Culture : Prix Nobel de littérature
Bob Dylan, presque comme Sartre


Bob Dylan a fait couler autant d’encre que John Lennon quand le fondateur des Beatles avait rendu sa décoration de membre de l’Ordre de l’Empire britannique (MBE) à la reine d’Angleterre, le 25 novembre 1969, en signe de protestation contre l’implication de la Grande-Bretagne au Nigeria et aussi contre le soutien apporté dans la guerre du Vietnam. L'écrivain et philosophe français Jean-Paul Sartre avait, lui, carrément refusé le prix Nobel de littérature en 1964.
Comme prévu, Bob Dylan, lauréat du Nobel de littérature, ne s'est pas déplacé à Stockholm samedi pour recevoir son prix Nobel. Mais il s'est dit «honoré» par la récompense dans un discours lu à l'issue du banquet Nobel, par l'ambassadrice des Etats-Unis en Suède. Bob Dylan a remercié dans ce discours l'Académie suédoise de lui avoir décerné le «si prestigieux» prix de littérature, assurant être présent en pensées. «Si jamais quelqu'un m'avait dit que j'avais la moindre chance de gagner le prix Nobel, j'aurais pensé que mes chances étaient aussi grandes que d'être sur la lune», a écrit l'Américain, premier auteur-compositeur à recevoir le prestigieux prix.
Tout comme Shakespeare qui, selon Dylan, ne pensait pas «écrire de la littérature» quand il composait ses pièces, «pas une fois je n’ai eu le temps de me demander est-ce que mes chansons sont de la littérature ?», a affirmé l’auteur de Blowin’ In The Wind (soufflée dans le vent), soulignant qu'il n'y avait «vraiment pas de mots» pour décrire l'honneur de voir son nom rejoindre ceux des lauréats précédents tels Rudyard Kipling, Albert Camus ou Ernest Hemingway. Et d'ajouter encore à l'attention de ceux qui ont critiqué ou déploré son absence : «Je suis désolé de ne pas pouvoir être parmi vous, mais sachez que je suis assurément avec vous par l'esprit et je suis honoré de recevoir un prix si prestigieux.» Ce discours est le premier dans lequel Bob Dylan remercie formellement l'Académie suédoise de lui avoir attribué le Nobel de littérature, un choix audacieux qui avait surpris les milieux culturels, artistiques et littéraires. Mais apportant de l’eau au moulin de ceux qui avaient critiqué ce choix, l'Américain avait «snobé» la cérémonie à Stockholm, prétextant «d'autres engagements».
Ainsi , depuis l’annonce en octobre de l’attribution du prix Nobel de littérature 2016 à Bob Dylan, décision saluée par les uns et décriée par les autres, la polémique n’a cessé de grandir. Un membre éminent de l'Académie suédoise avait fustigé le comportement «arrogant» de Bob Dylan qui avait observé le silence le plus complet depuis l'annonce de son prix Nobel de littérature le 13 octobre 2016. Bob Dylan n'avait ni répondu aux appels téléphoniques répétés de l'Académie ni réagi à l'attribution du Nobel de littérature.
«C'est impoli et arrogant. Il est ce qu'il est», a tonné l'académicien Pär Per Wästberg, dont les propos avaient été rapportés par la télévision publique SVT.
Le soir même de l'annonce, Dylan avait donné un concert à Las Vegas où il avait simplement chanté, sans rien dire au public. Il avait terminé son spectacle en reprenant une chanson de Frank Sinatra : Why Try To Change Me Now ? (pourquoi essayer de me changer maintenant ?), considérée comme un possible clin d'œil à sa proverbiale aversion aux médias ou une réponse à ceux qui lui avaient attribué le prix de littérature.
Anders Bárány, membre de l'Académie royale suédoise des sciences qui décerne les Nobel scientifiques, a rappelé qu'Albert Einstein avait lui aussi snobé les académiciens après son prix de physique en 1921. L'écrivain et philosophe français Jean-Paul Sartre avait, lui, carrément refusé le prix Nobel de littérature en 1964.
«Cette attitude est fondée sur ma conception du travail de l'écrivain. Un écrivain qui prend des positions politiques, sociales ou littéraires ne doit agir qu'avec les moyens qui sont les siens, c'est-à-dire la parole écrite. Toutes les distinctions qu'il peut recevoir exposent ses lecteurs à une pression que je n'estime pas souhaitable. Ce n'est pas la même chose si je signe Jean-Paul Sartre ou si je signe Jean-Paul Sartre, prix Nobel», a-t-il expliqué.
«C'est pourquoi je ne peux accepter aucune distinction distribuée par les hautes instances culturelles, pas plus à l'Est qu'à l'Ouest, même si je comprends fort bien leur existence. Bien que toutes mes sympathies soient du côté socialiste, je serais donc incapable, tout aussi bien, d'accepter,par exemple, le prix Lénine, si quelqu'un voulait me le donner, ce qui n'est pas le cas. Je sais bien que le prix Nobel en lui-même n'est pas un prix littéraire du bloc de l'Ouest, mais il est ce qu'on en fait et il peut arriver des événements dont ne décident pas les membres de l'Académie suédoise», a conclu Sartre dans sa lettre aux journaux suédois.
L'attribution du Nobel de littérature au chanteur américain Bob Dylan a provoqué la stupéfaction chez certains auteurs.
«Le nom de Dylan a été souvent cité ces dernières années, mais ça a toujours été pris pour un canular», fait remarquer le Français Pierre Assouline, écrivain, membre de l'académie Goncourt, qui ne décolère pas contre le choix du jury Nobel. «Lui attribuer le Nobel de littérature, c'est affligeant», a déclaré à l'AFP le romancier. «J'aime Dylan, mais il n'a pas d'œuvre. Je trouve que l'Académie suédoise se ridiculise. C'est méprisant pour les écrivains», assène le romancier français. L'écrivain écossais, Irvine Welsh, est du même avis. Le romancier a estimé que le prix attribué à Dylan était le choix de «vieux hippies baragouinant, aux prostates rances». Mais il y a aussi ceux qui avaient applaudi. «Les puristes et autres râleurs crieront certainement au sacrilège, au dévoiement de l'esprit du Nobel, mais je suis heureux que la littérature soit aussi reconnue dans la parole, au sens poétique de ce terme», réagit l'écrivain congolais Alain Mabanckou, évidemment «satisfait» par ce Nobel. «Georges Brassens l'aurait mérité aussi», ajoute-t-il.
Stephen King s'est lui aussi félicité de cette attribution du Nobel à Dylan. «Je suis ravi», a-t-il écrit. «Une grande et bonne chose en cette saison de sordide et de tristesse.»
Qui sera le prochain prix Nobel de littérature, un artiste ou un écrivain ? La réponse est soufflée dans le vent, «blowing in the wind» !
Kader B.




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