Chronique du jour : Lettre de province
Les partis et la stabilité selon l’oracle du 1er Novembre
Par Boubakeur Hamidechi
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Privé
partiellement des facultés de s’exprimer de vive voix, le président de
la République recourt dorénavant aux plumes de ses conseillers chaque
fois qu’il estime nécessaire de délivrer un message au pays. Or, quoi de
mieux qu’une célébration nationale pour le faire de cette manière ?
Celle qui prend prétexte des clairons patriotiques pour publier… un
texte sur sa gouvernance afin de survoler l’ensemble des questions
relatives au fonctionnement des institutions. L’exercice est en soi aisé
dès lors que sa copie est servie sous la forme d’oracle. C’est ainsi
qu’au-delà du fatras des considérations générales sans intérêt notable,
l’on a tout de même relevé que les partis politiques font, cette
fois-ci, l’objet d’un intérêt particulier qu’il n’a pas manqué de le
souligner par une subtile mise en garde.
Leur imputant, par anticipation, des velléités de nuisance, ne les
a-t-il pas appelés implicitement à éviter les mots d’ordre électoraux
déplaisants pour le régime tout en suggérant aux appareils acquis au
régime (FLN et RND) des slogans pour cibler ceux qui transgresseraient
cette «règle» ? A l’approche des rendez-vous électoraux de 2017, cette
allusion présidentielle, paraphrasant la notion de «stabilité» ainsi que
les fameux garde-fous pour l’imposer, s’adressait bel et bien aux
membres de la CNLTD mais également à l’Instance (ISCO) qui inscrit
manifestement son combat dans l’opposition claire et nette au régime.
Alors que la tendance favorable à la participation électorale gagnait
des partisans, voilà que le pouvoir y oppose certaines conditions dont
celle de l’éthique qu’il ne cite pas clairement mais dont on devine
qu’elle lui sera un levier efficace pour les censurer au cœur de la
campagne.
Sur le sujet des partis politiques, il fallait donc admettre que les
convictions de Bouteflika n’avaient pas varié d’un iota depuis ses
déclarations lors de sa première investiture. Les formations existantes,
même les moins cotées à la bourse du compagnonnage, ne pouvaient ignorer
que ce Président verrouillerait, un jour où l’autre, les libertés
publiques en légiférant justement au nom de l’assainissement de la scène
politique.
A maintes reprises, il exposera en effet sa doctrine et bien qu’il le
fit souvent d’une manière allusive, il n’eut cependant jamais dérogé à
sa conception du parlementarisme en général et du rôle que les courants
idéologiques doivent tenir en toutes circonstances. Tenant en piètre
estime la «pluralité du désordre» (sic), n’avait-il pas été la
personnalité la moins enthousiaste dans son appréciation des évènements
d’Octobre 1988 ? Les qualifiant de «tournant tragique» qui n’eut pour
conséquence que de mettre «en péril l’unité nationale», il en réfuta la
paternité démocratique tout en admettant le fait qu’ils furent la clé de
«l’ouverture» politique du pays. Imputant à la multiplicité des courants
l’affaiblissement de l’Etat, qu’il assimile d’ailleurs allègrement au
pouvoir d’un clan, il inspira dès son second mandat une série de
dispositions restrictives allant toutes dans le sens du laminage du
pluralisme. Or, il est toujours étonnant qu’il ait fallu attendre de la
part de la classe politique plusieurs scrutins avant de constater les
dégâts de la fraude et leur affaiblissement notoire.
Car, une fois encore, ce sera à partir d’eux que s’accomplira la
prochaine faute pour peu qu’ils soient à nouveau tentés par les peu
glorieux marchandages autour de privilèges alors qu’ils devraient exiger
du pouvoir de changer de mœurs en réhabilitant la sanction citoyenne en
tant qu’unique source de la légitimité. Les convictions et la volonté du
régime étant notoires, il est tout de même curieux que la classe
politique puisse ignorer que dans ce domaine, le palais ne renoncera
pas, pour des raisons de survie, au recadrage systématique de l’espace
public et du champ politique. Au prétexte répétitif d’améliorer «la
démocratie», voire de la rendre plus «lisible et crédible», il
réactualisera cycliquement des concepts liberticides qui constituent une
certaine doxa de l’unanimisme version parti unique. Car qui peut, en
2016, et après quatre mandatures, prêter à ce pouvoir le moindre désir
sincère de requalifier, dans le sens positif, les principes de la
confrontation idéologique et de l’alternance? Combien de fois la classe
politique s’est dite positivement satisfaite de la transparence des
votes ? En vérité, la totalité des oukases réglementaires dont se
plaignent en permanence les partis visent à interdire la règle du choix
et pas seulement. C’est qu’en aval, les «grands soirs» de tous les
scrutins se sont généralement soldés par des lendemains de gueule de
bois pour l’opposition. Et pour cause, il existe aussi le mauvais génie
de l’administration. De la même manière quand il agissait sur les
mécanismes électoraux, il se donna parallèlement les moyens légaux pour
dissoudre progressivement l’opposition farouche et rendre «hors-la-loi»
toutes les chapelles qui appellent au changement du régime et usent du
boycott des élections comme l’expression de leur défiance.
Foulant aux pieds les libertés politiques en décrétant que
l’abstentionnisme sera sanctionné par des interdictions d’exercer et de
postuler par la suite, ne laisse-t-il pas entendre qu’il ne saurait y
avoir des libertés légales que celles octroyées et rétribuées par
l’administration ? Pis encore, au moment où il prétend avoir résolu la
question de l’intangibilité de la valeur d’un bulletin de vote, il se
substitue à l’autorité des urnes en créant, pour son confort politique,
des critères d’existence aux partis. Or, comment peut-on passer sous
silence cette menace alors qu’une bonne démocratie est celle où les
partis naissent librement puis conquièrent des notoriétés électives ou
parfois disparaissent lorsqu’ils sont disqualifiés par la seule volonté
des urnes et rien d’autre ? Dire qu’il y a matière à débat dans la
sphère partisane avant de se prononcer simplement sur une proposition
relative à un rendez-vous ponctuel signifie aussi qu’il y aurait plus à
perdre qu’à gagner en adhérant aux gages du pouvoir. En feignant de
parapher une nouvelle démocratie grâce à l’exégèse qu’il en a fait des
récents amendements de la Constitution, il espère faire participer le
plus grand nombre de formations à la prochaine messe électorale en vue
d’une future relégitimation. L’on aura compris qu’il s’agit de 2019. La
voilà donc la date fatidique dont parle déjà le nouveau docteur Folamour
placé à la tête du FLN.
B. H.
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