Chronique du jour : Ici mieux que là-bas
L’Algérie d’en bas, l’Algérie d’en haut


Par Arezki Metref
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«Les hommes politiques deviennent automatiquement pessimistes
le jour où le jeu de bascule les éloigne du pouvoir.
»
(Ferdinand Bac)
Le pessimisme est à la mode. Mais l’optimiste reste tenace. L’immémorial conflit entre deux visions du verre est implacable. Est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Chacun en décide, on le sait !
En l’occurrence, le pessimisme dont il est question n’est pas à confondre avec la lucidité. Mais plutôt avec l’amertume. Encore que…
Il en est même devenu une posture, voire une coquetterie. Pessimiste ? Ça fait chic. On dégaine ainsi son esprit critique comme l’arme de la liberté. On n’est pas suiviste, tu comprends !
Etre désespéré, c’est être in. Dans le vent, disait-on naguère ! Sacré microcosme régi par le mimétisme et la fatuité ! C’est à qui puisera le pire fiel d’une situation qui a, il est vrai, tous les attributs de la désespérance. Peu d’esprits peuvent se prévaloir d’y échapper.
Dans cette période transitoire où on pressent d’opaques restructurations post-Saâdani, l’obscurité tient lieu de fin en soi. On ne voit rien de ce qui se passe de profond et de décisif. Les mutations qui s’opèrent nous parviennent sous forme de rumeurs et de supputations. Les bruits de couloirs et les chuchotements de coulisses nourrissent les spéculations.
Pour qui voit le verre à moitié vide, le tableau est plein de noirceur. Il est loin d’être reluisant.
Un Président taiseux dont les seuls déplacements sont d’ordre médical et, si l’on en croit le météore propulsé à la tête du FLN, Ould Abbès, pour ne pas le nommer, qui ne dédaignerait pas un cinquième mandat. L’habitude, mon frère !
Les Algériens qui ont bu ce régime indéchiffrable jusqu’à la lie pourront ainsi avoir du rabiot gratis. Les luttes de sérail risquent de lézarder la cohésion nationale ou ce qu’il en reste. La crise économique entraînée par la chute du prix du pétrole agit en révélateur de vérité. Quand les caisses se vident, il est plus difficile de mentir. La dèche n’empêche nullement les milliardaires minute de continuer à s’enrichir jusqu’à l’indécence et de prétendre en sus à jouer un rôle politique. C’est l’effet Trump avant et sans Trump.
Oui, ça patine pas mal, tout ça ! Blocages institutionnels, effacement de toute perspective. Une morosité générale imprègne tous les aspects de la vie de la nation, suintant la médiocrité et préfigurant une piteuse fin de cycle dans le délitement. Quelque chose est en train de partir en eau de douara.
Le spectacle offert par l’Algérie d’en haut, celle d’une poignée d’autocrates entre les mains desquels se concentre un pouvoir incommensurable, ressemble à celui du Titanic. Pendant que le bateau coule, là-haut, on danse. Danse macabre, danse du totem. Luttes impitoyables pour des miettes successorales. Tout cela exacerbe ces guerres picrocholines auxquelles les Algériens sont si habitués. Picrocholines, pour info, désignant des conflits entre des individus, des institutions et dont les causes demeurent obscures et dérisoires.
Et pour corser le tout, au mépris de l’Algérie d’en bas qui compte pour du beurre, s’ajoute une forme d’incompétence politique illustrée par la grand-messe gouvernement-walis qui s’est tenue récemment. Plutôt qu’une réunion de responsables en charge du pays, on aurait pu croire qu’il s’agissait d’un happening où la thérapie de groupe par la libération de la parole participait de la guérison.
Voilà de quoi alimenter le désespoir. Le pessimisme narquois, apanage de ceux qui ont été éjectés des divers étages du pouvoir, ou de commentateurs politiques répudiés par leurs commanditaires, est la règle. Pourtant, du chaos qui semble tout plomber, peut-être pourrait-on encore en extraire de quoi se doper à l’optimisme. Il suffit de voir le verre à moitié plein, pousser le curseur vers l’autre Algérie, celle du bas, celle qui souffre, souvent humiliée, pour trouver l’impulsion du mouvement. Ça éclate aux yeux quand on discute avec des hommes de pouvoir qui y sont encore ou qui n’y sont plus. Avec des intellectuels plus ou moins critique. Avec des journalistes qui trempent leur plume dans l’encrier de la bien-pensance nationaliste et qui s’auto-intoxiquent joyeusement. Le sentiment général qui se dégage de ces échanges est un profond pessimisme et même, disons-le, du désespoir. Beaucoup de ceux qui se sont rempli la panse pressentent la fin de Byzance.
A l’inverse, il m’a été donné, ces derniers temps, de discuter avec des travailleurs payés au SNMG (Salaire national minimum garanti), avec des jeunes chômeurs, des étudiants souvent mécontents de leurs conditions d’étude, des jeunes diplômés qui ne trouvent pas de travail, et c’est une leçon d’optimisme, de pugnacité et de résistance qu’ils nous donnent. Même si, parfois, la tension pousse au découragement, l’Algérie d’en bas, celle qui travaille ou ne travaille pas, celle qui souffre immanquablement, n’abdique ni l’espoir ni l’optimisme.
Le tableau, là, est celui de la lutte. Les syndicats autonomes s’allient dans une Intersyndicale pour porter la protestation contre les régimes de retraite et pour que leurs intérêts soient pris en considération dans l’élaboration du code du travail.
En Kabylie, les compétitions citoyennes pour distinguer le village le plus propre et le plus écologique redonnent le goût de l’appartenance commune et même de la fraternité de destin. Et comment ne pas recouvrer son optimisme lorsqu’on apprend qu’à Ouargla se tient un café littéraire. Même à Ouargla, allais-je ajouter, non pas parce qu’il est inenvisageable du point de vue culturel mais plutôt à cause des disparités engendrées par l’excentration. Cela paraît plus que paradoxal mais les logiques de l’Histoire opèrent même chez nous. Plus la situation est catastrophique, moins on y cède. Et si les élites qui constituent le microcosme se plagient les unes les autres dans le copié-collé du désespoir, c’est parce que leur regard bute sur la grisaille de l’Algérie d’en haut.
L’Algérie, certes minoritaire, des syndicats libres, des associations diverses, des collectifs culturels et artistiques, des groupes de chômeurs qui se battent pour leur dignité, cette Algérie-là ne désespère pas, occupée qu’elle est à résister et à s’indigner.
L’Algérie citoyenne existe.
A. M.

P. S. : Merci au lecteur vigilant qui m’a écrit à propos de la voix de Léonard Cohen dont j’ai causé dans la chronique de la semaine dernière. Plutôt qu’à «sa voix emprunte de mystique», il fallait évidemment lire «sa voix empreinte de mystique». Tout juste ! Excuses.




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