferait-elle exception ? Selon l’analyse de l’IRIN, datée du 28 septembre
et que l’on peut consulter sur son site, analyse dont des journaux
algériens se sont fait l’écho, l’Algérie, «malgré sa proximité avec des
régions vulnérables à l’extrémisme et son passé mouvementé», «semble
moins sensible aux stratégies de recrutement des groupes extrémistes que
de nombreux autres pays, y compris le Maroc et la Tunisie». En effet, on
compte à peine 200 Algériens dans les rangs de Daesh pour 7 000
Tunisiens et 1 500 Marocains. «Cela peut sembler surprenant à première
vue» car l’Algérie «connaît bien l’extrémisme. Quand l’Union soviétique
a envahi l’Afghanistan en 1979, le rapport indique que les Algériens ont
été parmi les premiers à rejoindre les groupes de moudjahidine
nouvellement formés». Pour rappel, à l’époque, ils étaient plusieurs
milliers d’Algériens partis en Afghanistan, pour s’enrôler dans les
rangs, entre autres, du Hizb Islami de Gubbudin Hekmatiar (aujourd’hui
chef Taliban) et de Jamiat Islami de Shah Massoud. Parmi eux, Mourad Si
Ahmed dit Djamel al Afghani, un des membres fondateurs du GIA, (Groupe
islamique armé), tué en 1994 à Alger. Et tant d’autres, tels Abdehaq
Benchiha (tué en 1994), Mokhtar Belmokhtar dit le borgne qui vadrouille
en ce moment quelque part entre le Sud libyen, le Mali, la Mauritanie et
le Niger. «Les gens ont encore peur (…) les images qui nous arrivent
aujourd’hui de la Libye et de la Syrie sont des rappels quotidiens de ce
que des millions d’Algériens ont vécu», explique l’universitaire Ghanem-Yazbeck.
Aussi le souvenir des terribles années 90 durant lesquelles plus de 100
000 Algériens sont morts, fonctionne-t-il «comme une forme de dissuasion
psychologique ». Une tragédie que le pouvoir politique n’a d’ailleurs
pas manqué d’exploiter à l’occasion du «printemps arabe», avant et
durant la campagne pour l’élection présidentielle d’avril 2014 pour
dissuader les Algériens d’opter pour le changement, ce dernier présenté
comme générateur de violences et de retour à la décennie noire (années
90) ! Et ça a marché. Autre facteur dissuasif, la lutte antiterroriste.
L’Aqmi (Al- Qaïda au Maghreb islamique, issue de l’ex-GIA), composée
d’individus de plus en plus âgés – la moyenne d’âge de ceux qui ont été
tués se situe autour de la quarantaine – a été laminée par les forces de
sécurité, et n’arrive plus à recruter. Et Jund al- Khilafah (dissidence
de l’Aqmi), qui a fait allégeance à Daesh, a été totalement éliminé
moins de deux ans après sa création en juillet 2016. Toutefois, avec le
temps, note Ghanem-Yazbeck, le souvenir des années 90 risque de
s’estomper «un peu plus chaque année». Le terrorisme a certes été
vaincu, «mais l'intégrisme est intact» et «fabrique encore des
terroristes», déclarait, il y a 14 ans, l’ex-chef d’état-major, le
général Lamari (décédé en 2007). En effet, le risque terroriste n’a pas
totalement disparu. Dans un contexte de crise et de désarroi social,
entre les prêches de certains salafistes cathodiques, sévissant sur des
télés privées et tolérés par le pouvoir politique, ciblant des
écrivains, des journalistes, les femmes ne portant pas le voile
islamique, appelant à la création de milices pour interdire le port du
bikini, les bars, l’école, etc., et le passage à l’acte, la frontière
est bien mince. Terminons sur la Tunisie. Ça craint. Pour au moins deux
raisons. D’abord, bien que ce pays, comparativement à d’autres comme la
Syrie et Libye, soit le seul du monde arabe à avoir opéré un changement
de régime sans trop de casse, le fait qu’il soit le principal foyer de
recrutement de Daesh, laisse perplexe. Sa proximité avec la Libye où ils
seraient quelque 1 500 Tunisiens dans les rangs des différents groupes
djihadistes, n’est guère rassurante. Des attentats ont été perpétrés,
des maquis existent. Ce qui fait que le salut de la Tunisie dépend aussi
et en partie d’une solution politique en Libye, pays déchiré par une
lutte entre les forces du mystérieux général Haftar et celles du
Gouvernement d’union nationale, et où Daesh n’a pas été totalement
vaincu comme l’ont proclamé un peu trop vite certaines voix
occidentales. Ensuite, la gravité de la situation socioéconomique et les
pressions du FMI mettent la Tunisie dans une position intenable à terme.
Evaporées les promesses du sommet du G8 de Deauville de mai 2011
promettant 20 milliards de dollars à répartir entre la Tunisie et
l’Egypte en appui aux réformes. Aujourd’hui, le pays, confronté à une
économie plombée par une dette extérieure de 30,7 milliards de dollars
et un service de la dette (loyer de la dette) de 3 milliards de dollars,
est sommé de passer à la caisse. Avec donc, une croissance au ralenti,
un tourisme en berne, un chômage élevé, une inflation en hausse, une
économie informelle en expansion (30% du PIB), des tensions sociales de
tous les instants, autant dire que la marmite sociale bouillonne à plein
régime et peut à tout moment exploser.
H. Z.
|