Chronique du jour : LES CHOSES DE LA VIE
Darbkouh !
Par Maâmar Farah
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Comme
elle avait raison, tata Aldjia, de gueuler haut et fort à la face de son
mari : «Je m'en fiche, je m'en contrebalance, je m'en... (censuré) de
toi et de ton drabki ! D'ailleurs, les redresseurs qu'il a redressés il
y a quelques années, finiront par le redresser !» (Les Choses de la vie
du 12 octobre dernier). S’il est vrai que les fameux redresseurs n’ont
rien redressé, il faut admettre que, finalement, le grand et unique
redresseur, c’est le chef suprême !
Je laisse le soin aux éditorialistes d’analyser ce non-événement, pour
m’attarder un peu sur les purges successives qui jalonnent les mandats
présidentiels. Le style de la Maison Mouradia commence à être connu :
chaque mandat livre son lot de débarqués. Ils sont généralement entassés
dans le wagon de queue qu’on déleste au fond d’une gare de triage sans
renom. Rappelez-vous ! Ai-je besoin de citer tous ces mordus du premier
mandat qui ont applaudi et hurlé dans les festivals électoraux et qui
furent largués à l’orée du second mandat ? Ai-je besoin de citer les
noms de ceux qui se sont retrouvés sur la touche après le second mandat,
le plus cruel en termes de vengeances ? Vous avez la mémoire courte ? Le
troisième mandat avait produit le même effet sur d’autres supporters qui
croyaient que la fête n’allait pas s’arrêter. Quant au quatrième, nous-y
voilà ! Fin de mission pour une clique qui a dépassé les limites et même
ces fameuses lignes rouges que l’on nous exhibe de temps à autre.
Je dois avouer que, de toutes les fins, c’est la plus cruelle parce que
les autres avaient une connotation idéologique. Elles se faisaient dans
le cadre d’un jeu politique connu. Les vainqueurs remercient ceux qui
les ont portés vers la victoire mais s’en débarrassent rapidement : ils
ont besoin d’autres hommes pour mener leurs nouvelles missions. Cela se
passe toujours en deux temps : celui de la bataille et celui du pouvoir
conquis. Cette fois-ci, on a eu affaire à une nouvelle race de soutiens
englués dans les affaires, arrogants, possessifs : pour s’en rendre
compte, il faut aller à Annaba et ne pas se contenter d’écouter
seulement les responsables locaux…
Fin cruelle mais aussi peu glorieuse. Comme les autres qui ont été
utilisés à fond dans la bataille électorale, les voici sur le chemin de
la déchéance, tête courbée et regard vide. Vous allez me dire qu’ils
s’en contrefichent de la dignité dans la mesure où ils ont amassé de
l’argent pour arroser trois générations de dollars et d’euros… Moi, je
vous réponds : connaissez-vous un certain Mustapha Ben Boulaïd qui a
abandonné ses cars et ses richesses pour habiller les djebels d’héroïsme
? Connaissez-vous Abane Ramdane et Larbi Ben M’hidi ? Oui, je sais, il
n’y a aucune comparaison. Mais il est toujours bon de rappeler les
anciens noms des chefs du FLN, un parti qui termine entre les mains de
quelques malotrus amoureux de la France et prêts à se coucher devant le
roi du Maroc !
Je pense que la goutte qui a fait déborder le vase est ce discours de
l’indignité prononcé devant un aréopage respectable mais dont aucun
membre n’a eu l’audace de se lever pour quitter la salle en signe de
désapprobation ! Pour l’honneur ! Pour l’image de Ben Boulaïd, Abane et
Ben M’hidi ! S’attaquer aux généraux qui ont sauvé la République est le
leitmotiv des réactionnaires qui auraient voulu transformer notre pays
en émirat taliban. C’est connu, rabâché, radoté et largement répandu sur
certaines nouvelles télévisions dont on se demande si elles ne sont pas
la propriété des Wahhabites ! Mais quand c’est le FLN qui parle comme ça
et traite les moudjahidine et les officiers de la résurrection de la
République de «généraux» et d’«agents» de «la France», ça devient
insupportable !
Certes, dans le tumulte des années 90, le FLN avait pris une position
controversée par rapport à la dynamique de la lutte antiterroriste et
avait même participé à la réunion de Sant’Egidio, mais cela s’est fait
dans la dignité et le respect de certaines règles. Pas dans le langage
des voyous et des revanchards !
Par ailleurs, et si je comprends le ressentiment de ceux qui ont été
malmenés par la Sécurité militaire ou le DRS, de ceux qui ont été
enlevés, torturés ou ayant perdu des membres de leurs familles, on a du
mal à saisir le sens des propos du Drabki et ses acolytes : pourquoi cet
acharnement contre un officier supérieur qui a donné sa jeunesse au
maquis révolutionnaire, s’est illustré dans la guerre de 1973 contre le
sionisme et a rempli avec honneur sa mission, même si cette dernière est
entachée de quelques abus inhérents à la mission du renseignement ? Quel
service dans le monde n’a pas ses missions secrètes et ses actes
blâmables ? La seule explication est que le DRS faisait aussi la chasse
aux voleurs. Et quand les voleurs pensent s’être débarrassés de ceux qui
les empêchaient de voler, ils crient victoire. Mais pas seulement. La
nature humaine est ainsi faite : après s’être réjouis, les voilà qui
utilisent les médias acquis pour salir des patriotes qui lèvent la tête
! Le Drabki ne donne aucune circonstance atténuante à ces moudjahidine
et citoyens vigilants : il tire à bout portant sur tout ce qui bouge !
«Agents de la France !» ; voilà le seul qualificatif qu’il connaît pour
désigner tous ceux qui le contredisent !
A l’orée d’une année qui va encore mettre en place un FLN victorieux à
l’APN et dans les mairies, cette élimination – qui va certainement
conduire tout le wagon à la même gare de triage- montre que ce quatrième
mandat ne pouvait pas être différent des autres. Et c’est peut-être le
signe d’un départ pour le cinquième mandat. On a besoin d’un autre
wagon, flambant neuf, mais vous savez où il finira, après les fanfares
des bandes joyeuses dans les gares de prestige…
M. F.
P. S. : je voulais terminer par mon «Bonjour du soir» du 2
octobre 2013, intitulé : «Spleen d’été tardif» et dont voici
l’intégralité : «Voilà presque un demi-siècle que j’écris, chère Aldjia,
et j’ai l’impression de rédiger le même papier, d’aligner les mêmes
mots, de dire la même chose sur ce cirque, de plus en plus dégarni de
ses artistes talentueux. Voilà des lustres que, face au même vent, avec
le stylo, puis avec la machine à écrire et aujourd’hui avec
l’ordinateur, j’invente des phrases qui disent mon dégoût des errements
politiciens des uns et de la moralité au ras des pâquerettes des autres
! Perché sur mon arbre, j’observe le ridicule manège des hommes qui
montent et qui descendent.
J’ai vu des gens vendre leur honneur pour grimper dans l’échelle de la
société, une marche en avant, deux en arrière et, souvent, quand ils
tombent, ils ne s’aperçoivent même pas qu’ils ont perdu leur honneur et
recommencent la montée… J’ai vu, j’ai tellement vu qu’il me semble qu’il
n’y a plus rien à voir. Mais l’arène politique me dit chaque jour que je
n’ai rien vu encore !
Et quand je vois aujourd’hui Rocky Derbouka se prendre pour un grand
patron du FLN, investi de la sempiternelle mission «historique», j’ai
envie de lui dire : «Où sont Kaïd Ahmed, Yahiaoui, Messaâdia, Mehri,
Belkhadem ?» Eux aussi n’avaient pas vu venir la lame de fond, poussée
par l’incroyable versatilité des hommes qui vous applaudissent très fort
aujourd’hui et seront, demain, les premiers à vous descendre en flammes…
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